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Amory Lovins : «  Je réquisitionnerais tout pour produire propre »

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SÉRIE. Ils construisent le monde de demain 1/4 - Amory Lovins fait souffler une bourrasque énergétique sur le monde. Très écouté par les hommes d’affaires et les conseillers d’Obama, il promet que les Etats-Unis se passeront de pétrole en 2040. Grâce à l’efficacité énergétique et aux renouvelables.
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Cela fait bientôt trente-trois ans que cet homme détient la solution aux problème énergétiques. Time Magazine vient de le classer parmi les 100 personnalités de l’année. Avec le Rocky Mountain Institute, think tank qu’il a créé en 1982, Amory Lovins est devenu l’oracle de l’efficacité énergétique pour des entreprises telles que le constructeur automobile Ford, le chimiste Dow Chemical ou l’avionneur Boeing. Il peut également se targuer d’avoir l’oreille des plus proches conseillers d’Obama. Ce type voit loin : il promet que les Etats-Unis pourront se passer intégralement de pétrole en 2040. Interview avec un pionnier discret, de passage à Paris pour la promotion de son livre consacré au « capitalisme naturel » (1).

Terra Eco. Si vous possédiez une baguette magique pour améliorer le monde en 2030, que feriez-vous ?

Amory Lovins. J’autoriserais et je réquisitionnerais tous les moyens existants pour économiser et produire de l’énergie propre et compétitive, quels que soient le type, la technologie, la taille, la localisation ou le propriétaire de ces moyens. Et je vous mets au défi de me trouver quelqu’un qui s’opposerait à une telle mesure ! Cela nous permettrait de passer plus rapidement du triptyque actuel pétrole-charbon-nucléaire à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables.

L’efficacité énergétique, c’est-à-dire l’ensemble des solutions visant à réduire les consommations énergétiques et électriques, est moins chère que le pétrole, le charbon ou le nucléaire, et plus rapide à mettre en œuvre. Et avec les renouvelables, elle résoud des problèmes comme le changement climatique, la dépendance au pétrole, la prolifération nucléaire et même la pauvreté, à des coûts moindres. Pour résumer, j’essaierais de rendre l’espoir possible et non le désespoir convaincant.

T. E. En décembre, se jouera à Copenhague l’avenir climatique de la planète. A quoi pourrait ressembler un sommet réussi ?

A. L. Ce serait un sommet où le monde entier adopterait un régime anti-émissions de CO2 cohérent et très agressif, et réaliserait dans la foulée que ce schéma n’est pas coûteux mais au contraire rentable. J’insiste là-dessus : économiser l’énergie coûte moins cher que de la produire.

T. E. Pourtant, la feuille de route américaine ne se révèle pas concluante pour l’instant.

A. L. Je ne suis pas d’accord ! La Chambre des représentants a voté in extremis, en juin, sa première loi pour réguler les émissions de CO2. C’est un progrès politique significatif dans ce pays.Une fois que le marché du carbone américain sera en place, les choses vont s’accélérer car chacun se rendra compte à quel point il est profitable et peu coûteux d’émettre moins de CO2. Avec les dispositions déjà prises au niveau des Etats et du secteur privé, nous bénéficierons alors d’un engagement qui, à l’échelle du pays, sera comparable, sinon supérieur, à ce que constituerait la ratification du protocole de Kyoto.

T. E. Les choses bougent-elles assez vite à votre goût ?

A. L. La compréhension de ce que l’on doit faire s’accélère. Cependant, la machine climatique s’emballe et il aurait été plus facile d’agir plus tôt. Mais apparemment, c’est l’une des spécificités humaines que de réagir aux dangers quand ils sont immédiats. Le réveil est en cours, d’ailleurs conduit par le monde des affaires. Ce qui n’est pas surprenant quand on comprend que la sauvegarde de l’énergie et des ressources profite plus à toute l’économie que leur gaspillage. Généralement, les choses bougent plus vite du côté du secteur privé, lorsque ce mouvement s’appuie sur le désir de la société civile. Et sur la nécessité… Il serait urgent que le monde politique comprenne cela : quelles que soient les priorités de nos dirigeants, qu’il s’agisse de sécurité de l’Etat, de compétitivité économique ou de préservation environnementale, les économies d’énergie s’avèrent un pari gagnant dans tous les cas.

T. E. Quelles sont les voies à explorer ?

A. L. Je vais vous raconter une petite histoire. Au début des années 1950, le peuple Dayak, sur l’île de Bornéo, souffrait de paludisme. La solution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) consista à épandre du DDT, un puissant insecticide, sur la forêt, ce qui décima les moustiques et fit reculer le paludisme. Bien. Mais au bout d’un certain temps, les toits des maisons des Dayaks, constitués de feuilles et de branchages, s’effondrèrent. En tuant les moustiques, le DDT avait aussi tué de petites guêpes qui se nourrissaient de chenilles. Ces dernières se mirent alors à dévorer les feuilles des toits. Et on se rendit vite compte – avec de petits insectes mangés par les geckos, eux-mêmes mangés par les chats – que le DDT avait intégré la chaîne alimentaire. Les chats sont tombés malades si bien que les rats commencèrent à proliférer… L’OMS, en croyant résoudre une épidémie de paludisme, se retrouva avec une épidémie de typhus et de rage sur Bornéo.

