Bienvenue dans l’e(scroc)nomie !

J. K. Galbraith, Les Mensonges de l’économie, Vérité pour notre temps, Grasset, 92 pages, 9 euros.

John Kenneth Galbraith est un jeune homme de 97 ans, dont on ne répètera jamais assez le bien qu’il a fait à la science économique. Comment ? En y introduisant un ingrédient dont elle est bien souvent dépourvue : l’ironie. Tel un pépé anar qui, dans les austères réunions de famille, ose dire tout haut que le chapeau de tante Rose est moche, voilà plus de trente ans que ce professeur de Harvard, éminence grise de Roosevelt et keynésien résolu, démasque avec gourmandise les pédanteries de nos économistes. On sourit beaucoup en lisant son petit dernier, Les Mensonges de l’économie, mais attention, le feu couve sous la braise. Et sur le fond, les propos de JKG s’approchent plus de ceux de Naomi Klein que de ceux d’Alain Minc ! "Il existe un décalage permanent entre les idées admises (...) et la réalité."

Ce qu’il nomme - par politesse - les "mensonges innocents" ne le sont pas tant que cela car "ce qui arrange chacun, c’est ce qui sert ou ne gêne pas les intérêts économiques, politiques ou sociaux dominants". Les mots de l’économie reflètent ainsi un tripatouillage au service des plus forts. On pense que "capitalisme" n’a rien à voir avec "économie de marché" ? Erreur ! glapit JKG. "Quand le capitalisme, avec son signifiant historique, a cessé d’être acceptable, on l’a rebaptisé [économie de marché] (...) Il eût été difficile de trouver un nom plus vide de sens, et ce fut l’une des raisons de ce choix." "Economie de marché" porte un mensonge sous-jacent : faire croire qu’"aucun individu, aucune entreprise ne domine", alors que, selon Galbraith, quelques grandes firmes oligopolistiques modèlent - via la publicité et le marketing - les choix des consommateurs. Plus loin, il relève l’escroquerie du mot "travail" (reprenant une thèse que ceux qui ont lu son excellente Anatomie du pouvoir (Seuil) connaissent), appliqué sans distinction aux métiers pénibles et mal payés et aux professions agréables et lucratives. Ailleurs, il redonne au mot "management" son vrai synonyme : "bureaucratie" ! Ou nous apprend en vrac que le pouvoir actionnarial est une chimère, que la Fed (banque centrale américaine) n’a pas la moindre utilité ou que, depuis Enron, Max Weber et son Ethique protestante sont à peu près aussi efficaces dans la jungle économique qu’une raquette de tennis pour arrêter une météorite !