énergies des 2 mains |
Par LeG-Guil |
14-03-2011
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La Bataille de Fukushima a commencé |
Le monde s’est réveillé dimanche matin avec un nouveau mot japonais à son vocabulaire : Fuku-shima, du nom de la gigantesque centrale, qui rime sinistrement avec l’histoire nucléaire de l’archipel, et dont le nom, non sans ironie, signifie en japonais : « territoire de la bonne fortune ».
L’« accident préoccupant » pour Besson n’est-il pas, de facto, un nouveau Tchernobyl ?
Et, en France et ailleurs, le réveil est difficile ce matin alors que le circuit de refroidissement du réacteur N° 2 de Fukushima a cessé de fonctionner ce matin (lundi), selon l’agence Jiji. En outre, le niveau d’eau à l’intérieur est en train de diminuer, faisant craindre le pire.
Deux explosions se sont produites au niveau du réacteur N°3. Selon l’opérateur Tepco, dont la communication « de crise » rappelle que les informations sont très parcellaires, le réacteur a résisté. Le gouvernement nippon, qui jusqu’à dimanche voulait faire montre d’une certaine transparence, souligne que la possibilité de fuites radioactives est « faible ».
Enfin, des taux de radioactivité anormaux auraient été constatés à la centrale d’Okagawa, mais ceux-ci seraient rapidement revenus à la normale, sans que le sujet ne soit plus évoqué depuis 24 heures. Même si, comme le précise le commentateur de la BBC, l’explosion, si elle est impressionnante, n’impliquerait pas le réacteur en lui-même, mais un circuit de vapeur secondaire. Thèse corroborée hier par Greenpeace sur une chaine allemande.
Il ne s’agirait donc pas d’un nouveau Tchernobyl. Cependant, les niveaux de radioactivité sont extrêmement inquiétants, voire pour l’instant comparables à ceux de Pripyat dans les heures qui ont suivi l’explosion du cœur de la centrale ukrainienne.
Le nucléaire français, de plus en plus encombrant face à une situation brûlante
La France, fleuron du nucléaire civil, se réveille en ce lundi face à elle-même, en se demandant encore si le cauchemar de la nuit va se dissiper. „Frankreich blickt verunsichert nach Japan“ (« La France, inquiète, regarde vers le Japon »), titre la Frankfurter Allgemeine Zeitung ce matin, tandis que pour le Corriere della Sera, « La France regarde vers Tokyo » (« Via da Tokio »).
Nos amis belges se rassurent quant à eux, en affirmant que leurs centrales résisteraient à des tremblements de terre, sans évidemment pouvoir apporter de preuves empiriques.
Nos voisins le savent, les conséquences industrielles, stratégiques voire philosophiques de Fukushima seront considérables sur le pays aux 58 réacteurs (et qui opère les réacteurs belges).
Chacun constate, au gré des flux d’informations, que la situation empire d’heure en heure et que chaque nouvelle information est automatiquement ponctuée de messages rassurants, et qui, comme la réalité du terrain le prouve, cherchent surtout à minimiser la « catastrophe » qui est à l’œuvre.
Les médias relaient les dysfonctionnements techniques et les experts, que l’on sait la plupart du temps fondamentalement partisans, sont le seul éclairage technique qui est apporté. D’un point de vue journalistique, et simplement citoyen, la qualité de l’information reçue n’est donc pas satisfaisante.
Si le méga-séisme est la cause évidente des accidents en série sur les réacteurs japonais, ainsi que des moyens d’urgence amoindris voire inappropriés sur la centrale, nous constatons le caractère lourdement aggravant que constitue la forte nucléarisation d’un pays.
Si Areva a fait savoir que la mauvaise nouvelle japonaise était une bonne nouvelle pour le groupe, renforçait le groupe dans sa stratégie qui fait de son modèle phare, l’EPR, l’un des plus sûrs du marché, selon des sources citées par Les Echos de ce 14 mars, il convient de prendre un peu de recul et d’essayer d’analyser la situation en se prévalant du cynisme morbide qui caractérise ce secteur industriel.
Rendez-vous dans le monde de ceux qui nous appelleront « ancêtres »
Les Cassandre dans mon genre, qui essaient depuis toujours de sensibiliser leur entourage sur les dangers du nucléaire, et qui passaient pour des demi-fous jusqu’à vendredi, se sentent aujourd’hui le droit, voire le devoir de réitérer certains faits.
