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Crise : une issue franco-française

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Crise : une issue franco-française
(François Baroin et le Premier ministre, François Fillon, visitent l’usine Petit Bateau de Troyes, le 28 février 2011. Crédit photo : witt - sipa)
 
Pour faire redescendre le chômage qui explose et rapatrier les usines qui s’envolent, produisons et consommons bleu-blanc-rouge. L’idée fait son chemin chez les politiques. Est-ce « la » solution ou une aberration économique ? Enquête.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Panique à bord. Le groupe automobile PSA annonce la suppression de 6 000 postes en Europe. Au même moment, des salariés prennent le taureau par les cornes pour empêcher la fermeture de les infusions Eléphant dans les Bouches- du-Rhône. Dans le Calvados, ils sont 3 000 à défiler contre la délocalisation de leur usine de plaquettes de freins vers la Roumanie... Une sale journée ordinaire dans le royaume de France. Une journée de crise comme il y en a tant, comme il y en a trop ces derniers mois. Avec le libre-échange comme coupable de tous les maux ?

A voir le gouvernement bégayer depuis deux ans la mise en place de « primes à la relocalisation » et de labels « origine France garantie », on serait tenté de succomber au raccourci. Arnaud Montebourg et son concept de démondialisation ont séduit lors de la primaire du Parti socialiste. Marine Le Pen s’autoproclame, elle, championne du made in France. De la gauche à l’extrême droite, on pose les termes du débat : produire et consommer 100 % français serait-il la solution ?

Retour de bâton

« Fabriquer des ordinateurs en France nous coûterait dix fois plus cher que les acheter à des pays plus efficaces, plus spécialisés », pose d’emblée Olivier Bouba-Olga, économiste à l’université de Poitiers et spécialiste de la question. Pour lui comme pour nombre de ses confrères, cette option n’est en fait l’intérêt de personne. Et encore moins celui du consommateur. Car c’est lui qui, au bout du compte, passera à la caisse... et à la casserole. Soit en achetant au prix fort un produit fabriqué à l’étranger taxé par des droits de douane, soit en achetant un bien made in France plus cher. Taxer les produits importés reviendrait à pénaliser des entreprises implantées sur le sol français : « Pour produire en France, on importe des biens intermédiaires. Si vous les taxez, vous taxez aussi la production française », estime l’universitaire. Aujourd’hui, par exemple, si les sites d’assemblage de l’A380 sont – certes – implantés au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en France, la production s’ouvre aussi à des fabricants américains, japonais ou chinois.

Protéger ses frontières fait aussi peser le risque d’un retour de bâton. « On exporte 25 % de notre produit intérieur brut (PIB), rappelle Bernard Guillochon, professeur émérite d’économie à l’université Paris-Dauphine. Si vous freinez les importations, vous vous exposez à des représailles, et les emplois français du secteur exportateur seront gênés. » A long terme, croit Guillaume Daudin, chercheur à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, le protec- tionnisme crée de mauvaises habitudes : « Il encourage les entreprises à rester peu productives », car elles ne sont plus sou- mises à la concurrence internationale.

Des Chinois en France ?

Nos frontières économiques devraient donc rester des passoires ? Pas forcément. L’association « Pour un débat sur le libre-échange » (1), qui regroupe une vingtaine d’intellectuels et d’économistes, cherche une alternative. Pour l’un d’entre eux, Jacques Sapir – auteur de La Démondialisation –, « votre pouvoir d’achat dépend de votre salaire qui dépend de ce que vous produisez. Si vous détruisez votre industrie, vous n’avez plus de consommateurs ». Or, poursuit-il, 35% à 40% du chômage observé en France avant la crise est lié au libre- échange, c’est-à-dire aux délocalisations d’entreprises et aux destructions d’emplois induites chez leurs sous-traitants. La France a perdu plus de 70 % de ses emplois dans le textile ces quarante der- nières années, alors que plus de la moitié des achats d’habillement en Europe proviennent désormais de la Chine et de la Turquie. Alors par quel bout prendre les choses ?

Pour Jacques Sapir, il suffit de taxer les importations selon le coût salarial du pays d’origine. Ainsi, « une entreprise française n’aura intérêt à se délocaliser que pour alimenter un marché étranger et les entreprises chinoises se poseront deux fois la question de produire en France ». Quant aux hausses de prix qui découleront de ce protectionnisme, l’économiste estime qu’elles seront réelles, « de l’ordre de 4% à 5% », mais que les salaires progresseront eux-aussi. A condition, admet-il, de s’affranchir de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la pression de l’Union européenne.

Au cas où Bruxelles menacerait de sanctions, « nous dirions que nous retirerons d’autant notre contribution au budget européen ». Pan, dans les dents ! Pour Olivier Bouba-Olga, la chose est plus complexe. « On externalise trop souvent la faute. L’Allemagne est le premier partenaire de la France et elle a développé ses exportations grâce à la com- pression de ses salaires. Ça a fait du mal à l’industrie française, dans l’automobile, les métaux, les composants électriques et électroniques... » Dans l’Union euro- péenne, les deux tiers du commerce se font entre ses Etats membres. Affirmer que la France souffre uniquement de la concurrence déloyale des pays émergents, c’est aller (trop) vite en besogne.

