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8-02-2012
Mots clés
Biodiversité
Afrique

Comment on accapare les terres de l’Afrique

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Comment on accapare les terres de l'Afrique
(Une agricultrice kenyane. Crédit photo : Alice Bomboy)
 
Les terres coutumières, gérées localement, sont une porte ouverte à l'arrivée d'investisseurs étrangers en mal d'espace pour développer un juteux business agricole.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Plus d’1,4 milliard d’hectares : c’est la surface occupée, en Afrique, par les « terres coutumières ». Leur particularité ? Elles sont gérées par les populations locales elles-mêmes. Sur ces ressources collectives – des forêts, des pâturages, des marécages surtout –, les communautés rurales s’organisent : on décide ensemble de l’accès à ces terres, de qui peut en jouir, comment on les exploite. Un fonctionnement anecdotique ? Pas vraiment ! Sur le continent africain, quelque 480 millions de personnes y sont liées. A l’inverse, les terres statutaires – entre les mains de l’Etat ou du droit national – font figure de confettis : au Kenya, elles ne représentent que 25% à 33% du territoire, en Ouganda, 12% à 15%, et ailleurs, seulement 1% à 2% en moyenne.

Pourtant, malgré leur étendue et leur importance sociale, les terres communautaires subissent de plein fouet une nouvelle menace : celle de la course mondiale à l’accaparement des sols, via laquelle les pays en manque d’espaces agricoles envahissent les surfaces arables, notamment africaines. Dégât collatéral : la mise en péril d’un système traditionnel assurant efficacement la subsistance des populations et la conservation de l’environnement.

Rien de moins qu’un nouveau « colonialisme »

Les méthode ont changé, mais la donne non. « Au cours du siècle dernier, les populations africaines ont subi une spoliation massive de leurs terres en lien avec la domination étrangère », explique Liz Alden Wily, spécialiste du droit foncier et auteur d’un rapport sur le sujet pour l’ONG Rights and Resources. Dès 1890, c’est l’établissement de colonies européennes en Afrique qui a entamé cette main mise sur les terres appartenant traditionnellement aux communautés. « Il n’y a pas de propriétaires en Afrique ! », se justifiait-on alors, constatant que le système en vigueur pour régir la propriété n’avait rien de comparable avec celui officiant en Europe (et donc qu’on pouvait le considérer comme inexistant...).

Après les deux guerres mondiales, en 1920 puis en 1945, c’est le développement, mené par les colons, des grandes plantations de café, de coton, de thé, de cultures vivrières, qui a amplifié le phénomène. A cette époque, il n’y a pas de doute : les terres communautaires ne font rien de moins qu’obstacle à la modernisation et au capitalisme, alors avalons-les ! Et entre 1970 et 1980, les gouvernements africains désormais indépendants ont eux-mêmes continué cette razzia, distribuant des terres communautaires à leurs fidèles élites. « Une des explications pour expliquer l’échec de la reconnaissance des terres coutumières est que les indépendances, majoritairement acquises dans les années 1960, n’ont pas conduit à de réelles libérations en Afrique. Les leaders d’alors sont rapidement devenus des businessmen, qui n’avaient aucune raison d’abandonner ces terres », résume la spécialiste.

Au Kenya, entre 1900 et aujourd’hui, les forêts sont ainsi passées d’une couverture d’un tiers du territoire à seulement 1,7 %, progressivement dépecées par les colonisateurs britanniques, puis les pouvoirs successifs, voire les caprices d’une ex-Première dame du pays souhaitant boire son propre « mixed tea »… Point commun avec l’accaparement des terres qui fait feu depuis les années 2000 ? Les communautés rurales perdent ces terres contre leurs volontés, et les richesses produites sur les terres monopolisées ne bénéficient pas aux populations locales mais sont réexpédiées vers les pays investisseurs.

Une porte grande ouverte pour les investisseurs

Seules rescapées de ce hold-up général, quelques poches de résistances, comme les terres coutumières du Ghana, que les Britanniques n’ont jamais réussi à s’approprier malgré leurs essais successifs, dès 1890, de s’emparer des forêts et de l’or qu’elles renfermaient. Depuis, celles-ci, qui couvrent plus de 18 millions d’hectares – sont toujours détenues par les chefferies et les familles. En Tanzanie, 60 millions d’hectares de terres villageoises, tout comme 7 millions d’hectares au Mozambique, sont réellement reconnues comme des terres coutumières.

Mais ailleurs, la majorité des 1,4 milliard d’hectares de terres coutumières sont revendiquées par les Etats, profitant de l’absence de titres de propriétés classiques sur ces terres pour en faire de facto la propriété des gouvernements. A la clé ? Mieux qu’un appel du pied, c’est une porte grande ouverte pour les investisseurs nationaux ou étrangers. Depuis 2007 et 2008, la ruée vers les terres s’est accélérée, nourrie par la crise pétrolière, qui a boosté le développement industriel des agrocarburants, et la crise des matières premières, qui a poussé à sécuriser les ressources en protéines animales et en céréales en les produisant sur toujours plus de terres. Résultat : d’après l’association Oxfam, 227 millions d’hectares de terres auraient ainsi été vendues ou louées depuis 2001 dans les pays en voie de développement. Soit l’équivalent en surface de l’Europe de l’ouest ! La moitié d’entre elles seraient situées en Afrique.

En Ethiopie, comme le rapportait en 2009 le Washington Post (voir la vidéo ci-dessous), les officiels justifiaient la vente ou la location de quelque 4 millions de hectares à des investisseurs étrangers, d’Inde, de Chine, du Royaume-Uni, pour l’espoir de voir se développer dans leur pays une agriculture plus moderne.

