Les prévisions officielles sur l’activité du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes font décidément froncer bien des sourcils. Après la mise en lumière de sérieux doutes sur les avantages financiers du projet, ce sont les estimations de passagers que Terra Eco a détricotées.
Pour déclarer le projet d’utilité publique, les décideurs politiques se sont basés sur une enquête réalisée en 2006 par la très sérieuse Direction générale de l’aviation civile (DGAC). Dans le plus beau des scénarios, le document promet au futur aéroport quelque 8,5 millions de voyageurs à l’horizon 2050. Soit près du triple de la fréquentation actuelle de Nantes-Atlantique. Une justification de poids pour la construction d’un nouvel aéroport, plus grand, plus loin… Mais personne, parmi ceux qui se sont amusés à décortiquer tableaux et graphiques de cette enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP), ne parvient à comprendre sur quoi ces prévisions sont fondées.
Des chiffres à diviser par deux ?
L’association Nexus qui prône l’intermodalité, entendez la complémentarité des modes de déplacement, a fait ses propres estimations, relayées sur le site de Reporterre. Résultat : « Les prévisions de trafic de la DGAC peuvent au moins être divisées par deux », avance Bernard Fourage, le responsable du département des études. Son argument ? Aussi expertes que soient les têtes pensantes de l’institution rattachée au ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, elles ont « occulté » un détail d’importance : l’impact des 4500 km de LGV (Lignes grande vitesse) promises par le Grenelle de l’environnement. Pourtant, la concurrence existe. Parmi les passagers décollant de Nantes, plus de la moitié s’envolent actuellement pour une destination hexagonale, c’est-à-dire accessible en train.« La DGAC n’intègre pas les aspects rails »
Dans un premier temps, l’accusation d’omission n’a pas eu l’air de troubler la DGAC. « J’ai bien lu le communiqué de NEXUS... je me répète : la DGAC n’intègre pas dans sa/ses prospective(s) les aspects rails », confirmait, en décembre, Éric Héraud, son chargé de communication, à un journaliste du Télégramme. À l’époque Hervé Chambonnière avait déjà eu vent des allégations de Nexus et réclamé des comptes à la DGAC. Dans un mail daté du 18 décembre 2012, la réponse qu’il obtint alors respire la spontanéité.Février 2013 : même chargé de communication, même question posée cette fois par Terra eco. La DGAC a t-elle pris en compte l’impact des futurs LGV dans ses estimations de trafic ? En trois mois, le discours a changé. « Les effets de la mise en service des LGV constituent le module 3 de notre méthode de calcul basée sur un modèle économétrique », avance Éric Héraud sans reprendre son souffle. Pour bétonner son propos, le responsable des relations presse dégaine un document intitulé « évolution et perspectives de trafic à Nantes ». Au bas de la dernière page, un encadré confirme l’existence de ce fameux module 3.
Volte-face
Sauf que le document n’est pas daté de 2006, année de la réalisation de l’enquête, mais du 8 janvier 2013. Soit moins de trois semaines après la question d’Hervé Chambonnière. Un ajout a posteriori ? Plutôt que de reconnaître un oubli qui serait synonyme de chiffres gonflés, la DGAC louvoie.En réalité, le mot TGV n’est pas totalement absent de l’enquête menée en 2006. « La concurrence TGV » fait même partie des neuf variables-clés prises en compte dans l’élaboration des scénarios de trafic pour 2050. Mais, dans le texte, les projets à venir se résument à un seul chantier : « le barreau Sud » d’Ile-de-France qui, à l’horizon 2025, permettra à l’ensemble des LGV à destination de la capitale de faire halte dans les aéroports parisiens. Le projet s’étendra au maximum sur 31 km. Une broutille comparée aux 4500 kilomètres des futures lignes envisagées.
