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Qui sont les "Mr. Propre" des multinationales ? (suite)

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Des pompiers de service qui ne « sortent » qu’en cas de crise ?

Les crises secouent sans conteste le cocotier. Les catastrophes de l’Erika puis d’AZF ont, par exemple, servi de détonateurs pour les premiers engagements durables de Total. « Le groupe a effectivement mis en place une vraie politique de développement durable à son échelle de pétrolier, constate l’observatrice attentive Anne-Catherine Husson-Traoré. Globalement, c’est la pression qui fait bouger les choses. Mais en France, on manque encore d’aiguillons. » Les Néerlandais ont moins froid aux yeux. Le fonds de pension hollandais PGGM s’est permis de liquider les 37 millions d’euros investis dans le capital de Petrochina, au motif que le pétrolier chinois apportait des revenus au gouvernement soudanais accusé de violations des droits de l’homme.

En France, les campagnes d’ONG, comme celles des Amis de la terre sur le secteur financier ou du WWF sur le thon rouge sont restées assez confidentielles. Peu relayée par les médias, ce type de mobilisation laisse en général les entreprises de marbre. Mais en fait, le travail de M. Propre ne consiste pas tant à recoller les morceaux après une crise que de tout faire pour éviter qu’elle éclate. Il doit anticiper. Imaginer le fonctionnement de sa boîte dans un monde réchauffé, limité en matières premières, surpeuplé, asséché. Et faire en sorte qu’elle aille plus vite que les autres dans un monde à la réglementation grandissante. Premier exportateur de vin australien, Pernod-Ricard suit à la loupe les effets du changement climatique dans ce pays.

Lors des grandes sécheresses, il doit en effet faire parfois parcourir 300 kilomètres à l’eau pour irriguer les vignobles. Dans un souci d’optimisation, le groupe a donc choisi une irrigation au goutte-à-goutte. Cette mesure, parmi d’autres, a permis de diminuer de 9,9 % la consommation d’eau globale de l’entreprise sur un an. « En 2000, les gens ouvraient des yeux ronds quand on parlait changement climatique, se souvient Patrice Robichon, délégué au développement durable. Mais plus personne ne pose aujourd’hui la question : la non-prise en compte de ces phénomènes se traduirait immédiatement par une augmentation des risques pour l’entreprise. »

Le danger peut d’ailleurs prendre des formes très diverses. Orange anticipe ainsi l’arrivée massive du porno sur les portables, eux-mêmes de plus en plus utilisés par les très jeunes. L’opérateur investit actuellement plusieurs centaines de millions d’euros pour équiper les serveurs de filtres alors qu’aucune loi ne l’y contraint encore. Pour Vincent Jacques Le Seigneur, secrétaire général de l’Institut national de l’énergie solaire (Ines) et enseignant à Science-Po, anticiper les risques est une question de survie pour les boîtes. L’histoire ne fait que se répéter.

Dans les années 1990, gouvernements et opinions publiques s’inquiétaient des effets des gaz CFC sur la couche d’ozone. Paradoxe, le chimiste DuPont de Nemours, principal producteur de ces gaz, était également celui qui militait pour leur interdiction. « Logique : au moment de l’interdiction, ils avaient déjà mis au point des gaz remplaçants et ainsi éliminé tous leurs potentiels concurrents, rappelle Vincent Jacques Le Seigneur. A l’avenir, les normes vont devenir extrêmement contraignantes. Mais les “ gros ” les auront anticipées. » Reste que, dans certains domaines, le développement durable n’est pas encore considéré comme un facteur de risque. Le flou est notamment presque total sur les activités – polluantes ou pas – financées par les fonds bancaires. « Si on ne veut pas se contenter de juger une banque sur la consommation d’énergie de ses bureaux ou l’impression recto-verso des documents de travail, il faut identifier d’autres critères, réclame Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral CFDT. A part le risque de faillite, il n’y a aujourd’hui aucune pression sur les banques ! »

Des hommes qui sont pieds et poings liés avec la direction ? A les écouter, les M. Propres n’ont jamais été autant pris au sérieux qu’aujourd’hui. Dans les faits, la majorité des directeurs interrogés dépendent du directeur général, voire du pédégé. Certaines entreprises se sont même dotées de comités spécialisés au sein du conseil d’administration. L’enjeu est de taille.

Les investisseurs ont en effet les yeux rivés sur une nouvelle génération d’indices boursiers « éthiques » comme l’Aspi Eurozone, le Dow Jones Sustainability Index ou le FTSE4Good. Pour y entrer, les entreprises doivent se soumettre aux enquêtes d’agences de notation extrafinancières comme la française Vigeo, la suisse SAM ou la britannique Eiris. Apparues à la fin des années 1990, celles-ci dressent les portraits-robots des multinationales à partir de critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (émissions de CO2, parité hommes-femmes, relations avec les fournisseurs, accidents du travail, rejets de déchets…).

