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12-04-2012
Mots clés
Finance
France

L’Etat, croupier des pauvres ?

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L'Etat, croupier des pauvres ?
(Muffet - Flickr.com)
 
Le vendredi 13, on se laisse facilement tenter par une grille de Loto ou un jeu de grattage… surtout si l'on est moins verni. Or, l'Etat récupère une partie de la somme misée. Une taxation indirecte des catégories populaires ?
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Si vous êtes un peu joueur, et surtout un peu superstitieux, vous avez certainement coché dès le 1er janvier dernier trois dates dans votre agenda. Le 13 janvier, le 13 avril, et le 13 juillet. Tous trois tombent – ou sont tombés - un vendredi. Un vendredi 13, donc. Un double symbole, qui fait les choux gras des loteries à travers le monde. Et de l’Etat français.

Selon les religions et les croyances, le treize est perçu tantôt comme le nombre du mal (parmi les douze apôtres attablés autour du Christ lors de la Cène, il y avait Judas le traître), tantôt comme celui du renouveau. C’était le cas du temps des Pharaons, c’est toujours d’actualité pour les Chinois, qui voient en ce chiffre « une date propice pour tenter la fortune », expliquait Elisabeth Belmas, professeure d’histoire moderne à l’université Paris XIII, lors d’une conférence de presse organisée par la Française des jeux.

Transformer le malheur en chance

Quant au vendredi, il est « à la fois un jour maléfique – c’est le jour de la Passion du Christ - et bénéfique, car le jeûne et l’abstinence symbolisent également le contrôle de soi, sans oublier que ce jour précède le dimanche du renouveau avec la résurrection du Christ », a exposé de son côté Dominique Desjeux, professeur d’anthropologie sociale à l’université Paris Descartes, lors de la même conférence de presse. Pour l’anthropologue « jouer un vendredi 13 est une pratique qui s’inscrit dans le mécanisme de la transmutation du néfaste en faste grâce à des rites d’inversion ». En clair, jouer à cette date c’est défier le sort, renverser le négatif en positif.

Les loteries nationales le savent bien. Le vendredi 13, elles proposent des super cagnottes dans le but d’attirer un maximum de joueurs. La Française des Jeux (FDJ) n’échappe pas à la règle. Elle sort ce vendredi la grosse artillerie : le Super Loto atteint les 13 millions d’euros, et le jackpot de l’Euro millions met en jeu la coquette somme de 53 millions d’euros.

Tenter le coup, en y mettant le coût

Selon la FDJ, sept millions de prises de jeux sont enregistrées chaque vendredi 13, soit l’équivalent des mises d’une semaine normale. Et le taux de Loto Flash (la machine choisit les numéros de manière aléatoire) double pour atteindre les 70%. Ce qui montre bien que, en ces jours « porte-bonheur », les joueurs occasionnels sont plus nombreux que d’ordinaire. A raison de six euros en moyenne de mise hebdomadaire par joueur, et de 4,10 euros en moyenne pour les joueurs du vendredi 13, le marché de la loterie est juteux. Le chiffre d’affaires de la FDJ devrait encore gonfler cette année, après le CA record de 11,4 milliards d’euros de l’an dernier.

Le PMU aussi profite des hasards du calendrier. Il décompte chaque vendredi 13 une hausse de 13% des enjeux du Quinté+ par rapport à un vendredi habituel et une hausse de 17% pour le Quinté+ Spot, quand les chevaux sont sélectionnés en totalité ou en partie par la machine. Une étude datée du mois dernier du cabinet Xerfi relève d’ailleurs l’excellente santé financière de ces deux monopoles d’Etat, malgré la crise. Ils génèrent plus de 70% du produit brut des jeux de hasard et d’argent dans l’Hexagone. (Pour en lire la synthèse, c’est ici)

Une aubaine pour les caisses de l’Etat

L’Etat français s’en frotte les mains. Car il récupère une partie des mises dans ses caisses. Rien que pour la FDJ, elle s’élevait à 24,6% l’an dernier, soit 2,8 milliards d’euros. Pour les paris sportifs et hippiques, la fiscalité correspond à 7,5 % des mises des joueurs ; 2 % des mises pour le poker.