4469 km de lignes jamais mentionnées
Quid en effet de l’amélioration de la LGV Rennes-Paris en 2017 qui fera gagner aux Rennais 37 minutes et 8 aux Nantais ? Comment le TGV Tours-Bordeaux va t-il influencer les vols Nantes-Bordeaux ? Pour aller à Lyon ou à Clermont-Ferrand, si une liaison est-ouest, actuellement en gestation, prend forme, n’aura-t-on pas plus vite fait de prendre le train ? Dans le rapport de la DGAC, aucune de ces lignes n’est mentionnée.« Ces futures lignes LGV ont bien entendu été prises en compte » , se défend Eric Héraud. Pour prouver la bonne fois de l’institution, Franck Lisio, membre du bureau de la prospective avance même des chiffres. « Au global, l’effet des LGV à Nantes-Atlantique est estimé à une perte de 120 000 passagers en 2030 avec un maintien des liaisons aériennes sur Orly et CDG (Roissy-Charles de Gaulle, ndlr) », affirme l’expert pressé de clore le débat. En décomposant ce chiffre, la DGAC nous apprend que 72000 passagers seront perdus par l’aérien à cause des 8 minutes gagnées sur le trajet Nantes-Paris par la LGV Bretagne-Pays de La Loire, tandis que les 50000 voyageurs restants seront aspirés par l’ensemble des autres lignes.
Une méthode de calcul classée secret-défense
Mais sur la manière dont ces chiffres ont été obtenus : mystère. LA DGAC nous renvoie au fameux module 3 du modèle économétrique. « Le module 3 », késako ? « Le module qui prend en compte l’impact LGV ». CQFD. Et ce fameux modèle économétrique qui pourrait chasser tout soupçon de calcul au doigt mouillé, est-il possible de se le procurer ? Au sein de l’institution personne ne peut mettre la main dessus. « Et, dans tous les cas, on refuserait de le diffuser », tranche Franck Lisio. Pourtant, la déclaration d’utilité publique, fruit de ce fameux modèle et avocate intarissable du futur aéroport, est accessible en quelques clics sur le site de la préfecture de Loire-Atlantique. Mais la manière dont elle a été élaborée semble avoir été classée secret-défense.Et pourquoi, si l’impact des futures LGV a été pris en compte, celles-ci ne sont-elles pas mentionnées dans l’enquête menée en 2006 par la DGAC ? Il reste pourtant de la place dans la case « Concurrence du TGV » qui compose la grille des variables clés. « Parce que leur impact est vraiment anodin », rétorque Franck Lisio. Anodin ou relativisé ? Sur ces questions, la DGAC est passée maîtresse dans l’art des réponses évasives.
La future gare TGV d’Orly ignorée
Revenons aux 31 km de lignes TGV mentionnés dans l’enquête de la DGAC et à ce « barreau Sud » qui facilitera l’accès des nantais aux aéroports parisiens. Compte tenu du panel de destinations proposées à Roissy CDG et à Orly, faciliter leur accessibilité en train revient à réduire l’attractivité des autres aéroports français. Par ailleurs, les trajets aériens au départ de Nantes et à destination d’Orly et de Roissy drainent plus de passagers que tous les vols internationaux réunis. Pourtant, là encore, dans le rapport de la DGAC, la concurrence du train a été sous-estimée.Prenons la ligne Nantes-Orly. Aux alentours de 2025, une nouvelle gare TGV, directement reliée, grâce au « barreau Sud », aux LGV en provenance de tout le pays, verra le jour dans le deuxième aéroport de France. « En 2011, le projet a reçu un avis favorable à l’issue du débat public, il reste des étapes mais c’est sur le bon chemin », se félicite François Guliani, responsable de l’Interconnexion Sud-Ile-de-France chez Réseau ferré de France (RFF). Fini donc l’arrivée dans la bousculade de Montparnasse et les valises trainés dans le RER. Les Nantais qui voudront décoller pour les Antilles depuis Orly, pourront rejoindre l’aéroport en 2h30 sans descendre de leur wagon. Une bonne raison d’aller, en train, prendre l’avion.
Pourtant, « la future gare d’Orly n’a pas été prise en compte dans les estimations de trafic de Notre-Dame-des-Landes », reconnait Franck Lisio du bureau de la prospective et des perspectives de la DGAC. Comment pourrait-il le nier ? Dans l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, cette lacune est inscrite noir sur blanc. On y apprend que, sauf à considérer le scénario le plus négatif (qui fait tomber le nombre de passagers réguliers en 2050, à 4,4 millions), les estimations du trafic sont basées sur une « offre TGV minimale sans desserte d’Orly ». Soit un flagrant déni de la concurrence des futures installations ferrées.