Pour ne pas rater le coche, les entreprises ont donc dû rassembler des données chiffrées auparavant inexistantes. « Au début, nous obtenions des informations dispersées, généralement sur les bonnes pratiques. On était loin d’une remontée systématique et structurée. Aujourd’hui, ces outils internes existent de plus de plus ! », remarque Nicole Notat, ancienne syndicaliste et fondatrice de Vigeo. Le leader européen de la notation extrafinancière a ausculté cette année 650 multinationales.

Au début des années 2000, toutes n’y étaient pas préparées. Stéphane Quéré, du département du développement durable de Suez, a même été débauché de son poste de directeur général de Paris Première pour s’attaquer aux indicateurs. « Il ne s’agit pas d’une action philanthropique, mais de management ! », affirme-t-il. Mais là encore, les indicateurs manquent parfois de précision. Direction Vivendi. Secteur du divertissement. Pascale Thumerelle s’avoue incapable de donner le nombre d’heures de programmes consacrées au développement durable : « J’ai par genre, mais pas par contenu. Ça reste très difficile à mesurer. »

Dans d’autres groupes, on agite la carotte salariale. Cette année, chez Danone, plus d’un tiers des bonus des comités de direction sont ainsi liés à des objectifs durables. « Cela signifie que, derrière, on met en place des outils de mesure de cette dimension et donc on avance ! », justifie Bernard Giraud. Dans l’attirail du leader mondial de l’agroalimentaire, figure Danone Way, une charte de management permettant à chaque filiale de s’autoévaluer sur des critères environnementaux ou sociaux.

Mais si les M. Propres ont l’oreille de leur pédégé, c’est surtout parce que leurs actions se traduisent chaque jour en écodossier nomies d’énergie, et donc en économies tout court. Vallourec, leader mondial du tube sans soudure, qui brasse des tonnes de litres d’eau pour fabriquer son acier, a diminué sa consommation de 35 % par tonne en cinq ans. Comment ? En recyclant notamment l’eau utilisée lors de certaines étapes de la fabrication. Chez Orange, qui développe ses activités de transmission à haut débit, on parie sur la ventilation des centraux des serveurs informatiques. « Ce nouveau système fonctionne à partir de la fraîcheur nocturne de l’air extérieur et de l’inertie thermique du bâtiment. Il ne coûte pratiquement rien, mais permet de réduire d’un facteur six à sept la consommation d’énergie par rapport à une climatisation classique », détaille Gentiane Weil, au siège parisien du groupe.

In fine, tous de grands schizophrènes ?

Décembre 2007. Le groupe Arcelor- Mittal n’hésite pas à faire du chantage auprès de la région wallonne, en Belgique. La multinationale ne relancera son usine de Seraing et ne prolongera la vie de deux autres unités au-delà de 2009 qu’en échange de quotas de CO2 gratuits. Tant pis si le numéro un mondial de la sidérurgie vient d’annoncer un bénéfice net de 10,36 milliards de dollars pour 2007. Derrière lui, ouvriers et opinion publique s’asseoient sur l’effet de serre. « Le poids du chômage est tel que tout le monde fait corps pour que le haut-fourneau redémarre ! Penser développement durable, c’est un bouleversement et ça ne se passera pas dans la béatitude. Si on ne veut pas avoir le couteau sous la gorge, il faut anticiper sur la technologie, sur la mutation professionnelle, sur la formation  », s’enflamme Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral CFDT en charge des questions d’environnement. Car pas de miracle : sans rentabilité immédiate, pas de marge de manoeuvre. Et quand cette rentabilité chancelle, c’est le développement durable qui trinque.

Mais là aussi les choses bougent. Il y a quelques mois, le cabinet d’audit PriceWaterhouseCoopers publiait une étude sur l’importance, en France, des politiques de responsabilité sociale de l’entreprise, réalisée auprès de quarante administrateurs. « 73 % estimaient que l’absence d’une telle politique faisait courir un risque au cours de Bourse. Même la rentabilité immédiate prend donc désormais en compte la responsabilité sociale et environnementale ! » remarque, optimiste, Philippe Vasseur, d’Alliances. La schizophrénie devient moins « douloureuse  » à mesure que le développement durable pénètre la culture d’entreprise. Pour Philippe Vasseur, « il est évident que la loi ne suffit pas. L’entreprise doit s’investir au-delà. Regardez la réglementation sur les handicapés : les entreprises préfèrent payer l’amende plutôt que de les embaucher. »