Une menace pour l’environnement et la subsistance des populations

Les critiques, pourtant, ne cessent de s’élever. Car les conséquences ne sont pas sans effet sur les populations qui détenaient auparavant ces terres coutumières. Sur celles-ci, 75% de la population vivraient en dessous du seuil de pauvreté. Or, comme le rappelle Liz Alden Wily dans son rapport, « plus un ménage est pauvre, plus sa dépendance vis-à-vis des ressources naturelles hors-exploitation est importante. Tout aussi important, de nombreux Africains en situation de pauvreté et vivant en milieu rural n’ont plus suffisamment accès aux terres agricoles pour compenser la perte des terres collectives ». Explications : alors que les nouvelles routes, les chemins de fer, les champs de palmiers à huile et de cannes à sucre ou les mines s’étendent sur les forêts et les espaces naturels, c’est autant de terres rendues indisponibles pour l’agriculture vivrière, les récoltes ou le pâturage des cheptels de la communauté.

En Ethiopie (voir la vidéo ci dessous), où le gouvernement se réjouissait donc de l’arrivée d’investisseurs étrangers en 2009, la réalité est finalement tout autre : déplacements de communautés, épuisement des terres pour produire des denrées qui ne bénéficient pas à une population souffrant régulièrement de famines mais sont directement exportées, etc.

En Ouganda aussi (voir la vidéo ci dessous), Oxfam affirmait en septembre dernier que plus de 22 000 personnes avaient été déplacées depuis 2004 pour les besoins de l’installation d’exploitations forestières aux mains d’investisseurs étrangers.

Le Liberia n’est pas épargné. Là, la compagnie malaisienne Sime Darby affronte la population locale. Cette dernière accuse le géant de l’huile de palme d’avoir, avec l’adoubement du gouvernement libérien, saccagé l’environnement. « Beaucoup pourrait perdre leurs habitats, leurs fermes, leurs cimetières et leurs sites sacrés, ainsi que les forêts et les ressources en eau dont ils dépendent pour leur survie », rapporte le New York Times dans une tribune. L’exemple est emblématique : en abrogeant le droit coutumier des populations locales, on leur a supprimé celui de subvenir à leurs besoins, mais aussi de protéger et gérer durablement leur proche environnement. Les études s’accumulent en effet pour montrer que les Etats sont souvent de piètres gestionnaires des forêts, alors que les communautés locales obtiennent de meilleurs résultats, et à moindre coût.

« Ce que nous observons aujourd’hui n’est qu’une continuité historique inhérente au capitalisme. Je ne vois pas beaucoup d’espoir pour les communautés quant à la sécurisation de leurs terres : la valeur de celles-ci pour les investisseurs est en ce moment trop importante, et les gouvernements les invitent à accélérer cet accaparement des terres depuis dix ans ! L’agriculture n’est plus seulement le commerce de denrées, c’est devenu un réel business. Dans ce contexte, les étrangers se disent désolés de la façon dont cela impacte les populations pauvres, mais ils ne font rien, car c’est pour eux en quelque sorte un sacrifice nécessaire... », assure Liz Alden Wily. Pour la spécialiste, une autre menace plane : celle de voir se multiplier les guerres sur le continent africain. « L’accès aux terres a été la cause de 73% des conflits entre 1960 et 2005. Et les périodes postérieures à ces guerres n’ont pas été plus encourageantes : les pays n’ont pas vraiment réformé leurs lois concernant les terres. Qui plus est, quand ces lois existent, que valent-elles si l’éducation n’est pas là et que les populations n’y ont pas accès et ne connaissent pas leurs droits ? »

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Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

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  • Il y avait en Afrique une sage maxime qui disait "la terre appartient à nos enfants" ; Cette affirmation coutumière, non seulement rendait la terre inaliénable, mais obligeait aussi à l’entretenir pour être transmise fertile à ses enfants.
    Évidemment notre ’civilisation’ faite de violence et de lois ne connait que la loi du plus fort et impose son Droit... qui ne respecte pas forcément celui des populations agraires qui vivent dans la tradition orale. Ainsi, un bout de papier contre une poignée de dollars peut évincer n’importe quelle population de ses terres ! Et les ’investisseurs’ ne s’en privent pas, hélas.
    L’idéal serait que les Nations Unies reconnaissent de manière officielle les Terres Coutumières d’Afrique et accorde ainsi un Droit inaliénable aux populations locales. Ainsi les ’investisseurs’ ne pourraient plus exterminer des ’indigènes’ pauvres, faibles et illettrés, mais devraient affronter la puissante ONU pour légitimer leur action.

    14.02 à 16h56 - Répondre - Alerter
  • expropriation de terres collectives, ça ressemble cruellement à l’expulsion des indiens d’Amérique, non ?
    C’est vrai, là on ne les scalpe pas, on se contente de les faire crever de faim. Ce qui est parait-il encore plus atroce.
    j’ai dit "faire" et pas "laisser" crever de faim, parce que je répète bêtement ce que dit Jean Ziegler, un homme magnifique nettement plus documenté que moi sur le sujet.
    Et, comme nous nous indignons de nos ancêtres colons américains, nos arrière petits enfants (parce que je suppose que l’humanité tiendra jusque là, pour mettre une note d’optimisme dans mon post) se demanderont comment on a pu faire, ou laisser faire ça.

    8.02 à 22h01 - Répondre - Alerter
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