Air France remplace ses avions par des trains
Pourtant, lorsque l’offre TGV s’améliore, le transfert de passagers de l’air vers les rails est un phénomène avéré. Il y a dix ans, un rapport du Sénat sur l’avenir des dessertes aériennes régionales tirait la sonnette d’alarme sur « les multiples suppressions de lignes desservant les petites et moyennes villes, considérées comme peu rentables ». Parmi les causes évoquées : l’amélioration du réseau ferré, dont on continue de constater les effets dans l’Est du pays.À Strasbourg, Air France, inquiète de voir ses passagers lui préférer le TGV, a pris les devants. Le 3 avril prochain sa ligne aérienne Strasbourg-Roissy va être supprimée. Pour acheminer ses 100 000 passagers de l’Alsace à Paris, Air France va ainsi remplacer ses avions par des trains, affrétés auprès de la SNCF. Le dispositif, qui existe déjà entre Paris et Bruxelles permet « de diminuer les coûts », explique Thierry de Bailleul, directeur régional France-Est chez Air France.
L’association Nexus promet le même destin funeste au vol Nantes-Roissy. En 2006, au moment de l’enquête de la DGAC, cette ligne, la plus fréquentée de l’aéroport, arborait fièrement ses 301 000 passagers. Mais pour Bernard Fourage, « en 2024, avec l’interconnexion Sud Ile-de-France, la ligne aérienne Nantes-Roissy n’existera plus ». Selon Les Échos, en 2008 Air France s’était en effet engagée dans une réduction de ses vols en régions. Interrogée, la compagnie se garde bien de clarifier ses projets. « Pour l’instant aucun projet semblable à celui de Strasbourg n’est envisagé », précise Raphaëlle Liu Ting, attachée de presse. « La rentabilité n’est pas notre seul critère », explique-t-elle.
Un réseau ferré plus solide entre Nantes et Roissy
Soulagée, la DGAC s’empresse elle aussi d’écarter toute comparaison : « Ce qui arrive à Strasbourg ne pourrait pas arriver à Nantes », assure Franck Lisio, « d’abord, en train, le temps de trajet Nantes-Roissy est plus long que le Strasbourg-Roissy » précise-t-il. Et c’est vrai. D’une demie- heure. La DGAC peut souffler, les choses ne devraient pas changer au cours des prochaines années. « Aucun gain de temps ne se fera sur Roissy, assure François Guliani de RFF, en revanche, la fiabilité de la ligne sera nettement améliorée ». Aujourd’hui, les retards fréquents liés au partage des rails avec le RER dissuadent les voyageurs de prendre le train. Mais, demain, François Guliani promet un réseau consolidé. Alors, si le vol Nantes- Roissy n’est pas condamné par les améliorations du TGV, nul doute qu’il en sera affecté. Dans quelles proportions ? Retour au module 3 et aux absences d’explications.« Tout ça m’échappe »
L’association Nexus croit voir clair dans le flou de la DGAC. « Évidemment personne ne peut détailler les calculs de l’impact LGV puisqu’ils n’existent pas », jubile Bernard Fourage. Il y a trois mois, à en croire le premier mail envoyé par Eric Héraud, lui et la DGAC semblaient tomber d’accord là dessus. Alors entre le mail catégorique envoyé au journaliste du Télégramme et l’apparition du mystérieux modèle économétrique dans le discours de la DGAC, que s’est-il passé ? Les estimations de la DUP réalisées en 2006 ont-elles été révisées quatre ans après la publication du document ? Entre 2006 et 2013, les chiffres sont pourtant restés les mêmes. « Car quand il a été élaboré, le document prenait déjà en compte l’impact LGV », soutient Éric Héraud. Dans ce cas pourquoi écrire un mail affirmant le contraire ? « Tout ça m’échappe », fini par lâcher le communicant.
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