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Vise le green

Par Benjamin Cliquet
26-03-2011

Sables bitumineux : quel écosystème après les opérations ?

Sables bitumineux : quel écosystème après les opérations ?
(Mine à ciel ouvert de Suncor, au nord de Fort McMurray, dans l'Alberta (Canada))
Pour ce 30ème article publié, Vise le Green vous propose un sujet spécial, un sujet qui reste peu couvert par les médias français et que j'avais déjà évoqué dans un article précédent : les sables bitumineux d'Alberta.

Comme la dernière fois, je vous conseille vivement ce reportage québécois sur les sables bitumineux. Pour réutiliser leurs chiffres chocs et résumer la situation, on dit que des sable bitumineux s’étendent sur un territoire de la taille de la Floride, pour des réserves de pétrole 5 fois supérieures à celles de l’Arabie Saoudite, sous la forêt boréale du nord de l’Alberta.

Cet article n’a pas pour but de vous exposer tous les problèmes posés par l’extraction de ce pétrole (information que vous retrouverez dans le reportage) mais de s’attarder sur un aspect qui a attiré ma curiosité : la réhabilitation des sols, et plus particulièrement des forêts. Pour nous éclairer, Bruce Larson, professeur de la Faculté de Foresterie et responsable du Département de Gestion des Ressources Forestières de la UBC (University of British Columbia), nous parle de son travail de recherche pour Syncrude, compagnie pétrolière présente en Alberta depuis 1978 et possédant désormais la plus grande mine de sables bitumineux au monde. Le site dédié de Radio Canada m’a également permis de compléter l’analyse.

Syncrude a souhaité travaillé avec Bruce Larson et son collègue Craig Farnden pour améliorer la fertilisation des sols. Cette multinationale est "mandatée par la province de l’Alberta pour restaurer la forêt à une valeur commerciale comparable". Comme d’autres entreprises, Syncrude a engagé des universités pour qu’elles contrôlent ce qu’ils font (cela fait plus d’une dizaine d’années qu’ils replantent des arbres). Beaucoup de connaissances sur ces sujets sont ensuite partagées avec les autres compagnies, notamment par le biais de conférences.

Bruce et son collègue sont donc allés voir les mines sur place et on leur a montré ce qui était fait pour combler les gigantesques trous (dignes d’un paysage lunaire). Le processus consiste "tout simplement" à remplir les trous avec le sable qui en a été enlevé. La seule subtilité est pour la couche supérieure (1m sous le sol) : de la tourbe est mélangée à la terre. Des pins gris sont ensuite replantés (soit le même type d’arbre que ceux qui poussaient auparavant). Le travail de recherche de Bruce et son collègue consiste à tester différents fertilisants sur ces terres et approcher au plus près la façon dont les pins gris croissaient avant les opérations d’extraction. Mais comme Bruce Larson me l’a admis, ils cherchent à savoir si les pins croissent, mais pas s’ils croissent correctement parce que c’est trop compliqué à déterminer.

Alors, comme nous dit Léo Paquin, biologiste responsable de la réhabilitation du territoire chez Suncor (première compagnie présente sur place, dès 1967) : « La réhabilitation, c’est simple. [...] On fait quelques suivis mais, essentiellement, on laisse la nature faire son travail. » Vous confirmez Mr Larson ? "Oui, le processus est incroyablement simple. Mais la question est "comment recréé-t-on l’écosystème ?"" Ce dernier subit des changements au cours de toutes ces interventions humaines. Notamment, les zones humides et les zones sèches sont déplacées. Alors qu’il y avait à l’origine de vastes zones humides, celles-ci sont maintenant fragmentées en zones plus petites. "C’est trop tôt pour dire si cela aura des conséquences négatives mais c’est un élément qu’il faudra surveiller." Craig Farnden a également remarqué une certaine variation dans la croissance des arbres, "ce qui est totalement normal", mais ils se demandent si cela a un lien avec les matières qui sont remises dans le sol. Les recherches se poursuivent sur ce point.