Une expertise collective de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de 2008 intitulée « Jeux de hasard et d’argent. Contexte et addictions » relevait que « le secteur contribue d’une manière non négligeable aux finances de l’État (6 milliards d’euros) et de 200 communes. »

Les catégories modestes ne sont pas des petits joueurs

Mais c’est en réalité auprès de ceux qui ont le moins d’argent que l’Etat se rémunère. « En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis mais aussi en France, on remarque que la proportion de non joueurs augmente avec le revenu, et que plus le revenu est élevé, moins le pourcentage de revenu consacré au jeu est élevé. On note aussi une relation inverse entre le revenu et les montants joués. Il y a bien une surreprésentation des populations les moins favorisées parmi les joueurs », explique Olivier Sautel, économiste chez Microeconomix.

L’expertise de l’Inserm le confirme (page 16 de l’étude) : « Les habitués des casinos sont à 41 % des inactifs sans emploi ou retraités. Les 6 millions de parieurs du PMU sont à 65 % des hommes âgés de 35 à 49 ans issus de milieux socioprofessionnels généralement modestes. Parmi ces parieurs, 55 % sont des clients réguliers qui jouent surtout le week-end, 40 % sont des joueurs occasionnels attirés par les grands événements hippiques et 5 % sont des passionnés qui jouent plusieurs fois par semaine. En 2006, 29 millions de personnes ont joué à un jeu de la Française des jeux ; 49 % étaient des hommes, 51 % des femmes et 34 % avaient moins de 35 ans. Les joueurs présentent à peu près les mêmes caractéristiques socioprofessionnelles que la population générale avec une légère surreprésentation des ouvriers et des employés. »

Les joueurs excessifs parmi ceux qui gagnent le moins

Une autre étude, menée en 2010 (soit avant l’ouverture du marché des jeux en ligne) et publiée l’année suivante par l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation à la santé) et l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) dresse le portrait-robot du « joueur excessif ». Il y en aurait 200 000 en France, soit 1,3% de la population totale des joueurs ayant misé au moins une fois au cours de l’année. La moitié de ces joueurs dits « excessifs » (47%) dépensent plus de 1500 € par an en jeux alors que 57,8% déclarent un revenu mensuel inférieur à 1100 €.

Une taxation indirecte sur les moins riches ?

Au vu de ces données, une question s’impose : la fiscalité sur les mises n’est-elle pas, pour l’Etat, une manière indirecte de taxer les catégories populaires, celles qui ne paient pas d’impôts sur le revenu et contribuent donc moins que d’autres à l’effort de solidarité nationale ?

« Il ne faut pas faire de procès d’intention, tempère Olivier Sautel, l’économiste. Je ne vois pas en cette taxation indirecte, anti-redistributive et non progressive, une volonté politique claire de taxer les plus modestes. Mais c’en est, c’est vrai, la conséquence. Et il est hypocrite de la part de l’Etat d’autoriser les publicités sur les jeux pour développer la demande - et donc conserver une ressource fiscale importante - tout en fixant des objectifs de santé publique dans la lutte contre l’addiction aux jeux. »

Ouvrir le marché pour taxer toujours plus

Le 12 mai 2010, a été publiée au Journal officiel la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Ce texte ouvre aux sites de paris en ligne le secteur des jeux d’argent et de hasard, jusqu’ici détenu exclusivement par la Française des Jeux (pour les jeux de loteries et les jeux de pronostics sportifs) par le PMU (pour les paris hippiques) et par les casinos (pour les machines à sous et les jeux de cercle).

L’article 7 de ce texte prévoit que toute communication commerciale en faveur des jeux est assortie d’un message de mise en garde contre le jeu excessif, ainsi que d’un message faisant référence au système d’information et d’assistance mis à la disposition des joueurs « problématiques » par les pouvoirs publics.

L’autorité de la concurrence, dans son Avis du 20 janvier 2011, y voit elle aussi un paradoxe : « Ainsi, la lutte contre l’addiction au jeu entraîne nécessairement la recherche d’une limitation de la consommation, et partant, de l’offre de jeux, alors que le droit de la concurrence vise à stimuler la concurrence pour améliorer les conditions de vente d’un produit ou service et en faciliter l’accès le plus large possible au consommateur. » CQFD.

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