Je vous raconte cela, car si l’on ne prend pas en compte les interconnexions entre les choses, alors, les solutions se transforment souvent en sources de problèmes. En général, la cause d’une solution est un problème, sinon que solutionnons-nous ? Voilà pourquoi au Rocky Mountain Institute, nous exploitons toutes les connexions cachées pour faire en sorte que la cause des solutions soient des solutions. Nous résolvons, mieux, nous évitons, non pas un mais beaucoup de problèmes, sans en créer de nouveaux. C’est, selon moi, la piste majeure à explorer pour le XXIe siècle.

T. E. La crise financière est-elle, à vos yeux, une opportunité pour résoudre la crise climatique ?

A. L. La crise financière a eu le mérite de tuer dans l’œuf la plupart des projets de production d’énergie les plus stupides, même si une minorité subsiste. Je pense aux projets de réacteurs nucléaires qui survivent uniquement parce que les contribuables, et non les investisseurs, en supportent le risque financier, tandis que les constructeurs, eux, empochent la mise. En 2008, pour la première fois dans l’histoire, les investissements dans les énergies renouvelables au niveau mondial ont dépassé ceux dans les énergies fossiles ! Ils avaient diminué des deux tiers à la fin 2008, mais n’ont pas été autant touchés par la crise que les investissements dans les grosses centrales électriques, notamment celles au charbon. Et ils repartiront plus vite car les projets de petite taille, modulaires, rapidement connectables au réseau électrique présentent un risque financier moindre.

T. E. Mais de nombreux pays voient dans le nucléaire une solution…

A. L. Je crois intimement que l’énergie nucléaire est en train de mourir sous les assauts des forces du marché. Les réacteurs nucléaires se construisent à des coûts prohibitifs alors que leurs concurrents – les microcentrales électriques, les énergies renouvelables, la cogénération… – valent bien moins cher, avec des coûts en constante diminution. Par ailleurs, l’effondrement du marché du nucléaire est une bonne chose pour la préservation du climat. Pour chaque euro dépensé, les nouveaux réacteurs seront 2 à 20 fois moins performants pour éviter les émissions de CO2 que l’efficacité énergétique couplée à des énergies renouvelables. Et ce, en prenant 20 à 40 fois plus de temps, ce qui veut dire que le nucléaire évite moins l’effet de serre que le renouvelable… Désolé si vous l’avez manquée en France, mais cette révolution électrique a déjà eu lieu. En 2006, on a installé 1,44 gigawatt (GW) de puissance nucléaire, soit dix fois moins que l’électricité d’origine éolienne injectée dans le réseau cette année-là.

T. E. Les réacteurs se construisent pourtant à tour de bras, selon l’industrie nucléaire.

A. L. Le programme le plus ambitieux de construction de centrales se déroule en Chine. Il n’atteint pas le septième de la capacité des énergies renouvelables installées sur place. Selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2008, le monde a ajouté 40 GW dont 27 d’éolien et presque 5 de photovoltaïque. Le nucléaire, quant à lui, n’a mis en ligne aucune nouvelle centrale. Sur le nucléaire, la France me fait l’effet d’une île politique plutôt hermétique entourée d’un océan de réalités qui a pour nom le marché économique.

T. E. Une croissance infinie est-elle possible sur une planète aux ressources finies ?

A. L. Une croissance infinie de richesses matérielles, non. Mais une croissance infinie d’accomplissements humains, oui. Les marchés sont un superbe serviteur, un mauvais maître et la pire des religions. Leur usage responsable requiert une attention de tous les instants concernant ce que l’on veut et ce dont on a besoin : à combien évalue-t-on que c’est « assez » et comment devenir de meilleurs êtres humains. C’est cela le but premier du processus économique, qui devrait après tout exister pour servir les gens, et non son propre système.

T.E. Que pensez-vous des idées de la décroissance ?

A. L. A cause de la précarité, un Américain sur cinq vit déjà, sans le savoir, la frugalité. Avec la récession actuelle, cette proportion va en augmentant. Je trouve que ces idées sont gratifiantes pour ceux qui désirent les mettre en œuvre dans leur quotidien. Mais je ne suis pas à l’aise avec le fait de dire aux autres comment ils doivent vivre, même si j’essaie de donner l’exemple. —

(1) Natural Capitalism : comment réconcilier économie et environnement, de Paul Hawken, Hunter Lovins et Amory Lovins, éd. Scali (2008). Publié aux Etats-Unis en 1999.

A lire également : Facteur 4 : deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources, d’Amory B. Lovins, L. Hunter Lovins, Ernst Ulrich Von Weizsäcker, éd. Terre vivante (1997).`

Illustration : Julien Pacaud


L’Empire State au régime Lovins

A tout visionnaire s’attache un symbole. Amory Lovins vient probablement de trouver le sien : il travaille sur la réduction des dépenses énergétiques de l’Empire State Building, l’immeuble le plus haut de New York. Avec le Rocky Mountain Institute, il a calculé qu’il était possible de diminuer la consommation énergétique du bâtiment de 38 %, ce qui représente une économie substantielle de plus de 3 millions d’euros par an. Amory Lovins a également redesigné la maison des Clinton, « mais sans réussir à la rendre totalement passive [maison à très faible consommation énergétique, ndlr]. Car il aurait alors fallu toucher la structure du bâtiment. »

SUR LE MÊME THÈME

- Le dossier : les énergies renouvelables de demain
Sources de cet article

- Le Rocky Mountain Institute

- L’association négaWatt

- Le projet Lovins sur l’Empire State Building

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Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

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