Pinces à linge

Direction l’Auvergne. Bienvenue chez Laguell, petit fabricant de pinces à linge et de cintres installé à Cosne-d’Allier. Même si les articles en bois sont made in China, la PME n’a eu de cesse de maintenir à tout prix une usine en France. La recette ? Investir dans des procédés de production compétitifs, mais aussi dans le design, pour mettre au point des objets innovants, et profiter de sa localisation pour livrer rapidement ses distributeurs. La société s’est aussi appuyée sur un « management participatif » qui lui a permis de développer la polyvalence de ses salariés et donc sa flexibilité.

A l’arrivée, un turnover quasi nul. André-Yves Portnoff, consultant en prospective et stratégie (2) se délecte de cet exemple. « On peut produire français à condition d’avoir une vision à long terme, explique-t-il. Quand on méprise les subordonnés, les clients et les fournisseurs, cela débouche sur une mauvaise utilisation des compétences, un sentiment de frustration et, in fine, une mauvaise compétitivité. » De quoi balayer tout fatalisme ? Ces dernières années, les exemples de relocalisation ont nourri l’espoir d’un retournement de situation possible.

Le Cedre, le Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l’économie, en est persuadé. Il a été fondé il y a trois ans par le lunetier Atol – qui a rapatrié en France en 2005 la fabrication de sa collection Ushuaïa, jusque-là produite en Chine – et par le fabricant de meubles Majencia, qui a fait le choix en 2006 de faire revenir en Picardie les productions qui avaient, elles aussi, été sous-traitées dans l’empire du Milieu.

Amap et hard-discount

L’économique et la rentabilité, d’accord. Le social et l’emploi, très bien. Reste le troisième étage de la fusée : l’environnement. Oublié de la plupart des économistes classiques, le volet écologique est pourtant primordial, via les circuits courts. Selon le Réseau Action Climat, l’alimentation concentre un tiers des émissions de gaz à effet de serre d’un citoyen. En question : nos modes intensifs de culture, la transformation, la conservation, l’emballage et le transport... Et l’on ne s’étend pas sur les gaspillages ou les conséquences de la mondialisation des marchés agricoles, en termes de spéculation, d’envolée des cours, de crise alimentaire, etc.

Lutter contre ces évidences, c’est le lot quotidien des Amap, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (3), qui mettent en relation producteurs locaux et consommateurs. Pas d’intermédiaires, peu de trans- port, respect des saisons, production sans engrais ni pesticides chimiques de synthèse, juste rémunération... Il existe en France plus de 1 200 Amap qui regroupent 2 500 paysans et près de 80 000 exploitations concernées par les circuits courts. « Nous pouvons réorganiser les productions à l’échelle des régions », assure Emmanuelle Vande-Kerckhove, chargée de mission du regroupement d’Amap Alliance Provence. Et pas question de ruiner le consommateur : « Nous avons comparé un panier Amap et un panier acheté dans un hard-discount sur toute une saison : il n’y a qu’un euro de différence par semaine. » Il faut juste renoncer à manger des fraises en avril ou des avocats du Chili.

Le tableau est séduisant mais semble laisser de marbre les économistes. « L’environnement reste un discours assez théorique, estime Bernard Guillochon. Il n’y a pas un branchement fort avec les organisations qui gèrent le commerce. L’OMC dit surtout qu’il faut se méfier que ce ne soit pas un argument pour freiner les échanges. » Pas gagné, effectivement.

(1) Le manifeste pour un débat sur le libre-échange

(2) Directeur de l’Observatoire de la révolution de l’intelligence et coauteur d’Aux actes, citoyens ! De l’indignation à l’action (Maxima du Mesnil Editeur, 2011).

(3) Lire dans Terra eco n° 29 d’octobre 2011 : « Crise des fruits et légumes : seriez-vous prêts à acheter 100 % français ? A voir aussi, la campagne « Alimentons 2012 » qui vise à faire de la question alimentaire un sujet politique de premier plan dans la campagne présidentielle : www.alimentons2012.fr


L’état appelé à la rescousse

68% des Français considèrent que l’Etat doit s’impliquer dans le maintien des activités de production et de fabrication en France. C’est l’un des résultats d’une étude d’opinion commanditée par l’association Cedre (Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l’économie, fondé par le lunetier Atol et le fabricant de meubles Majencia) et menée en octobre par l’Ifop.

62% des professionnels interrogés (1) considèrent également que l’Etat doit aider et inciter les entreprises à localiser ou à relocaliser leur production sur le territoire national. Si la majorité se prononce en faveur d’une méthode incitative, un quart des personnes interrogées est même partisan d’une pénalisation des entreprises qui délocalisent (25% pour le grand public et 22% chez les professionnels).

(1) Dirigeants d’entreprise représentatifs des entreprises des secteurs de l’industrie et des services aux industries de 10 à 2 000 salariés.


A lire pour consommer « Made in France » :

La Démondialisation de Jacques Sapir (Seuil, 2011)

Les Nouvelles Géographies du capitalisme d’Olivier Bouba-Olga (Seuil, 2006)

Votez pour la démondialisation d’Arnaud Montebourg (Flammarion, 2011)

Mondialisation et délocalisation des entreprises d’Elias Mouhoub Mouhoud (La Découverte, 2011)

- La fabrique hexagonale

- Made in France

- Hexaconso

- Acheter français

- Les produits français

- Fabriquer en France

- France Avenue

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Journaliste indépendante. Collabore à Terra eco depuis novembre 2010.

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