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5-01-2006
Mots clés
Développement
Monde

Marchands de dette

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Ca ressemble à la grande braderie. Ici on annule, là on étale, ou encore on solde. Pourtant, la "dette" des pays en développement se chiffre toujours à 1600 milliards de dollars. Négociations secrètes, fonds vautours, clubs très privés... Terra Economica lève un coin de voile sur le monde mystérieux de la dette.
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Août 2005, aéroport Diori Hamani de Niamey au Niger. L’appareil d’Air France transportant une équipe conjointe du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale vient de se poser. Les deux délégations descendent sur le tarmac. Durée prévue du séjour : deux semaines. La mission débarque dans l’un des pays les plus pauvres de la planète, classé avant-dernier au hit-parade du développement établi par l’ONU en 2004. Près de 70% des 11 millions de Nigériens vivent avec moins d’un dollar par jour. Ordinateur et téléphone portable en main, les deux femmes et quatre hommes qui débarquent ce jour-là sont des spécialistes. Leur mission : collecter, lire et décortiquer. Pas sur le terrain, mais dans les colonnes de statistiques. Les deux équipes ont rendez-vous avec les hauts fonctionnaires du ministère de l’Economie. Ils débarquent dans la foulée des déclarations du G8, le 11 juin dernier à Londres : pour qui "il faut annuler la dette publique des pays les plus pauvres".

Les institutions financières cherchent toujours la bonne recette.

Cette déclaration n’est pas anodine. Le G8 rassemble les huit nations les plus riches du globe, par ailleurs principaux bailleurs de fonds des organismes financiers internationaux, dont le FMI et la Banque mondiale. L’enjeu est donc considérable. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mamadou Tandja en 1999, le Niger s’est vu coller l’étiquette de "bon élève" par les deux institutions fi nancières. Il fait partie des quarante-deux pays sélectionnés en 1999 dans le cadre de "l’initiative PPTE" (Pays pauvres très endettés), chargée de supprimer leur dette. La mission pour laquelle les six fonctionnaires internationaux viennent d’être mandatés à Niamey doit permettre d’établir si le pays a suivi l’ensemble des procédures. Dans l’affirmative, sa dette sera rayée d’un coup de plume [1]. Pour toucher le gros lot, le Niger a dû répondre présent aux trois examens de passage.

"Le pays a d’abord dû démontrer l’“ insoutenabilité ” du remboursement de ses emprunts, puis engager les réformes de fond exigées par le FMI. Avant - trois ans plus tard - d’accéder à la dernière bouée lui autorisant l’annulation de sa dette", explique Pierre Laurent, professeur d’économie à Paris-XIII, anciennement chargé des marchés émergents chez CDC Ixis. dix-neuf des quarante-deux pays initialement retenus, pour la plupart africains, bénéficient de la mesure [2]. Au total, 40 milliards de dollars de dette vont être effacés.

Jean-François Perrault est l’économiste qui a conduit la mission de la Banque mondiale au Niger en ce mois d’août 2005. Selon lui, c’est avec beaucoup de "retenue" qu’il faut saluer ce train de mesures. "Les choses avancent, confesse- t-il, mais en réalité, les institutions financières internationales cherchent toujours la bonne recette". Damien Millet, le représentant en France du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) en rirait presque. Pour lui, la "bonne recette" est évidente : annuler totalement et inconditionnellement la dette extérieure publique des pays pauvres. "On voudrait nous faire croire que le problème n’est que financier, c’est trop facile, s’insurge ce professeur de mathématiques. Derrière tout cela, les enjeux économiques et politiques sont immenses !"

Ajustement quasi-militaire

Retour en arrière. L’histoire de la dette remonte aux années 50. A l’époque, les banques commerciales occidentales regorgent de dollars et prêtent aux pays pauvres qui veulent financer leur développement. C’est ce qu’on appelle la dette privée. Avec les chocs pétroliers des années 70, le phénomène s’amplifie. Cette fois, ce sont les Etats du Nord eux-mêmes qui sortent le portefeuille. Asphyxiés par leur facture énergétique - dans un contexte d’explosion du prix du baril de pétrole -, ils veulent donner un coup de fouet à leurs exportations. Ils jouent alors aux banquiers des pays pauvres, qui ne demandent pas mieux pour financer leur développement. C’est ce qu’on appelle la dette bilatérale, qui met en scène deux acteurs : "Moi la France, je te prête de l’argent à toi, le Niger, en échange duquel tu laisses mes entreprises prendre des contrats sur ton sol".

Le troisième rôle de la pièce est dévolu à la Banque mondiale. Tenue par les Etats-Unis, l’institution internationale multiplie elle aussi les financements aux pays pauvres. Mais ce beau manège cesse brutalement au début des années 80. Le prix des matières premières - principale richesse des pays d’Amérique latine et d’Afrique - chute soudainement. Les Etats-Unis relèvent leurs taux d’intérêt, et ceux des prêts bilatéraux suivent la tendance. Très vite, le Sud se retrouve sans le sou. En 1982, le Mexique est le premier à reconnaître qu’il ne peut plus rembourser. Débarque alors le pompier de service : le Fonds monétaire international, quatrième acteur de la pièce.

L’annulation de la dette pour 19 pays n’est qu’une goutte d’eau.

