terrAedes |
Par terrAedes |
24-02-2012
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Symphonie du bonheurPour vivre heureux... vivons fauchés ! |
Il parait que l’argent ne fait pas le bonheur. On peut donc s’aventurer à penser que, à l’échelle planétaire, la quasi totalité de nos congénères sont des bienheureux. Envions, sans trop de jalousie tout de même, les quelques 1,2 milliards de petits chanceux, en état de béatitude extrême, qui se satisfont de moins d’ 1,25 dollar par jour. Petits veinards va !
Je disais la quasi totalité de nos congénères... Ayons donc une pensée émue et compatissante envers celles et ceux qui, dans une détresse insoutenable, doivent faire face à l’opulence et la richesse. Dieu merci, ils ne sont qu’une petite poignée !
Puisque l’Histoire a voulu que de grands artistes dessinassent des frontières sur les territoires, j’examinerai cette opposition du bonheur pécuniaire au sein même de notre Rubik’s Cube hexagonal. En effet, il a été porté à mes oreilles que la France serait de plus en plus heureuse. Je m’interroge alors sur ce regain d’euphorie collective. Mes concitoyens auraient-ils abandonné tout doute raisonnable de la chimère matérialiste ? Une envie soudaine de courir dans des prairies verdoyantes et fleuries les auraient-ils frappé après une énième rediffusion de la Petite Maison Dans La Prairie ? Se seraient-ils laissés happer par un irrésistible courant gymnosophe ? Je me focaliserai sur cette dernière improbabilité y décelant une similitude frappante : Si, en leur temps, ces précurseurs du naturisme côtoyèrent un certain Alexandre le Grand, les français de notre époque n’ont-ils pas, eux, consacré un certain Nicolas le Grand (autoproclamé entalonné).
Je m’aventure sur ce semblant de coïncidence historique et me risque à une analyse, je le concède, tout à fait personnelle :
Après avoir acquis tant et trop de privilèges sociaux et pu accéder à la sacrosainte Société de Consommation, le bon Peuple de France s’aperçut de l’impasse spirituelle dans laquelle il s’était enfermé. L’âme vide et errante, il décida, majoritairement, dans un sursaut de gourmandise résiduelle, de placer ses derniers espoirs dans celui qui leur prédit que point de salut rédempteur n’apparaîtrait hors d’une civilisation capitalistique ultralibérale. Amen. Vint le règne de Nicolas le Grand.
Le temps passant, le bon Peuple de France, ne voyait pas d’issue dans cette voie circulaire. De plus, une partie avait perdu son berger de vue, lorsque, tournant les talons, il s’enfuit dans un dédale d’agissements schizophrènes, avant de s’évanouir définitivement dans une épaisse brume dédaigneuse. Et, feignant de temps à autre d’interrompre ce jeu de Colin-maillard, il laissait apparaître l’ombre de promesses desséchées, pour que reviennent dans son giron quelques naïves brebis égarées.
Cependant, un frémissement d’espérance se fit sentir, balbutiements presque étouffés d’une ère nouvelle annoncée. Une fraction sans cesse grandissante de Sujets donnaient l’écho à cet oracle mal-entendant. Pourquoi diable s’obstiner à poursuivre une éphémère jouissance, alors que retentissait l’appel des lyres et flûtes d’un séduisant destin de va-nu-pieds. Au final se dirent-ils, "point de salut dans le luxe et la volupté... Vive le régal de la pauvreté !". Ils furent bientôt 8 millions, fine esquisse d’un phénomène pandémique : 12 millions en Allemagne, 17 millions en Angleterre, 44 millions aux Etats-Unis... Tous sortant des décombres d’Empires déchus et agonisants.
Tous ces sans le sou... Tous ces miséreux... Tous ces bienheureux !
Mais Nicolas le Grand, ayant durant cinq ans profité, se trouva fort dépourvu, quand la bise électorale fut revenue. Il lui fallait prestement regrouper les rares brebis restantes dont il avait épargné la laine, et de dissimuler la noirceur de ses plumes sous un blanc manteau d’innocence, pour, enfin, leur la manger sur le dos. Mais pour les autres. Tous les autres... Comment duper des moutons métamorphosés en licorne ? Quelles bonnes et neuves paroles prêcher à des fidèles soumis au paganisme ? Quelles fausses vérités asséner à ces éveillés ? Comment raviver l’appétit d’une apathique satiété ?
Chaussant ses bottes de sept lieux, il alla par monts et par vaux, (re)découvrir cette France du bonheur sommaire et du quotidien ordinaire. S’arrêtant ici, goûter d’indigestes soupes prolétaires, ou là, s’abreuver des encouragements enrôlés de petits soldats agitant de petits linceuls tricolores.
Quelques uns sans doute, beaucoup peut-être, regardant passer la caravane messagère mensongère, se seront laissés éblouir par l’explosion de fourbes flashes, et prendre de nouveau dans le piège du doux halo nimbé d’or et d’argent, pourtant annonciateur d’un familier cul-de-sac. Mais il est déjà trop tard pour eux. Le doute s’est installé. "Pour vivre heureux, vivons fauchés !", crient les lanceurs d’alertes. Inaudibles. Au loin se fait entendre, telle une rumeur, la colère des bienheureux du feu royaume d’Alexandre le Grand.
Ne reste plus alors qu’à faire resurgir de lointains spectres scabreux d’intolérance et l’idée insidieuse d’un retour possible de Dame Bonne Fortune... Promettre, encore, toujours, aux bienheureux de France, de les tirer de leur torpeur vers d’improbables jardins d’Éden.
Au petit bonheur la France,
Pour faire plier la chance.
Nicolas le Grand,
Du haut de ses cinq ans,
Est-il prêt à tout,
Pour enjamber le trou ?
La morale de cette histoire est peut-être déjà écrite car en politique tout n’est qu’éternel recommencement. Aux printemps prometteurs, succèdent souvent de trop précoces hivers désenchantés. Il faut d’autant plus se méfier de ces oeillères cristallines faites de peur et de ressentiment. Quel choix misérable restera-t-il entre la peste et le choléra ?
Le bienheureux, le sourire béat figé dans un miroir sans tain, d’une main fébrile, fera voler en éclats toute illusion de liberté.
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