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Dans les coulisses du marketing politique

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Aujourd'hui, une campagne politique se soigne autant que la promo d'un baril de lessive. Derrière cet arsenal marketing, des agences et des gourous de toutes sortes tirent les ficelles. Enquête.
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Dans tous les QG, l’effervescence a grimpé d’un cran. La bataille de l’Elysée a commencé. Même si le 22 avril 2007, date de l’élection présidentielle, semble encore loin, les partis sont en ordre de bataille. Priorité actuelle : la chasse à l’adhérent. Novembre pour les socialistes, puis janvier 2007 pour l’UMP, scelleront la fin des ambitions de tous ceux qui n’auront pas été désignés comme candidat de leur parti. Mais d’ici là, les états-majors doivent jongler avec les stratégies individuelles des hommes politiques. C’est la course à la caisse de résonnance. Et là, tout est bon. Le mot bien senti, la photo qui claque, ou l’émission choisie. L’homme politique est devenu un produit qu’il faut vendre au consommateur-électeur. Des méthodes, et des spécialistes existent pour cela. En jargon du milieu, on parle de marketing politique. "Un ensemble de techniques ayant pour objectif d’adapter un produit à son marché, de le faire connaître au consommateur, en le différenciant des concurrents", résume Michel Bongrand, professionnel du sujet et ancien conseiller de Jean Lecanuet.

Au menu des conseillers, toute une palette de prestations. Les plus classiques tirent les mêmes ficelles que la publicité. Des affiches officielles de campagnes électorales de candidats, des plaquettes et des spots télé. Mais les marketeurs dispensent aussi des séances de media training pour la télé, pour s’asseoir dans le fauteuil d’une émission politique, ou dans celui d’un programme de divertissement, chez Ardisson ou chez Ruquier. La com’ de crise fait aussi partie du tronc commun. Comment rédiger un argumentaire pour les médias, mener une conférence de presse, ou refuser d’avoir le mauvais rôle par exemple face à une grève. Mais ils sont aussi conseillés sur le choix des vêtements (la chemise bleue qui passe mieux à la télé), ou encore le "parler télé" - comment s’exprimer de façon simple et populaire, avec un maximum de vingt-cinq mots par phrase. Bref, un panel qu’il faut bien entendu monnayer.

Une voix, un euro ?

Une petite dizaine d’agences se partagent le gâteau. Le Service d’information du gouvernement (SIG) va par exemple faire ses courses chez Expression Conseil depuis 2001. Il y trouve la panoplie de conseils pour former ses ministres à la communication de crise, comme lors d’un conflit de routiers, ou pour les préparer à affronter un plateau télé. L’agence, fondée par l’ancien journaliste Jean-Pierre Verret, a réalisé un chiffre d’affaires de 730 000 euros en 2005. L’UMP joue quant à elle très collectif. Hémisphère Droit veille sur les aspects visuels et créatifs de la communication du parti, l’Enchanteur des nouveaux médias définit la stratégie du parti sur le web, et Optimus, dirigée par Alexandre Basdereff, fondateur de la start-up ChateauOnline, gère les opérations de marketing direct. Le tout sous la houlette de Franck Louvrier, bras droit à la communication de Nicolas Sarkozy depuis 1997. Autour de ces prestataires gravite une myriade de petites agences comme Imca, chez qui la journée de media training est facturée 400 euros.

Les poids lourds du secteur, Euro RSCG et Images et Stratégie, se font plus discrets. Ces deux agences n’assurent plus que des prestations à titre individuel pour leurs amis politiques. "Gratuitement", assurent en chœur leurs deux dirigeants. Thierry Saussez - accessoirement conseiller municipal UMP de Rueil-Malmaison - conseille Nicolas Sarkozy. Chez Euro RSCG, Bernard Sananès et Jacques Séguéla veilleraient, dit-on, sur Dominique de Villepin et Dominique Strauss-Kahn. Du beau monde mais qui ne nourrit pas forcément son homme. "Le marché s’est effondré en raison des lois qui interdisent la publicité politique", analyse Thierry Saussez, président de l’agence Images et Stratégie, qui tire le principal de ses revenus (3,5 millions d’euros) de prestations pour des collectivités territoriales ou des entreprises. "La com’ politique n’a plus de sens en tant qu’activité économique", renchérit Laurent Habib, directeur général d’Euro RSCG Corporate. Résultat, ces experts ont mis les voiles.

Thierry Saussez a posé le pied en Afrique en 1995. Trois ans plus tard, il y réalisait 50 % de son chiffre d’affaires. A son tableau de chasse, des clients comme Denis Sassou Nguesso, qui a pris le pouvoir au Congo-Brazzaville à l’issue d’une sanglante guerre civile, en 1997, ou Henri Konan Bédié, en Côte-d’Ivoire. De 1995 à 2000, Saussez fut missionné pour promouvoir ce pays auprès des investisseurs européens. Une "grande réussite", proclame-t-il. Avec des services qui vont bien au-delà du simple plan média : "réaliser des études de marché et des sondages en Côte-d’Ivoire pour les investisseurs, organiser des rendez-vous avec des journalistes et des investisseurs pour les ministres du pays lors de leurs déplacements en Europe, leur décrocher des pages pour des tribunes dans des grands journaux européens, ou encore organiser des voyages de presse...", énumère-t-il.

Mais la mode est passée, et c’est davantage vers les dirigeants des jeunes démocraties d’Europe de l’Est, que les marketeurs ont mis le cap, comme l’agence Optimum en Pologne. Pas le choix de toute façon. La batterie de lois votée au début des années 90 pour encadrer et moraliser le financement des campagnes électorales, a freiné le business. Pour les présidentielles, les dépenses par candidat sont plafonnées à 19 millions d’euros au total pour les finalistes du second tour. Et seuls ceux qui dépassent les 5 % des voix sont remboursés. Surtout, ces lois interdisent la publicité politique en dehors des emplacements officiels et définissent strictement la propagande autorisée.

Mais cela n’empêche pas les dépenses somptuaires. En 2002, Lionel Jospin a englouti 300 000 euros dans un premier meeting, à Lille. François Bayrou s’est offert un bus au colza pour 230 000 euros, d’après le Canard enchaîné. Outre les campagnes, les frais d’image relèvent aujourd’hui des dépenses courantes d’un gouvernement. Ainsi, en novembre 2002, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, et ex-directeur des campagnes marketing pour les cafés Jacques Vabre, lance un appel d’offres pour 90 000 euros. Le contrat ? Former ses ministres à la com’ de crise et les préparer à affronter un plateau télé. C’est l’agence Expression Conseil, dont le dossier est défendu par l’ex-présentateur du JT de TF1, Jean-Claude Narcy, qui emporte le morceau.

Ces formations ne sont pas l’apanage des "grands" élus. Les partis proposent aussi à leurs députés, maires ou conseillers régionaux, des séances de training audiovisuel. Une démarche qui "perd néanmoins son sens" dans les très petites agglomérations, relève Christophe Rouillon, maire PS de Coulaines, une petite ville de 8 000 habitants. Ses méthodes à lui restent artisanales. "Je travaille à l’instinct, sans étude d’opinion ou sondage", raconte ce maire, également conseiller général. Une élection cantonale qu’il a gagnée de 64 voix. "J’ai visité tous les logements collectifs, un à un. C’était la seule manière de s’imposer, et les adversaires ont été surpris, se souvient-il. Dans les élections locales, le contact direct demeure primordial. Si je rate un passage sur France 3, cela n’a rien de dramatique".

Le marketing prend le chemin de la campagne

En fait, la "révolution" date des années 60. C’est à cette époque que "l’étrange lucarne de télévision" bouleverse la manière dont les hommes politiques s’adressent aux électeurs. La France, encore bercée par les discours-fleuves du général de Gaulle découvre de nouvelles têtes, grâce à la loi du 2 novembre 1962 qui garantit à chaque candidat le même accès aux médias. Ainsi, Jean Lecanuet, surnommé "dents blanches, haleine fraîche" à cause de son sourire éclatant devient l’un des tout premiers candidats-produits. Son homme de l’ombre, Michel Bongrand, est un publicitaire qui a fait ses classes aux Etats-Unis, où il a rencontré le conseiller en communication de Kennedy, Joe Napolitan. Il en rapporte des méthodes de marketing commercial, qu’il applique à la politique. Celle-ci devient alors un marché - presque - comme les autres. D’ailleurs, en 1967, à la demande de Pompidou, Bongrand met en place un bureau des "services et méthodes", qui fournit des analyses du terrain, au profit des ministres. Et des sondages à foison. Le marketing politique s’est imposé.

Dans les années 80 - période faste de la communication politique -, l’outil télévisuel devient roi. Un passage raté sur le petit écran peut vite tourner à la catastrophe. La privatisation de TF1, l’importance croissante de l’audimat et de la presse people bouleversent le paysage. Dans le conseil, la com’ a trouvé ses nouveaux hérauts.

Un ex-premier ministre en boucle au zapping

Jacques Séguéla prend la tête d’Euro RSCG, et pond le slogan "la force tranquille" pour François Mitterrand, candidat à la présidentielle en 1981. "C’est la fin de la génération 68. L’affiche évoque des notions très conservatrices, comme le village, le retour chez soi", commente Philippe J. Maarek, professeur en sciences de l’information et de la communication à Paris-XII. Depuis, Euro RSCG a tenu le marché et conseillé des leaders de gauche, jusqu’à la coûteuse campagne de Jospin en 2002 : 450 000 euros. Dans l’autre camp, Thierry Saussez s’impose. Cet ancien militant gaulliste, passé par la pub, puis disciple de Michel Bongrand, monte sa propre agence en 1982. Les grandes figures de la droite passent sous sa coupe : Alain Juppé, Jacques Chirac, VGE, Edouard Balladur entre autres. Bref, les hommes politiques n’ouvrent plus la bouche sans l’aval de leurs communicants. Comme Jacques Pilhan, qui a assisté François Mitterrand pendant onze ans, puis Jacques Chirac à partir de 1995.

Ces techniques fonctionnent-elles ? Certes, "comme un nouveau produit a besoin d’un slogan et d’un logo pour être identifié par le consommateur, note Frédéric Jallat, professeur de marketing à l’ESCP-EAP, un homme politique a besoin de se différencier". Mais, encore faut-il que cette différence soit perçue et appréciée. L’adoption par les médias et, mieux encore, la reprise par les émissions parodiques, en sont un bon indice, et soutiennent l’efficacité de la stratégie. Ainsi, lorsque les Guignols de l’info tracent les parcours parisiens favoris de François Mitterrand et de Jacques Chirac, à base de monuments et de bouquinistes pour l’un, et restos moyenne gamme pour l’autre, c’est en partie le résultat des stratégies d’image des communicants. Qui s’efforcent de "décrocher un portrait dans Libération et une télé chez Ardisson ou Fogiel", explique Michel Bongrand.

Mais la volonté ne suffit pas toujours et l’histoire est jonchée de flops. L’association entre le candidat communiste Robert Hue et le très dandy Frédéric Beigbeder, ex-publicitaire censé ouvrir les portes des émissions télé, aux dernières présidentielles, en est l’illustration. Bide aussi pour Michel Rocard qui tente un retour en 2002 et qui s’aventure sur les dangereuses plates-bandes de l’émission "Tout le monde en parle" chez Ardisson. L’animateur lui envoie un "sucer, c’est tromper ?" au visage qui le plante - penaud - sur place. Echec sur toute la ligne qui tournera en boucle sur les zappings de tout le PAF. Pas mieux pour Laurent Fabius qui manque lui aussi son offensive en 2004. Son livre, Cela commence par une balade, supposé briser son image de froid technocrate est battu en brèche. Un échec que Frédéric Jallat interprète comme une "distance trop grande entre le produit et la promesse faite au consommateur" . Les candidats aux présidentielles de 2007 le savent bien : le marketing politique ne peut pas tout faire.

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- Michel Bongrand, Le marketing politique, PUF, 1993

- Philippe J. Maarek, Communication et marketing de l’homme politique, Litec

- Peter Gomez, Marco Travaglio, Regime, Bur 2004

- Alberto Cattaneo, Paolo Zanetto, (E)lezioni di successo, Etas 2003

- Stephen Smith, Antoine Glaser, Ces messieurs d’Afrique, Calmann Lévy, 1997

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