Désigné "prêteur en dernier recours",ce qui lui vaut le droit d’imposer ses conditions. Celles-ci sont récurrentes et répondent à une priorité : la baisse des dépenses publiques. Pour atteindre l’objectif, un arsenal de mesures d’"ajustement structurel" est à disposition. La privatisation des entreprises d’abord. Au Pérou, les télécommunications, l’assainissement, l’électricité, mais aussi l’industrie minière ont par exemple quitté le giron de l’Etat dans les années 90. Mais l’austérité se décline plus largement. Un gel des salaires est décrété, les dépenses sociales amputées, la planche à billets est surveillée de près, "il faut, résume Pierre Laurent, non pas relancer l’économie, mais stopper les hémorragies". Bref, les pays sont soumis à un ajustement quasi-militaire afin d’éviter l’explosion des dépenses publiques. Le FMI et la Banque mondiale étant financées par les cotisations de leurs pays membres, cette dette est qualifiée de multilatérale.

Tout cela a un coût. Le Brésil traîne aujourd’hui une dette extérieure de 253 milliards de dollars, suivi de la Chine avec 194 milliards de dollars. "Si l’on fait les comptes, analyse Jean Merkaert, chargé des financements du développement au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), la dette extérieure des pays en voie de développement dépasse les 1500 milliards de dollars (479 milliards de dollars d’origine multilatérale, 418 d’origine bilatérale et 658 contractés par les gouvernements auprès des banques privées). Les mesures annoncées en décembre concernant l’annulation pour 19 des pays les plus pauvres ne sont qu’une goutte d’eau". Le coup médiatique enclenché par le G8 et traduit dans les faits il y a quelques jours ne concerne - au regard des chiff res livrés par la Banque mondiale - que 2,5% de la dette totale. Le chemin est donc encore long.

Près de 60% de la dette des pays en voie de développement est d’origine privée. Elle est donc entre les mains des fonds de pension, des banques commerciales mais aussi de gros investisseurs fortunés qui eux, ne parlent pas d’annulation. Cette dette ne concerne pas les pays les plus pauvres de la planète, que les investisseurs privés préfèrent éviter : les risques financiers y sont immenses. Non, cette dette est le fait des pays "aux revenus dits intermédiaires" comme l’Equateur ou les Philippines, pour lesquels aucune annulation n’est encore d’actualité.

Damien Millet du CADTM en est scandalisé. "En fait on annule une dette dont on sait qu’elle ne sera jamais remboursée du fait de l’extrême pauvreté du pays. Derrière, on lui impose un ajustement draconien histoire de remettre les niveaux à zéro et on peut lui soumettre de nouveaux prêts qu’il sera cette fois en mesure d’assumer..."

FMI ou Vatican, même fonctionnement

Les adversaires de la dette, dont les rangs se garnissent mais dont l’action est demeurée longtemps sans écho, ont reçu ces dernières années des soutiens de poids, au sein même des institutions internationales. Hormis Bono, le chanteur de U2, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001 et ancien économiste en chef de la Banque mondiale a pesé de tout son poids. Son livre-brulôt La grande désillusion a ouvert le feu en pointant les échecs du FMI. Selon lui, "c’est l’Occident qui - via les structures financières multilatérales - a organisé la mise en place de la mondialisation de façon à recevoir une part disproportionnée de ses bénéfices, aux dépens du monde en développement".

Dans son ouvrage Enemigos, l’Argentin Claudio Loser, chef de la région Amérique Latine au FMI entre 1994 et 2002, ne décolère pas non plus. Il compare le fonctionnement du Fonds à celui du parti communiste ou du Vatican. Et souligne que "les Etats-Unis utilisent désormais le FMI comme ils utilisaient leurs Marines dans le passé pour stabiliser des pays tiers".

Jean-François Perrault, économiste à la Banque mondiale, confie lui-même être "soulagé" de ne pas travailler pour le compte du Fonds. Même si, admet-il, "on y gagne beaucoup mieux sa vie". "Il ne faut pas tout voir en noir. Certaines choses se sont améliorées en 50 ans, se défend-il, la Banque a notamment été performante pour l’assainissement ou l’éducation".

Reste que, selon un calcul du CADTM, inspiré des statistiques de la Banque mondiale elle-même, et que personne ne remet en question, les pays en développement - 165 au total - ont déboursé 5300 milliards de dollars entre 1980 et 2004 pour le paiement de la dette et de ses intérêts. C’est presque 10 fois le niveau de ce qu’ils devaient rembourser en 1980, intérêts obligent. "C’est aussi 417 milliards de dollars de plus que ce qu’ils ont reçu en nouveaux prêts pendant la même période", conclut Damien Millet.

Dans une allocution prononcée à Bruxelles, en novembre, un homme né un premier mai à Bayonne, il y a 72 ans, lâchait cette phrase : "Le procès des pays industrialisés dans l’assistance aux pays en développement n’est plus à faire. L’heure est désormais au partenariat entre Sud et Nord". Après avoir assuré la direction générale du FMI de 1987 à 2000, été président du Club de Paris, l’homme dirige désormais les Semaines sociales de France et semble admettre l’échec passé des institutions financières. Son nom ? Michel Camdessus.

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[1] Le FMI a annulé le 23 décembre sa créance avec le Niger estimée à 111 millions de dollars.

[2] Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Cambodge, Ethiopie, Ghana, Guyana, Honduras, Madagascar, Mali, Mozambique, Nicaragua, Niger, Tadjikistan, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Zambie.

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Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

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