Si l’on excepte le risque d’accident en soi, le nucléaire civil engage l’Humanité sur des dettes radiologiques de centaines de milliers d’années, horizon auquel, chacun le sait, rien ne peut être pensé.
En outre, les dettes financières invisibles que les Français, plus que tous les autres, contractent, se transformeront en des centaines de milliards d’euros d’impôts, à l’heure où le pays décidera de démanteler ses centrales. Ce coût n’est pas connu, voire ignoré, ce qui rend évidemment l’électricité nucléaire extrêmement compétitive quand on ne regarde que le prix du MWh à la sortie du réacteur (en avortant au passage toute alternative énergétique).
Vu qu’aucun démantèlement satisfaisant n’a jamais été effectué, il est permis de penser que les anciennes centrales resteront telles qu’elles sont, à peine fermées au public, et ce pour des périodes que ni nous ni nos arrières-arrières ne pourront conceptualiser.
Les réseaux d’ingénieurs, en France mal dissimulés, de la doxa nucléaire prennent, au nom de l’intérêt général, des décisions qui impliquent l’ensemble de notre collectivité humaine, avec une arrogance scientifique qui mettrait l’Homme au niveau de l’Eternel, au sens propre.
Depuis Tchernobyl, l’hypothèse de l’accident nucléaire majeur s’était éloignée, le consensus se formant à nouveau autour d’une énergie propre et non émettrice de GES. EDF exerce des pressions énormes sur le gouvernement italien pour que le pays revienne sur le référendum qui a interdit en 1987 la construction de centrales dans la péninsule. Et Areva, secondé par Euro RSCG, nous vend le rêve d’une énergie miraculeuse dans un spot - que ceux qui lisent ceci connaissent certainement – imposant une relecture historique aussi univoque et malhonnête qu’un mauvais film hollywoodien.
Continuons de l’écrire, avec moins de CO2... et juste un peu plus de Césium 137
C’est au Japon que Damoclès avait accroché son épée
Mais l’épée de Damoclès, ignorée par le choix stratégique historique, réfutée par le discours dominant et les dédaigneux propos des ingénieurs vient bien de s’abattre sur un pays à genou : un des pays les plus avancés au monde fait en effet aujourd’hui face à un défi qui le dépasse largement. Face à l’énergie nucléaire, subitement, les hommes reprennent leur place d’irradiés potentiels, d’apprentis sorciers ayant bien trop joué.
Et maintenant, « que faire » ?
Enfin, à l’opposé des industriels de l’atome qui, en silence, se réjouissent de voir disparaître ce concurrent redoutable qu’était le Japon, les Cassandre de mon espèce, tels le mythe antique, se retrouvent presque désemparés face à l’ampleur du drame japonais, troublés que tant d’amis ne répondent plus par un sourire compatissant mais bien avec par un sentiment d’urgence qui doit aujourd’hui tous nous habiter.
Ira-t-on vers un moratoire ? Quelle ironie d’engager le pays dans un concept que l’on réserve d’habitude aux énergies renouvelables.
Si Fukushima marquera à jamais l’histoire humaine, il est trop tôt, pour réfléchir à la situation de crise. Nous sommes condamnés à suivre les informations que Tepco et le gouvernement japonais voudront bien laisser filtrer.
La bataille de Fukushima ne fait que commencer
Cependant, dès ce matin, les nucléaristes, tels une bête blessée, occupent avec fureur l’ensemble de l’espace médiatique, champ de la bataille de la communication et, comme à leur habitude, échafaudent des plans de com qui veulent faire passer leurs « ennemis » pour des chevelus annonciateurs d’apocalypse et éloignés de la réalité.
Camarades, c’est aujourd’hui sur ce front que nous devons gagner en légitimité. N’oubliez pas que ce que Lepage, Joly, Cohn-Bendit et les autres disent aujourd’hui peut esquisser un programme énergétique du futur.
Ne vous laissez pas donner une leçon de sciences physiques par un « spécialiste » qui ne souffre pas la contradiction. Ne laissez plus les élites auto-entretenues nourrir leur fascination morbide de la toute-puissance de l’Homme sur les éléments.
Il s’agit, aujourd’hui plus que jamais, de la survie de ceux qui nous appelleront ancêtres.
Mise à jour 16.03
Le 16 mars, Les Echos fait le même constat :
Transition énergétique, après-pétrole et énergies alternatives. |
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