Une multinationale est capable de sortir 100 nouveaux produits par an, mais pas de changer les manières de faire de 100 000 personnes en un coup de baguette magique. Pour convertir Accor, et ses 170 000 salariés, Hélène Roques a lancé une journée annuelle du développement durable. Le rendez-vous n’a, selon elle, rien d’un gadget pour un groupe présent dans plus de 100 pays et où 99 % du personnel est local. « On ne peut pas dossier parler de la prévention contre le sida de la même manière à New York, à Dubaï, à Bamako ou à Shanghai, insiste-t-elle. Il y a des barrières culturelles considérables qui nous poussent à adapter notre calendrier de mise en route. » De la patience, c’est ce que Sylvie Benard, directrice environnement de LVMH, met en avant : « Entre le moment où l’on dit qu’il faut que la situation change, le moment où les gens l’ont intégré et sa mise en route, il faut deux à cinq ans : c’est humain . »

Le groupe de luxe, qui regroupe plus de 60 marques et plus de 70 000 salariés, sort 900 produits cosmétiques nouveaux par an, et, pour l’instant, pas un seul « bio ». Depuis son bureau de Boulogne, au siège, Sylvie Benard, ingénieur agronome de formation et convertie de la première heure, voit pourtant ses efforts faire tache d’huile. Pour acheminer ses sacs par bateau « 85 fois moins émetteur de gaz à effet de serre que l’avion » vers ses 500 magasins dans le monde, la marque Louis Vuitton a, par exemple, réorganisé toute sa logistique. Des hommes qui resteront toujours à la marge dans l’entreprise ?

Les M. Propres ne sont pas des révolutionnaires. « Le business reste prioritaire, nous ne sommes pas une ONG. Notre objectif, c’est aussi d’être performant pour pouvoir continuer à embaucher tous les ans », insiste Laurent Claquin, directeur du développement durable du groupe de luxe Pinault Printemps Redoute. En clair, production de masse ne rime pas forcément avec développement durable. Chez Pernod-Ricard par exemple, pas question de faire du bio dans les vignobles. « Les rendements s’effondreraient, s’exclame Patrice Robichon. Impossible de faire du zéro traitement. En revanche, nous nous dirigeons vers une agriculture raisonnée à haute valeur environnementale. » Insuffisant ! Pour Elisabeth Laville, du cabinet Utopies, le salut ne peut venir que d’un changement d’échelle. L’enseigne britannique Marks & Spencer a ainsi montré la voie.

En 2007, elle s’est lancée dans un vaste plan de transformation de son offre : affichage d’un symbole « avion » pour les aliments importés par voie aérienne, généralisation de la vente de café et coton bio, d’oeufs non issus d’élevages industriels, y compris dans les pâtes… Si Elisabeth Laville salue certaines sociétés comme Danone ou Lafarge, le pas décisif n’a, selon elle, pas encore été franchi au sein du CAC 40. « Fondamentalement, les multinationales n’ont rien changé à leur offre ! Or ce sont elles qui jouent un rôle dans l’évolution du marché. Sans une démarche proactive de quelques groupes, il ne se passera pas grand-chose. »

Quand Hélène Roques a pris la direction du développement durable chez Accor, en 2002, la politique de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants était naissante. « Les opérationnels qui ont mené ce combat en Thaïlande dès les années 2000 étaient courageux, car ce n’est pas naturel de refuser des clients pour un dossier hôtelier, dont le métier est de dire oui à tout le monde », explique-t-elle. Aujourd’hui, 6 000 employés, dans près de 40 pays, ont été formés, en partenariat avec l’ONG internationale Ecpat. « C’est la politique des petits cailloux qui a fonctionné », insiste Hélène Roques. Mais les voyants ne sont pas toujours au vert. Alors que les 500 hôtels Etap et Formule 1 ne proposent plus que du thé ou du café issus du commerce équitable, la généralisation aux 4 000 établissements du groupe reste inenvisageable pour l’instant, « faute de filières », justifie l’entreprise. « En Grèce, nos hôtels voulaient mettre en place une offre équitable pour les Jeux olympiques. Nous n’avons jamais réussi à les faire livrer ! Les produits issus du commerce équitable ne sont pas disponibles partout. »

Une certitude au final. Le superman ou la wonderwoman du développement durable n’existe pas. Pour autant, les entreprises avancent au rythme de leur force de conviction. Sur le terrain, soeur Cécile Renouard l’a plus d’une fois constaté : « Ces enjeux passent par la conviction personnelle, contre la rhétorique creuse. Dans ces grands groupes, les personnalités de directeurs de sites comptent beaucoup. Certains possèdent une véritable éthique de la responsabilité et peuvent avoir un effet sur les manières de faire. » Lorsqu’on demande aux M. Propres ce que leur fonction a changé dans leur vie personnelle, beaucoup sourient. Eux, dont la mission consiste à convaincre des mastodontes industriels et des réseaux de plusieurs centaines de milliers de personnes, avouent leurs faiblesses et leurs progrès, modestes, de consommateurs et de parents. Davantage de vélo, de tri sélectif, de vigilance à éteindre l’ordinateur le soir, de ras-lebol du gâchis. Bref, des hommes et des femmes. Comme les autres. —

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