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La télévision peut-elle changer le monde ?
lundi, 31 août 2009
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». , / David Solon /Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco , / Frédéric Stucin (M.Y.O.P) |
« Terra eco » a convié Jérôme Clément, président d’Arte, et Bernard Stiegler, philosophe des « technologies de l’esprit » à débattre des conditions nécessaires au développement d’une mire durable.
La télévision peut-elle changer le monde ?
Bernard Stiegler : Elle l’a déjà fait. Elle l’a même bouleversé de fond en comble. Sans elle, la société consumériste, qui repose sur la transformation permanente des modes de vie, ne se serait jamais imposée. La télévision est devenue presque exclusivement – Arte est une exception – le bras armé du marketing. Et au cours des dix dernières années, elle s’est transformée sous la pression de son hégémonie.
Jérôme Clément : Oui, elle a beaucoup évolué. Au début, l’une de ses missions premières consistait à créer du lien social. Autrefois, la famille se réunissait devant le poste. Il y avait un côté rituel. Le lendemain au bureau, dans la presse, on voyait naître des discussions collectives autour des programmes. La télé pouvait aussi créer des événements. Il y a eu Les Perses, la tragédie d’Eschyle adaptée à la télévision par Jean Prat en 1961, ou les conférences de presse du général de Gaulle, les grands débats politiques des années 1970-1980, l’émission « Vive la crise » d’Yves Montand. Mais ce qui jouait un rôle de lien social dans une famille joue aujourd’hui un rôle d’éclatement. Maintenant, chacun est dans sa chambre à regarder son émission sur des supports qui ne sont d’ailleurs plus forcément des postes de télévision.
Malgré cet éclatement, peut-on encore créer de grands événements à la télévision susceptibles d’influencer les comportements ?
J.C. : La multiplication du nombre de chaînes a rendu la chose plus difficile. Les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de foot créent encore des événements. Mais sur le plan politique, c’est terminé. Il n’y a plus de débats télévisés ou de grands accrochages. Même l’affaire Cohn-Bendit-Bayrou, lors des européennes, ne restera qu’anecdotique. Aujourd’hui, il faut passer par Internet. La télévision est reléguée au second plan. Comment répondre à cela ? Pour moi, être producteur d’une ligne éditoriale est l’élément le plus important. Une chaîne de télévision, c’est d’abord un concept et un projet. A partir de là, peuvent naître des événements. La diffusion du Monde selon Monsanto [documentaire sur la multinationale américaine des semences OGM, Ndlr] en a été un. Il s’est accompagné d’un livre, de débats… Ce sont des paris économiques et intellectuels. Mais quand la mayonnaise prend, l’impact est très fort.
Peut-on imaginer que la télévision puisse rendre les téléspectateurs plus citoyens sur le terrain du développement durable ?
B.S. : Non seulement on peut l’imaginer, mais le changement indispensable des comportements n’aura pas lieu si la télévision elle-même ne change pas fondamentalement. Que nous l’admettions ou non, nous savons tous que nous devons quitter le modèle industriel consumériste qui détruit la planète à grande vitesse, et que cela ne se fera que par un changement comportemental. Or, celui-ci dépend fondamentalement des médias. La question environnementale nécessite d’élaborer une écologie de l’esprit dont les médias doivent devenir les vecteurs.
J.C. : Un média ne peut pas rester étranger au mouvement général de l’opinion. On s’est bien rendu compte qu’il y avait là une thématique importante – la planète – qui intéressait beaucoup de gens. Sur Arte, nous avons maintenant « Global Mag », un magazine hebdomadaire sur le sujet, qui va peut-être devenir une émission quotidienne. Il faut répondre aux préoccupations générales. C’est notre boulot.
B.S. : La télévision pulsionnelle a détruit l’opinion en la transformant en audience. Opiner, c’est juger. Le temps de cerveau disponible ne juge pas, il absorbe. Il faut repenser en totalité les missions des médias audiovisuels et suspendre l’hégémonie que le marketing exerce sur eux. Il faut diminuer les ressources publicitaires sur tous les médias, et pas seulement sur le service public. La télévision doit se mettre au service de nouvelles utilités sociales et doit redevenir un instrument de socialisation et de formation de la responsabilité et de l’intelligence collectives.
J.C. : Il faudra des années… C’est compliqué de changer la mission, le fonctionnement, l’organisation d’une entreprise.
J.C. : Moi, je pense qu’il y a une sensibilité. Nicolas Sarkozy est un homme pragmatique. Mais énoncer un discours c’est facile, aller jusqu’au bout, c’est plus compliqué. Il est beaucoup trop tôt pour savoir si ça ira dans cette direction ou pas.
B.S. : Nicolas Sarkozy est confronté à une contradiction. C’est un génie de la télécratie. Or, cette télécratie est finissante – comme cela se manifeste en particulier du côté des plus jeunes générations. Si le président de la République était capable de rompre avec le système dont il provient, mais qui s’écroule, il deviendrait un personnage historique. Avouons que c’est peu probable.
BERNARD STIEGLER
Directeur du département du développe-ment culturel au Centre Georges-Pompidou et auteur notamment de La Télécratie contre la Démocratie et Pour en finir avec la mécroissance.
Photos : Frédéric Stucin -MYOP
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