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17-05-2011
Mots clés
Géopolitique
Monde

Ben Laden : le sens réel de sa mort

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Ben Laden : le sens réel de sa mort
(Crédit photo : swanksalot/Flickr)
 
Et si l’opération de liquidation d’Oussama Ben Laden décidée à la Maison-Blanche était enfin une bonne décision stratégique ?, s'interroge Johann Hari, éditorialiste pour The Independent.
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Dès que la nouvelle est tombée, je me suis rendu à Times Square où j’ai été témoin d’une scène qui a mis en lumière toute la complexité de l’affaire.

Repassez vous rapidement le film à l’envers. Rembobinez ! Revenez à ce jour il y a dix ans, quand l’air, ici à Manhattan, était empli de poussière et qu’Ossama Ben Laden jubilait. Le gouvernement des Etats-Unis avait alors deux options : le scalpel ou le chalumeau. Avec un scalpel, on pourchasse les meurtriers fondamentalistes grâce à une surveillance patiente ainsi qu’un travail de renseignements et on les prive progressivement de tout soutien. Avec un chalumeau, on envahit un tas de pays, on perpétue massacres et tortures, et par la même occasion on fait grossir les rangs des soldats djihadistes bien déterminés à tuer. Ce jour-là, l’histoire s’est scindée en deux voies.

George W.Bush : le président idéal pour Ben Laden

Nous savons quelle voie Osama Ben Laden préférait. Il voulait entraîner l’Occident dans des guerres sanglantes infinies qui coûteraient des milliards de dollars et des centaines de milliers de vie. Il disait à ses partisans : « Nous avons mené une guerre d’usure contre la Russie pendant dix ans jusqu’à ce que le pays soit ruiné. Nous continuons la même stratégie avec l’Amérique, afin qu’elle saigne abondamment jusqu’à la faillite ». Pour atteindre cet objectif, « tout ce que nous avons à faire, c’est d’envoyer deux Moudjahidines [dans une région reculée] et de brandir un bout de tissu portant l’inscription « Al Qaida » afin que les généraux [américains] se ruent sur place et que l’Amerique enregistre des pertes humaines, économiques et politiques. » Il savait que les attaques – chaque fois plus intense - justifierait son discours sur l’Occident diabolique en guerre contre l’islam et que de nouvelles recrues viendraient grossir les rangs de son armée.

Quand le fils préféré de Ben Laden, Omar, a quitté Al-Qaida, il a raconté beaucoup d’histoires peu flatteuses au sujet de son père, y compris qu’il torturait à mort ses animaux domestiques. Difficile donc de le soupçonner d’avoir menti lorsqu’il a raconté que le jour de l’élection de George Bush : « Mon père était vraiment content. C’est le type de président dont il a besoin, qui va attaquer, dépenser de l’argent, et provoquer la chute de son propre pays. »

Une opération « clean »

L’Occident a réagi au 11 septembre en donnant à Ben Laden exactement ce qu’il attendait. Nous avons balayé nos belles valeurs, nous les avons privées de toute signification. Et chaque fois, le nombre de djihadistes a grimpé. Des études menées par Peter Bergen et Paul Cruickshank, experts en terrorisme, ont montré que l’invasion de l’Irak, et la torture pratiquée sur place, ont multiplié par 7 le nombre total d’insurgés.

Pourtant le week-end dernier nous a montré que les choses auraient pu se dérouler différemment. L’opération n’était pas parfaite : j’aurais de loin préféré que Ben Laden soit capturé vivant et jugé devant les tribunaux, plutôt que sommairement éxécuté. Mais l’attaque fut précise et les risques encourus importants pour réduire au maximum le nombre de victimes civiles. La torture n’a pas été employée. La majorité des gens dans le monde trouve ce genre d’action légitime. C’aurait dû être le premier – et sans aucun doute l’unique - recours à la violence perpétré en réponse aux événéments du 11 septembre. Au lieu de cela, plus d’un million de personnes sont mortes dans un déluge d’agressions. Ils étaient tout aussi innocents que les civils du World Trade Center, et leurs familles n’auront jamais l’opportunité de laisser éclater leur joie, dans la rue, à l’annonce du décès des hommes qui ont entraîné leur malheur.

1,5 milliard de dollars dépensés chaque année par djihadiste

J’aimerais pouvoir dire que c’est là toute la différence entre Bush et Obama, mais ce ne serait pas honnête. Cette opération est un moment atypique dans la politique extérieure d’Obama. La plupart du temps, Obama a suivi scrupuleusement la politique de Bush, et, à certains moments décisifs, l’a l’a même surpassé. Obama a doublé le nombre de soldats présents en Afghanistan. Il a plus que triplé le nombre de bombardements aériens sur le Pakistan et le Yémen, et ce même si pour chaque djihadiste tué, on dénombrait 50 civils décédés et qu’on entraînait, du même coup, plus de djihadistes dans l’engrenage.

