Leçon numéro 1. Intoxiquez l’opinion
Avant de sentir le soufre, Enron était un gros industriel, spécialisé dans la distribution de gaz naturel. Mais les dirigeants se sentaient à l’étroit sur un marché surveillé de près et soumis à des règles strictes. Année après année, ils se battirent donc pour une franche dérégulation. Il fallait convaincre le pu-blic. Schématiquement, prouver aux consommateurs que la libéralisation ferait baisser leur facture d’électricité. Une multitude de groupes de pression s’employèrent à la tâche.
Aucune piste n’est négligée
Selon Sheron Beder, une chercheuse australienne spécialisée dans les questions d’énergie et d’environnement, c’est une étude du “Citizens for a Sound Economy” (CSE) qui acheva de convaincre l’opinion. D’après ce document, la libéralisation du marché devait entraîner une chute de 43% de la facture des consommateurs. L’étude fut reprise par des groupes de pression, des journaux, des hommes politiques. Personne ne mit en doute son indépendance. Enron, qui avait contribué à son financement, participa à sa diffusion ainsi qu’à l’intense campagne d’influence engagée à partir de 1996. Avocats, lobbyists, dons aux partis politiques... aucune piste ne fut négligée, jusqu’à obtenir la dérégulation tant espérée au tournant de l’année 1997.
Boom !
Quand en 2001, des coupures d’électricité plongèrent la Californie dans le noir et firent s’envoler les factures des consommateurs, les mêmes techniques furent employées pour convaincre les médias que l’incident était dû à l’importante demande, provoquée par le boom de l’économie. Avec quelques concurrents, Enron avait en fait manipulé les cours de l’électricité.Leçon numéro 2. Fréquentez le Gotha
Pour bâtir un empire industriel, rien ne vaut le soutien des élus de la Nation. “Les liens personnels et financiers avec le pouvoir politique constituaient la clé de voûte de l’édifice Enron”, estime Tyson Slocum. Ce n’est pas un secret : le patron d’Enron Kenneth Lay est un ami des Bush, père et fils. George W.Bush le surnomme “Kenny boy”. Un signe d’affection que lui a toujours rendu Kenneth Lay, l’un des principaux soutiens de la carrière politique de l’actuel président des Etats-Unis. Ses contributions personnelles totalisent 140000 dollars, selon le Center for public Integrity. Et, au cours de la campagne présidentielle 2000, Enron soutint le parti républicain à hauteur de 1,9 million de dollars.
Un plan taillé sur mesure
Portée au pouvoir, l’équipe Bush bâtit un “plan Energie” sur mesure, censé rendre les Etats-Unis moins dépendants des importations de pétrole. Lay fut reçu en privé à plusieurs reprises par le vice-président Dick Cheney. Dérégulation du marché de l’électricité, assouplissement des règles... Au total 17 mesures du “plan Energie” portaient la marque de Lay. Les organisations de protection de l’environnement n’obtinrent, elles, pas la moindre audience de Dick Cheney.
Leçon numéro 3. Soyez ambitieux, lancez-vous à la conquête du monde
Aux Etats-Unis, déréguler à tout prix s’est avéré une recette profitable. Dès lors, pourquoi ne pas y faire goûter le monde entier ? Enron était un des membres éminents de l’USCSI (US Coalition of Service Industries), puissant lobby d’industriels et maître de l’influence politique. A l’automne 1999 se tint à Atlanta, le World Services Congress, une grand-messe internationale des affaires, censée préparer le sommet de l’OMC de Seattle. L’USCSI et Enron - qui sponsorisait la manifestation - mirent à profit cette occasion pour avancer leurs pions. Parmi les mesures proposées, figurait la libéralisation du secteur des services.
La cueillette des contrats
Il s’agissait de pousser l’ensemble des pays de l’OMC à ouvrir leurs services - y compris les services publics - à la concurrence. La chose faite, les équipes d’Enron, spécialisées dans l’énergie, le trading, mais aussi les réseaux câblés et le papier, n’auraient plus qu’à débarquer et “cueillir” de nouveaux marchés. Outre ses relais à l’OMC et à l’USCSI, “l’entreprise s’est appuyée sur le gouvernement américain, qui pressait en faveur de la libéralisation du commerce”, écrit Darren Puscas, dans une étude de l’institut canadien Polaris. En Croatie, au Mozambique, en Inde, en Amérique du Sud, en Asie, les pressions des gouvernements américains ont permis à Enron de décrocher contrat sur contrat. Entre 1998 et 2001, la part des activités internationales dans le chiffre d’affaires d’Enron est passée de 6% à près de 25%.Articles liés :
Tiens... revoilà Enron !
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions