Scènes, climat et remue-méninges |
Par Hervé Fournier, Dominique Béhar |
29-03-2011
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Eric Oberdorff, chorégraphe : propos sur l’écoresponsabilité des compagnies de spectacle vivantLa compagnie humaine / Production "Léviathan" (Franco-Suisse) |
Vous dirigez la compagnie chorégraphique La Compagnie Humaine depuis 2002 et cette année, vous lancez une production « éco responsable », qu’entendez vous par là ?
La mise en oeuvre du projet "Léviathan" est la conjugaison de deux préoccupations. Depuis toujours l’eau me fascine : mers, torrents, lacs, pluie et même robinet ! Expérience physique puis intellectuelle par mes lectures à l’adolescence, puis ensuite les voyages, avec souvent une relation forte entre l’eau et les populations locales. Naturellement j’ai eu envie de porter sur elle mon regard d’artiste.
A cela vient s’ajouter ma réflexion en tant que directeur de compagnie. Il me semble que les structures culturelles doivent, par essence, être dans la mesure du possible des lieux d’expérimentations, et servir de modèles en terme de fonctionnement d’entreprise. J’ai pu ainsi observer l’intégration intelligente, pragmatique et économiquement viable de l’éco-responsabilité dans le fonctionnement de certains lieux de diffusions, comme des festivals de musique par exemple.
De cette observation ressort un autre constat : les compagnies de danse sont très peu nombreuses à s’engager dans cette démarche. Au-delà des convictions et des intérêts de chacun, il y a certaines raisons à cet état de fait : fragilité chronique des structures, peu de visibilité sur leur viabilité économique à moyen et long terme, manques de moyens et de temps pour se former et s’informer, etc. Précarité qui fait aussi partie du quotidien de la Compagnie Humaine. D’où cette problématique : réfléchir au moyen d’intégrer l’éco-responsabilité dans notre fonctionnement sans mettre en danger l’existence de notre structure.
"Léviathan" nous offre l’opportunité de passer à l’acte, en essayant d’être le plus cohérent possible entre le propos de la pièce et ses conditions de mise en œuvre. Nous avons effectué des recherches, sollicité des conseils, exploré beaucoup de pistes : mode de production, décor, transports, communication, énergie, etc.
La principale information qu’il a fallu intégrer est qu’il n’existe pas de modèle établi : il s’agit d’un domaine expérimental. Surtout, il faut tenter d’agir à notre échelle, pas à pas, en nous fixant des buts accessibles.
Un autre intérêt de ce processus est le dialogue renouvelé avec nos partenaires, diffuseurs ou coproducteurs. Notre démarche nous permet d’avoir de leur part un regard différent, plus global, sur notre projet. Elle nous permet aussi d’attirer d’autres partenaires.
Nous avons dû apprendre à communiquer très clairement sur notre démarche, spécifiant la frontière entre le processus de production de la pièce et son contenu, non-didactique et œuvre artistique à part entière.
N’est ce pas un effet de mode ?
Artiste, je suis avant tout un observateur privilégié de la société qui a (provoque, impose, cherche, crée) l’opportunité d’exprimer à haute voix ses questions, doutes, hypothèses, etc. Je me nourris de ces observations pour créer. Mon travail, mes recherches, toutes mes pièces, bien que très différentes dans leur esthétique ou dans leur approche tournent autour du thème de la relation à la l’autre, et la place de chacun dans un fonctionnement de groupe.
La compagnie est ausi très engagée dans les missions envers les publics. Son savoir-faire et son énergie lui valent l’estime des partenaires institutionnels, sociaux, éducatifs et culturels. Cet engagement social se traduit par exemple par des projets inscrits sur la durée de transmission (ateliers, répétitions publiques, etc), de témoignages (film documentaire sur un quartier sensible Nice), ... Mais tout ceci n’est pas nouveau, je n’invente rien. L’art est et a toujours été un miroir de la société ainsi qu’un déclencheur et un moteur en matière de réflexion aux problématiques de l’homme, notamment sociales.
Ne pas participer aujourd’hui à la réflexion sur l’état de la relation entre l’homme et la nature reviendrait en ce qui me concerne à manquer à mon devoir, et d’artiste, et de citoyen. Alors après, être ou ne pas être à la mode est vraiment le dernier de mes soucis. En étant un brin provocateur, je préfèrerais voir plus de gens s’impliquer vraiment et apporter leur écot au débat par pur opportunisme plutôt que s’abstenir par refus de "l’effet de mode". L’Histoire regorge d’exemples de ce type, et l’urgence de la situation pousse au pragmatisme : quand il faut se mettre au travail, on a besoin de tout le monde, peu importent les motivations.
Où pouvons-nous découvrir votre travail ? et comment allez vous impliquer vos diffuseurs ?
La Compagnie Humaine sera en mai à Monaco, en juin et septembre en Pologne, en septembre à Paris, en octobre au Nice, en novembre au Festival de Danse de Cannes avec une création, et en décembre au Théâtre de Grasse, où vous pourrez découvrir "Léviathan". Tout cela et plus sur notre site internet : www.compagniehumaine.com Quant aux diffuseurs, nous leur proposons de saisir l’opportunité de la thématique de "Léviathan" sur l’eau pour entamer une réflexion et une communication sur l’éco-responsabilité. Cela peut prendre différentes formes (ateliers, débats, formations, conférences, etc.) et toucher différents publics (scolaires, acteurs sociaux, politiques, opérateurs culturels, tout public). Bien entendu, nous ne pouvons forcer personne, ce n’est pas notre rôle et nous n’en avons de toute façon pas les moyens. Les diffuseurs sont des acteurs sociaux comme les autres, certains sont déjà sensibles au sujet, d’autres ne s’intéressent que modérément voire pas du tout au débat. A nous de trouver les arguments justes pour les inciter à rejoindre le débat.
Hervé Fournier et Dominique Béhar animent Terra 21, un bureau d’étude qui intervient notamment dans la sphère des industries culturelles, principalement la filière spectacle. |