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Vise le green

Par Benjamin Cliquet
12-12-2010

Le marché du carbone (pour les nuls et les moins nuls)

Le marché du carbone (pour les nuls et les moins nuls)
Des progrès semblent finalement se profiler dans les négociations internationales à Cancùn. Les dirigeants ont en revanche décidé un statu quo quant au Protocole de Kyoto, soit d'attendre Durban l'année prochaine pour décider de la suite de ce protocole, "seul texte juridiquement contraignant sur le climat existant à ce jour" comme le souligne Le Monde ce samedi. Revenons sur la grande avancée européenne suite au Protocole de Kyoto : le marché du carbone.

Cet article est le fruit de deux rencontres (auxquelles on ajoutera une pincée de recherche personnelle) : une avec Piia Aatola, chercheuse et doctorante en économie environnementale au département de l’économie et du management de l’université d’Helsinki (dont les locaux se trouvent à Viikki, l’éco-quartier présenté il y a deux semaines) ; une autre avec Juha Ruokonen, gestionnaire en analyse des marchés et conception des politiques à Greenstream (leader Nordique en développement et gestion de supports d’investissements verts).

Fonctionnement général

Le marché du carbone est ce qu’on appelle un "cap & trade market" : "cap" car toutes les entreprises impliquées dans le marché n’ont pas le droit de dépasser un certain niveau d’émission de gaz à effets de serre (une limite), en fonction des permis d’émissions qu’elles possèdent (il y a donc un total d’émission autorisées) ; "trade" car toutes les entreprises enregistrées dans le système peuvent acheter et vendre ces permis.

Après la conférence de Kyoto en 1997 et la mise en place d’objectifs chiffrés en terme d’émissions de CO² par pays, chaque pays a décidé de l’instrument qu’il utiliserait pour faire respecter ces quotas. Si les taxes sont beaucoup utilisées et que les Etats-Unis comptent sur les progrès technologiques, l’Union Européenne a préféré créer un marché du carbone, appelé EU ETS (European Union Emission Trading System). Et pour cela, il fallait parvenir à donner un prix à la tonne de CO². La clé était de délivrer moins de permis que d’émissions autorisées pour que les entreprises aient un intérêt à acheter ces permis. La Commission Européenne et l’organisation déléguée CITLog (International Community Transaction Log, divisée en organisations nationales) y sont parvenus puisqu’aujourd’hui, environ 6 000 entreprises européennes s’échangent des permis d’émettre du CO², dont l’unité, l’EUA (EU emission Allowance) est la tonne de CO².

En économie, on dit que l’objectif est d’internaliser les externalités. En effet, quand le carbone (donc la pollution, externalité non prise en compte par les entreprises mais qui a un impact sur toute la société) a un prix, alors c’est un bien qui a de la valeur, un apport pour la production, et il doit donc être pris en compte par les entreprises.

A la fin de chaque année, chaque entreprise doit rendre suffisamment de permis pour couvrir toutes ses émissions sous peine de se voir imposer de lourdes amendes. Si une entreprises réduit ses émissions, elle peut garder ses permis supplémentaires pour couvrir ses futurs besoins ou les vendre à une autre société qui en a besoin. La flexibilité apportée par les transactions assure que les émissions sont réduites là où cela coûte le moins cher de le faire. Le nombre de permis est réduit au fur et à mesure de sorte que le total des émissions baisse. En 2020, les émissions seront réduites de 21% par rapport à 2005.

L’ETS concerne maintenant 30 pays (les 27 de l’UE plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège). Il couvre les émissions de CO² d’installations telles que des centrales d’énergie, des incinérateurs, des raffineries de pétrole et des ateliers de fer et d’acier, de même que des usines de ciment, de verre, de chaux, de brique, de céramique, de pâte à papier, de papier et de planches de bois.

Les émissions d’oxyde nitreux de certains processus sont également couvertes. Entre elles, les installations actuellement dans le système représentent presque la moitié des émissions de CO² de l’UE et 40% de son total d’émissions de gaz à effet de serre.

En 2008, 11 400 compagnies étaient sur ce marché. Ces entreprises doivent avoir un compte auprès de la CITLog, comme un compte en banque. Les compagnies aériennes rejoindront le système en 2010. L’ETS sera étendu aux industries de pétrochimie, d’ammoniac et d’aluminium et à d’autres gaz en 2013, quand la troisième période d’échange commencera. En même temps, une série de changements importants dans le fonctionnement seront mis en place pour renforcer le système.

Deux grandes périodes sont à signaler dans la très courte histoire de ce marché :

- [2005 ; 2007], création du marché, période d’essai. Les permis sont plus nombreux que les émississions autorisés, il y a donc très peu d’échange sur le marché car les entreprises ont compris que les permis n’avaient aucune valeur ;

- [2008 ; 2012], début de la période d’évaluation des objectifs de Kyoto, tout repart à zéro en 2008, moins de permis sont redonnés et le marché redémarre bien. Un prix est véritablement créé et les échanges se développent (cf graphique ci-dessous).

