innovation politique |
Par Rodrigue Coutouly |
22-03-2012
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Forum mondial de l’eau : pour une autre vision des systèmes d’assainissement |
Or, en ce domaine, la seule solution, qui soit envisagée, est celle de la gestion intégrée sous la forme de l’évacuation mélangée des eaux usées jusquà des stations de traitement de ces eaux.
Tout d’abord, le courant hygièniste, à la fin du XIXéme siècle et au début du XXéme siècle, s’est préoccupé essentiellement des éléments visibles de la propreté : vision et odeur des saletés accumulées dans les rues et les cours d’eau. Pour se débarrasser de la puanteur et des égouts à ciel ouvert, (et du choléra) on construit alors dans les grandes villes les premiers réseaux d’assainissement.
Pendant longtemps, on s’est contenté d’éloigner le problème en poussant ces eaux dans les fleuves en aval ou dans les lacs et les mers. Cela fait à peine trente ans que l’on équipe ces réseaux de système d’épuration. On a en effet compris les dégâts que causaient à l’environnement le rejet brut de ces déchets liquides.
Le traitement des eaux usées, mélangeant les saletés de nos baignoires, de nos vaisselles, de nos selles et urines, est d’une grande complexité. Le principe de précaution impose des normes de plus en plus drastiques. Les infrastructures à construire sont énormes et coûteuses car, en bout de course, il faut séparer les différents composants toxiques pour les traiter un à un.
Il s’agit donc d’un marché particulièrment lucratif dans lequel se sont engouffrées des grandes entreprises, qui ont donc tout intérêt à voir ce modèle de dévelloppement se diffuser à la planète entière.
Courant hygièniste, principe de précaution, loi du marché se conjugent à nos habitudes de pays développé pour considérer ce système d’assainissement comme une évidence, un modèle qu’il faut imposer à la planète entière.
Impasse technique d’abord. Malgré l’amélioration des technologies utilisées, le traitement montre ses limites. On ne sait toujours pas quoi faire des boues usées qui accumulent les déchets les plus toxiques en bout de filière de traitement. On n’arrive pas à se débarrasser des molécules fines qui ont des conséquences sur l’environnement à la sortie des usines (voir par exemple, les conséquences du rejet des oestrogènes de nos pilules sur les populations de poissons). Les tentatives pour régler ces problèmes alourdissent considérablement les factures payées par l’usager.
Impasse financière ensuite. Dans de nombreuses régions du monde, la mise en place de ces réseaux, là où ils n’existent pas, a un coût faramineux. Nous bénéficions, pour notre part, de réseaux anciens, constamment entretenus, développés au fur et à mesure de notre urbanisation.
Dans les pays en cours de développement, la densification a été forte et rapide, sans construction de réseaux. Rattraper le retard et étendre ces réseaux n’est pas possible rapidement. A l’inégalité de l’accès à l’eau courante et potable, se rajoute donc une nouvelle inégalité, celle de l’accès à l’évacuation des eaux usées. Dans ces pays, les rivières, qui traversent les agglomérations, sont devenues des cloaques où aucune vie n’est possible.
Même dans les pays occidentaux, ce système atteint ses limites. La crise prolongée a tari les capacités d’investissement des pouvoirs publics alors que les exigences en matière sanitaire et environnementale ne cessent d’augmenter. La périurbanisation nécessite des infrastructures très étendues et donc très coûteuses.
Dernier problème, dernière impasse : sur l’ensemble de la planète, la concurrence croissante entre les différents usages de l’eau, oppose l’eau nécessaire à l’évacuation aux eaux courantes domestiques et aux usages agricoles. Il faut en effet énormément d’eau pour évacuer nos déchets.
Il faut nous rendre à l’évidence : ce vieux système, inventé au XIXéme siècle n’est plus adapté à nos exigences du XXIéme siècle.
Or, un autre modèle émerge, moins compliqué, moins coûteux, mais hélas fortement méconnu : celui du traitement local et séparé des déchets.
Le mélange de toutes les molécules et constituants de nos eaux usés est la source du problème. Il faut donc séparer les selles, les urines et les autres eaux usées, en utilisant des toilettes sèches.
Séparées des selles et des urines, le traitement local du reste de l’eau sale est facilité. Les techniques de phytoépuration sont bien connues et maîtrisées. Quelques m2 de plantes par habitant suffisent.
Les selles sont transformés séparement par compostage ou lombricompostage. On peut, dans les grosses installations, récupérer le méthane dégagé. Les urines peuvent être épandues sur les terres agricoles (richesse en azote).
Il ne s’agit pas ici de défendre un modèle contre un autre. Mais plutôt d’envisager d’autres systèmes moins coûteux, plus facile à étendre et à développer.
Contrairement à l’assainissement classique (un réseau, beaucoup d’eau, une station de traitement à la fin du réseau), ces systèmes alternatifs peuvent en effet s’adapter avec souplesse à des situations variées : ils peuvent être organisés autour d’une maison individuelle, d’un lotissement, d’un quartier ou d’une commune.
Mais les avantages sont nombreux : très peu de rejets toxiques dans l’environnement, des déchets valorisés, la captation de gaz à effets de serre, des économies financières pour les collectivités et les particuliers, la consommation moindre d’eau et d’énergie, ...
L’hygiènisme et son pendant contemporain, le principe de précaution, représente le deuxième frein : pour les autorités sanitaires, utiliser localement les déchets reste suspect. On craint les infiltrations dans les nappes phréatiques et autres spectres. On oublie simplement que c’est le mélange des déchets liquides et leur infiltration en aval qui constituent le principal danger. La séparation des selles et urines de l’eau usé règle définitivement le problème.
Enfin, le dernier frein, probablement le plus important, provient des multinationales qui ont investi le marché des eaux usées. Ils leur faudraient faire une douloureuse reconversion vers le marché, moins lucratif, de l’équipement des particuliers et collectivités en phytoépuration, en réseau localisé d’usage de l’eau, en composteur, etc...
Comment les pouvoirs publics peuvent aider à voir émerger ces systèmes alternatifs ? En mettant en place une double politique.
1-L’instauration d’une contribution incitative sur les eaux usés, dont le produit servira exclusivement à financer les installations que certains particuliers et collectivités pionniers voudront réaliser.
2-le développement des filières d’utilisation des déchets utiles que vont créer ces systèmes alternatifs. Quand les selles, les urines et les eaux usées restantes auront un prix ; quand certaines entreprises viendront l’acheter à l’usager, alors celui-ci y verra son intérêt.
Il faudra à terme que chaque acteur soit devant l’alternative suivante :
soit je continue à me débarrasser de mes eaux usées mêlées, et j’accepte d’en payer le prix, chaque année, sous la forme de taxes d’assainissement de plus en plus coûteuses
soit j’investi dans un système alternatif qui pourra me rapporter de l’argent à terme puisque mes déchets séparés ont de la valeur et que je peux les vendre.
Conclusion : le sixième forum mondial de l’eau était construit autour de la thématique des solutions. On peut regretter que celles-ci ont été envisagé essentiellement comme une reproduction de nos systèmes d’assainissement. On peut regretter aussi que le forum alternatif, qui se tenait en parallèle, se concentre essentiellement sur la thématique du marché de l’eau courante et oublie les problèmes d’assainissement.
Principal de collège, agrégé d’histoire-géographie, j’ai été, dans une autre vie, technicien forestier à l’Office national des forêts et j’ai travaillé en Afrique sahélienne. |