Oussama Ben Laden est mort mais notre politique extérieure continue de lui offrir ce qu’il attendait. La nation se saigne financièrement afin de répandre le sang dans d’autres pays et produire encore plus de fureur. Selon des rapports fuités de la CIA, les combattants en Afghanistan constituent, pour la plupart, « une insurrection tribale et localisée ». Ils « se considèrent comme des opposants aux Etats-Unis, la puissance occupante » et n’ont « aucune revendication » au-delà des frontières de l’Afghanistan. Même le général David Petraeus, le nouveau patron de la CIA, assure qu’il n’y a qu’une centaine de combattants d’Al-Qaida dans tout l’Afghanistan. S’adressant au Washington Post, un gradé de l’armée américaine, a comparé le degré de renseignements sur ces soldats aux témoignages sur les « apparitions de Bigfoot » (1). Epluchez les chiffres et vous verrez que nous dépensons 1,5 milliard de dollars chaque année pour chaque combattant d’Al Qaida en Afghanistan. Y-a-t-il quelqu’un, hormi les consultants privés spécialisés en question de défense - qui gagnent une fortune - qui estime que nous utilisons là notre argent à bon escient ?

La solution ? Mettre fin à notre addiction au pétrole

Beaucoup de gens en colère se demandent si les autoritées pakistanes avaient connaissance de la présence de Ben Laden. Mais peu se demandent en quoi les actions de notre gouverment ont pu mener à cette situation. Ces trois dernières années, les Etats-Unis, avec le soutien de leurs alliés, ont envoyé des drones sur tout le pays, foudroyant au passage des milliers de civils. Et quand le pays a connu les plus graves inondations de son histoire, on en a profité pour intensifier les bombardements. Si cela se produisait dans votre pays, seriez-vous vraiment disposés à coopérer avec vos agresseurs ?

Ces dix dernières années, les partisans de la droite se sont vantés d’être durs face au djihadisme, tout en promouvant des politiques encourageant cette mouvance et qui ravissaient Ben Laden. C’est comme si vous vous vantiez de condamner le cancer du poumon, tout en exigeant de toute personne qu’elle fume 40 cigarettes par jour.

Si vous haïssez vraiment le djihadisme autant que je le hais, vous devriez chercher des méthodes qui l’affaiblisse vraiment. La seule et unique chose que nous pouvons faire, c’est d’opérer un réel changement structurel dans nos sociétés, en mettant fin à notre addiction au pétrole. Nous avons aujourd’hui besoin du pétrole du Moyen-Orient pour continuer à faire tourner notre civilisation, ce qui rend le conflit inévitable. Les peuples du Moyen-Orient veulent garder le contrôle sur leur pétrole et reverser les bénéfices au profit de leurs propres sociétés. Nous voulons avoir la mainmise sur le pétrole pour notre propre compte. Un seul camp sortira gagnant. Si nos gouvernements veulent remporter la bataille, ils doivent cautionner la répression des peuples au Moyen-Orient, sans tenir compte de ces révolutions démocratiques si enthousiasmantes, et à la place, armer et financer les tyrans les plus ignobles, comme la famille Saud. Tant que de telles politiques seront menées, les autres pays continueront de nous haïr violemment.

Dès que la nouvelle de la mort de Ben Laden est tombée, je me suis rendu à Times Square (New York) où j’ai été témoin d’une scène qui a mis en lumière toute la complexité de l’affaire. Un homme de 28 ans filait à travers la foule en liesse et les pompiers en larmes en tentant de vendre le drapeau américain pour 25 dollars l’unité. C’était un réfugié Afghan prénommé Awal. Il m’a dit, dans un anglais approximatif, qu’il avait fui son pays « à cause de la guerre » qui était « très mauvaise », mais qu’il aimait l’Amérique « parce qu’ici, on vit libre ». Un type alcoolisé qui se tenait non loin de nous, a entendu notre conversation et hurlé, avec un sourice en coin : « Je suis un Marine. J’ai probablement tué ton cousin ! ». Quelques personnes ont ricané, la majorité a grimacé. Plus tard, une partie de la foule s’est mis à entonner un champ, pour les troupes : « Ramenez-les à la maison ! Ramenez-les à la maison ! ». Qui Al Qaida doit-il craindre ici ? Si nous suivons le chemin tracé par les Marines, pavé de mépris raciste et d’agressions, les restes d’Al Qaida devraient pouvoir renaître de leurs cendres avec la recrue de nouveaux insurgés. Si, au lieu de cela, nous suivons la voie d’un ciblage précis des djihadistes, tout en restant généreux et ouvert sur le reste du monde, la mouvance s’éteindra. Ben Laden le savait. Nous le savons. Maintenant qu’il n’est plus de ce monde, arrêterons-nous enfin de nous laisser manipuler par ses mains mortes et froides ?

(1) Une créature légendaire qui vivrait au Canada et aux Etats-Unis.

Cet article a été originellement publié dans The Independent le 6 mai.

Il a été traduit par Eudoxie Jantet, Karine Marth et Emilie Pommier, « lectrices responsables » de Terra eco ayant répondu positivement – et nous les en remercions – à notre appel. Si vous voulez les rejoindre : cliquez ici et remplissez le formulaire de contact qui s’affichera
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Editorialiste pour le quotidien britannique The Independent et le site américain d’information Huffington Post.

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