La ferme des étudiants

On n’a pas les pieds dans la bouse, ni le nez dans la paille. Certes, on est bien à la ferme. Mais dans l’étable refaite à neuf de la ferme des Deldalle, six étudiants vivent confortablement dans de petits logements tout équipés. Cela fait plus de six ans que ces agriculteurs de la banlieue lilloise ont adhéré au concept du campus vert. En clair, héberger des étudiants dans leur ferme contre un loyer modeste. Le concept est né atour de Béthune (Pas de Calais) en 1995. Quelques années plus tôt, l’université d’Artois avait ouvert ses portes et drainé derrière elle des centaines d’étudiants... qu’il a bien fallu loger. Auprès des autorités locales, Philippe Amielh, agent de développement local, évoque alors ces hangars et étables qui parsèmaient les fermes. “Un patrimoine qui coûte cher en taxes et que beaucoup cherchent à sauvegarder.” Avec une poignée d’agriculteurs, il crée les campus verts et tisse la toile du réseau à travers la région. Aujourd’hui, 300 logements étudiants ont vu le jour dans le Nord-Pas-de-Calais. Et le concept s’étend désormais à la Bretagne et à la Picardie.

On est loin de la cité U

A Verlinghem, près de Lille, l’idée a vite séduit Henri et Françoise Deldalle, agriculteurs spécialisés dans la volaille. “Ça permettait de réaliser un vieux rêve, celui de remettre la ferme comme à l’origine. La génération d’avant avait tout défiguré en installant des hangars, des parpaings, de la tôle. On a rasé tout ça”, confie Henri en désignant une vieille photo. Et puis il a fallu rénover. Dans une ancienne étable en ruine, ils ont remonté les murs et le toit, érigé des cloisons, conçus quatre petits nids. En septembre 2003, le premier studio était prêt. “On avait à peine fini, que les étudiants sont venus s’installer”, se souvient Henri, attablé dans la chaleur de la cuisine familiale. En 2006, un ancien hangar en a abrité deux autres. Six logements en tout, de 23 à 40 m2. Le maximum autorisé par la charte des campus verts pour éviter que les fermes se transforment en cité U alternatives.

On en est loin à Verlinghem. “Ceux qui viennent chez nous, veulent la tranquillité”, souligne Henri. C’est le cas de Céline, 22 ans, qui suit des études d’éducatrice de jeunes enfants. “Je suis de la campagne, j’étais pas chaude pour aller en ville. Ici au moins, c’est tranquille et convivial. En ville, on ne connaît pas ses voisins”, explique-t-elle dans la cuisine de son petit logement. Pour Nicolas, 23 ans, en école d’ingénieur, c’était aussi la possibilité de faire ses quinze à vingt heures de vélo hebdomadaires dans la campagne. La cité U, lui il connaît. Interne dans sa précédente école, il partageait 10 m2 avec un autre garçon. “De 19h à 3 heures du matin, c’est le boxon.” Une tranquillité qui se paye. La plupart des étudiants ont une voiture ou doivent accepter de faire 35 minutes de bus pour rejoindre la fac.

Du beurre dans la volaille

A l’intérieur du mini-campus, les relations ont grandi peu à peu. “Nous ne sommes pas qu’un tiroir caisse”, précise Henri. A chaque début d’année scolaire, le couple invite les étudiants autour de leur table et l’été venu, organise des barbecues. Ça et là, Henri et Françoise Deldalle donnent aussi un petit coup de mains, dépannent une voiture, aident les étudiants dans leurs démarches administratives ou glissent quelques poulets fermiers entre leurs mains. De quoi rassurer les parents des jeunes gens. “Quand ils viennent, ils voient que leurs enfants ne sont pas logés n’importe où”, précise le couple. Et quelques amitiés émergent au fil des rencontres. Deux Bretons passés entre leurs murs les ont invités à leur mariage. “On n’a pas pu y aller. Mais on était vraiment désolés”, soupire Françoise.

Reste l’avantage financier pour les deux parties. Les loyers sont fixés par le campus vert en fonction de la taille et de la situation des logements. Chez les Deldalle, les quatre premiers logements, entre 25 et 30m2, se payent 282 euros, les deux autres, supérieurs à 40m2, 344 euros par mois. De quoi rapporter 1 700 euros au couple, moins les impôts et le prix des travaux. “En gros, on commence à dégager un petit bénéfice après six ou sept ans”, affirme Henri Deldalle. Et du côté des étudiants ? Une fois l’aide au logement retranchée, Céline n’a plus que 115 euros à payer. “Les loyers sont 20, 30, voire 40% moins chers que le prix du marché”, affirme Philippe Amielh.

Une chose est sûre : la demande est forte, portée par une pénurie d’offres. “Sur la région du Nord-Pas-de-Calais, il y a 120 000 étudiants. Pour une seule offre en logement étudiant, il y a dix demandes”, martèle M. Amielh qui entend bien néanmoins contrôler le développement de son réseau. “Nous ne ferons pas plus de logements que la demande. C’est un vrai défi pour le monde agricole. Quand quelque chose marche et rapporte un peu d’argent, tout le monde s’engouffre dans la brèche. Il y a surproduction et ça s’écroule.” Ce n’est pas demain que les étudiants seront logés en batterie.

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