Mais une des plus grandes inquiétudes de ces deux chercheurs fut le traitement des sables pour en extraire le pétrole. Seule une petite partie des sables sont traités, seulement là où est accroché le pétrole. Ce sable reçoit alors de forte doses de produits chimiques, de sulphure et de sels. Que deviennent ces sables ? La question reste entière. En tout cas, même si ces sables traités étaient (sont ?) utilisés pour combler les trous, cela ne gênerait pas, selon Bruce Larson, la croissance des pins gris car les racines des arbres ne vont pas chercher de nutriments à plus d’un mètre de profondeur (or, jusqu’à un mètre au-dessous du sol, ils mettent de la tourbe et de la terre et non du sable).

Un écosystème "absolument pas identique"

Toujours est-il que même si le procédé de recréation de la forêt peut paraître simple, il y a de nombreux détails qu’il faut surveiller de près. Quant à la question de la recréation d’une certaine biodiversité, Bruce Larson explique que "quand on créé une nouvelle plantation, c’est difficile d’obtenir immédiatement une biodiversité". La "clé" pour une nouvelle biodiversité est la gestion du passage de la première à la seconde rotation (soit le passage de la première plantation de pins à la seconde). Dans l’Alberta, une rotation dure de 50 à 60 ans, donc "nous n’y sommes pas encore". La recréation de la biodiversité dépend finalement de l’échelle temporelle que l’on fixe. Il faudra donc accepter que cette problématique doit être traité sur le long terme et que les résultats sur le court terme sont difficilement mesurables.

Mais ce qui est finalement capital, c’est de savoir si à la fin du processus l’écosystème aura subi de quelconque(s) dommage(s). Pour répondre à cette inquiétude, Bruce Larson compare les opérations d’extraction des sables bitumineux à l’éruption du Mont Saint-Hélène dans l’Etat du Washington aux Etats-Unis, en 1980. Une vaste zone fut alors couverte de cendres mais l’écosystème fut recréé plus rapidement que ne le croyaient les experts. Cet écosystème est-il le même qu’avant l’éruption ? "Absolument pas", mais c’est un "système forestier viable et qui fonctionne". Dans la forêt boréale albertine, ils ne cherchent pas non plus à créer "une exacte réplique de ce qui a été détruit" mais un écosystème qui fonctionne. Et Bruce Larson conclut : "Ces choses arrivent tout le temps. Cette destruction de l’écosystème est causée par l’homme. Est-ce que ça en fait un phénomène différent des phénomènes naturels ? Je ne sais pas. C’est une question éthique."

Alors quand je lui demandai si l’on pouvait qualifier ces opérations de "désastreuses", il me répondit que "non, pas plus que l’éruption du Mont Saint-Hélène était un désastre" et que "les entreprises travaillent très dur et la province de l’Alberta surveille avec beaucoup d’attention". Et lorsque que je pointai la dangerosité des substances chimiques utilisées, il préféra botter en touche : "Je ne sais même pas quelles sont les substances chimiques utilisées".

Comment conclure un tel article de la meilleure des façons ? En laissant un spécialiste le faire, pardi (un spécialiste de la situation, pas des conclusions). Je laisse donc la parole à Gray Jones, biologiste forestier et directeur du groupe environnemental The Western Canada Wilderness Comity, qui nous livre son point de vue sur les opérations d’extraction des sables bitumineux : « Je ne suis pas un hypocrite : nous avons besoin de pétrole et d’essence, c’est la loi de la commodité. Tout le monde le fait. C’est juste l’ampleur des projets et la vitesse à laquelle ils sont développés. […] On développe sans avoir la technologie appropriée. Si on allait plus lentement, on pourrait ajuster la technologie en conséquence. »

A bientôt, Visez l’green, Ben

COMMENTAIRES ( 1 )
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  • Effectivement, on ne peut qu’être sceptique sur le retour à l’état initial de ces forêts. Comment peut on sérieusement douter que l’écosystème a subi des dommages probablement irréversibles. 1 m de vrai sol pour des arbres de cette hauteur c’est minable, quand on sait qu’un arbre fait presque autant de racines que de parties aériennes (en masse), et qu’il n’y a aucun nutriments dans le sable, qui est de plus très desséchant, on peut s’attendre à des arbres qui poussent de quelques m puis s’arrêtent de pousser.
    Et ne parlons pas de biodiversité , il doit y avoir une plus forte biodiversité sur ma moquette !

    9.04 à 19h34 - Répondre - Alerter
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