Le "Clean Development Mechanism" (CDM)

Le Protocole de Kyoto dit que la Finlande (et les autres pays développés qui ont ratifié le protocole) ne peut émettre plus d’une certaine quantité de CO² mais il n’y a pas cette limite d’émissions pour les pays en développement. Les pays développés peuvent en revanche investir, développer des projets dans les pays moins industrialisés qui réduiront les émissions dans ces pays. Puis, en retour, ces réductions d’émissions sont transformés en crédits pour les pays développés. C’est le système CDM. Il regroupe aujourd’hui environ 4 000 projets. Le système semble simple mais il est en fait très difficile de prouver les réductions dans ce cas, car il s’agit de calculer la réduction par rapport à si le projet n’avait pas été entrepris.

Au sein de l’ETS, les entreprises ont le droit d’avoir, à la fin de chaque année, 13% de leurs crédits sous forme de crédits CDM (qui sont souvent moins chers) à la fin de chaque année. Les 87% restants proviennent donc obligatoirement de réduction d’émissions en Europe.

Par ailleurs, le système CDM permet aux secteurs non présents dans l’ETS d’être pris en compte. C’est normalement aux gouvernement de s’occuper des secteurs des services, de l’agriculture ou des transports par exemple, or le système CDM permet à des entreprises d’investir dans ces secteurs.

Concentration des projets CDM. retrouvez cette carte détaillée ici : http://cdm.unfccc.int/Projects/MapA...

Le comportement des différents acteurs

Le Royaume-Uni, l’Allemagne, les pays Nordiques et les autres pays d’Europe de l’Ouest se débrouillent très bien sur le marché car ils savent gérer les risques (notamment les grandes compagnies énergétiques), ce qu’ont plus de mal à faire les pays de l’Est. Ils apprennent encore à évoluer dans un marché libre (selon Juha R., les entreprises de l’Est essaient encore d’être plus forts que le marché en proposant des prix du carbone au-dessus du prix du marché, mais comme il le dit si bien : "You can’t beat the market."). Les pays d’Europe de l’Ouest ont par ailleurs des objectifs qui représentent de véritables challenges contrairement aux pays de l’Est pour qui les objectifs sont peut-être moins bien fixés et moins ambitieux.

Mais finalement, il n’y a pas vraiment de bons et de mauvais comportements. Les émissions sont réduites là où cela coûte le moins cher, et cela coûte plus cher dans certains pays mais on ne peut pas dire pour autant que ceux-ci sont des moins bons élèves. Le principe est simplement que toutes les compagnies agissent de façon rationnelle et cela sert plutôt le bon fonctionnement du système.

On peut en revanche parler de mauvais élèves dans le monde, comme le Canada qui ne replira pas ses objectifs car ils n’ont pas véritablement essayé. Le Japon a fait des efforts pour remplir ses objectifs de 2012 mais a décidé de ne pas continuer dans le Protocole de Kyoto après 2012 et n’aura donc plus d’objectifs chiffrés pour la période suivante. Les Etats-Unis n’ont pas du tout ratifié le protocole mais certains états ont mis en place des systèmes pour respecter des objectifs chiffrés.

La façon la plus rapide pour réduire ses émissions pour une compagnie énergétique est de remplacer des centrales à charbon par des centrales à gaz, et elles peuvent y gagner en fonction du prix de ces deux énergies. Quand le prix du gaz augmente, le prix des permis ETS augmente également (car les compagnies y gagnent alors davantage à utiliser le gaz et réduisent alors plus facilement leurs émissions).

Quels acteurs sont favorisés par ce système ?

Il y a plusieurs types de bénéfices : les revenus des investissements et l’argent économisée en n’ayant pas besoin d’investir.

L’Europe des 15 (exceptée l’Allemagne) n’ont pas vraiment besoin de beaucoup investir dans leur propre pays tandis que les pays d’Europe de l’Est bénéficient de l’argent de l’Ouest qui investit dans des réductions d’émission peu chères (cf carte ci-dessous). Donc tout le monde y gagne, les acheteurs et les vendeurs. Certains économisent de l’argent et d’autres en gagnent. Et la plupart du temps, les compagnies énergétiques sont du côté des acheteurs car c’est assez cher de réduire les émissions dans le secteur de l’énergie. Le secteur industriel (ciment, chimie...) est, lui, plutôt du côté des vendeurs.

Mais les plus grands gagnants du système sont les payeurs de taxes car sans l’ETS, les pays devraient créer des projets à l’intérieur même du pays et donc investir beaucoup plus. Donc taxer davantage.

Les 500 compagnies finlandaises, au total, ont vendu des permis, ce qui signifie que l’industrie finlandaise est plutôt bonne élève. L’industrie du papier a davantage acheté jusqu’à ce que la crise économique ne les pousse à réduire largement leur production donc à vendre des permis (plus besoin de polluer quand on produit peu).

