Jouer les "alters", sans en avoir l’air

Jean-Paul Fitoussi, L’idéologie du monde, chroniques d’économie politique, éditions de L’Aube, 223 pages, 9 euros.

Intéressant titre que celui-ci, l’Idéologie du monde, quand on sait que le présent ouvrage est un recueil d’articles publiés entre 1998 et 2003 dans... Le Monde. D’ailleurs, Fitoussi, figure institutionnelle de l’économie hexagonale, tient ses promesses : il reflète avec justesse la vision politique-économique (centre-gauche) du "quotidien de référence". Et pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire des idées, on trouvera dans cette Idéologie une illustration parfaite du cheminement de la pensée sociale-démocrate depuis cinq ans. Depuis que la balance du débat économique penche à nouveau quelque peu vers la gauche.

Economistes en panne d’imagination

Humant avec une certaine prescience l’air du temps, le président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) marque une évolution intellectuelle sans conteste influencée par la montée de l’altermondialisation. Qu’on ne se méprenne pas : Fitoussi n’appartient nullement au camp des "alters". Mais il est clair que le retour en force de la pensée "hétérodoxe" a imprimé sa marque. Ainsi, dans plusieurs textes, il dit découvrir, stupéfait, le conformisme et l’absence d’imagination des économistes et des politiques, à genoux devant la "pensée dominante", partisane du moins d’Etat, du moins d’impôts, etc. N’a-t-il pas entendu parler du concept de "pensée unique", inventé quelques années plus tôt par Ignacio Ramonet, responsable du Monde Diplomatique, pour fustiger le consensus des élites face à l’ultralibéralisme ?

A gauche, toute !

Plus loin, l’économiste marque à gauche toutes. Il parle d’"insécurité économique", de "régression sociale", se déclare partisan d’un interventionnisme d’Etat accru et refuse l’Europe des riches, la domination excessive des marchés financiers, les licenciements boursiers... Tout ceci, et c’est ce qui est troublant, dans une langue dénuée de toute radicalité, parfois même agaçante de prudence. Et pas une fois, il n’évoque Seatlle, Attac ou Naomi Klein, même pour les condamner. A le lire, il ne s’est apparemment rien passé dans le monde des idées économiques contre "la pensée dominante".

Avec un peu de mauvais esprit, on pourrait penser que Jean-Paul Fitoussi ne souhaite pas trop diriger les projecteurs vers ce qui se dit sur sa gauche, bien qu’il y prête manifestement une oreille attentive. Il va même jusqu’à écrire en 2000 : "C’est ainsi que fonctionne le système et ainsi que se perdent les utopies. Notre société semble avoir oublié le secret du partage équitable des fruits de la croissance". En fait, Fitoussi semble avoir oublié de lire la presse !