En France comme en Allemagne se trouvent les plus grandes compagnies d’électricité. Le nucléaire français bénéficie largement aux industries françaises puisque le nucléaire n’émet pas de CO², contrairement au charbon allemand qui émet beaucoup. On repère donc ici un effet pervers du marché : cela peut pousser à utiliser plutôt le nucléaire puisqu’il n’émet pas de CO² que des énergies renouvelables qui coûteront plus cher et n’émettront pas moins de CO².

Une réussite

Le marché du carbone est un instrument politique qui sert à encourager le changement des combustibles utilisés. On en attend donc des résultats, et il semblerait bien que ça en ait. TerraEco nous indiquait déjà l’année dernière que "Le système semble porter ses fruits : entre 2007 et 2008, les émissions de l’UE ont baissé de 3%." (cf l’article C comme (marché) Carbone)

En 2005 ce sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande qui ont le plus contribué à la baisse des émissions de gaz à effets de serre. Parmi l’UE15, la Belgique, le Danemark, la France, le Luxembourg, la Suède et le Royaume-Uni ont aussi vu leurs émissions baisser.

Le succès de l’ETS semble avoir incité d’autres pays et régions à se lancer dans ce système d’eux-mêmes. L’UE espère associer l’ETS avec d’autres systèmes compatibles dans le monde pour former l’ossature d’un marché mondial du carbone.

Les principaux défauts du système

L’ETS a été créé à partir de rien. Il y a eu des problèmes dont certains sont déjà résolus, tels que les problèmes de fraude (certaines compagnies ne payaient pas la TVA sur les permis) mais celui-ci ne venait pas du marché du carbone mais plutôt du système de TVA qui permettait cela. Des permis ont également été volés par informatique, suite à des entreprises qui auraient perdu leurs codes bancaires (spécifiques pour l’ETS).

Problème plus important : la distribution des permis, qui n’a pas été simple. Au début, les pays proposaient un schéma de distribution national qui était vérifié par la Commission Européenne. Il y avait évidemment beaucoup de lobbying. Mais à partir de 2013, ce sera la Commission Européenne qui distribuera directement les crédits. Ce sera donc le même distributeur pour tous les pays.

Le système CDM devrait promouvoir le développement durable dans le monde mais en Chine (où vont une grande partie des investissements en CDM) les investissements ne vont pas dans ce sens, ils aident simplement la Chine à se développer ("sometimes there are not Clean Development Mechanisms but China Development Mechanisms" m’expliquait Juha R.). Le système de finance des CDM n’aide pas un projet à devenir un bon projet, ça ne change rien dans les projets, ça ne fait que les stimuler sans les rendre plus "propres". Par exemple, ces 5 dernières années, il y a eu énormément d’investissements CDM en Chine, et ceux-ci s’avèrent faciles à réaliser car les autorités du CDM en Chine sont du côté des investisseurs sans exercer leur mission d’imposer un développement plus propre. Mais en Afrique, les pays n’ont même pas désigné d’autorités locales qui s’occuperaient des CDM, les investisseurs n’ont donc aucune envie de s’y implanter (ça prendrait des années).

Les pays qui ont déjà des infrastructures favorables à l’accueil d’investissements comme la Chine sont donc favorisés par le système des CDM, à l’inverse par exemple des pays africains qui n’en bénéficient pas du tout. Mais Juha R. croit que les changements de règles après 2012 stimulera probablement davantage les pays en développement même si les crédits viendront encore majoritairement de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.

Il y a, pour finir, de nombreux défis pour le système CDM. Surtout, ce système n’a pas été confirmé pour l’après 2012, contrairement à l’ETS. Le système CDM a été créé par le Protocole de Kyoto, et le protocole existera toujours mais il manque la fixation d’une période donc d’objectifs. Les compagnies européennes pourraient malgré tout continuer à utiliser le système CDM dans le cadre de l’ETS.

Il manque donc un document international officiel qui instaurerait tout ce système sur le long-terme, "pas seulement jusqu’à 2020, date trop proche, mais plutôt à l’horizon 2030, 2040 et 2050" (Juha R.). De Cancun, tout comme Oras Tynkkynen, Juha attend donc qu’ils préparent l’étape suivante, Durban l’année prochaine.

J’espère que vous noterez mes efforts pour coller à l’actualité (je plaisante, c’est un coup de chance...). S’il ne reste qu’un article avant mon départ de Finlande, je puis déjà vous annoncer que, tel Guy Forget à la tête de l’équipe de France de tennis, je vais rempiler pour au moins un article supplémentaire pendant la période de Noël. J’étudie par ailleurs la possibilité d’écrire en anglais pour pouvoir être lu par les experts que je rencontre. En supplément, et parce que mon sujet de cette semaine ne me permettait pas de les insérer, je vous joins quelques (jolies) photos d’Helsinki sous 50cm de neige.

A bientôt, Visez l’green, Ben

Rivière gelée et enneigée.

Les borde de rive.

Les bords de l’autre rive.

COMMENTAIRES ( 1 )
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  • le concombre masqué : plein les yeux !!

    je n’ai fait que parcourir l’article, je le lirai de façon plus approfondie demain...mais en arrivant sur les photos : waouh !!
    c’est superbe...

    12.12 à 23h15 - Répondre - Alerter
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