Terra eco : Vous appelez à la résistance contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. Comment pourrait-on, selon vous, bâtir un système de « retraites durables » ?
Jean-Marie Harribey : « Contrairement à ce que prétend le gouvernement, le déficit de notre système de retraites n’est pas dû à l’allongement de la durée de vie mais à la crise. Le déficit s’est creusé parce que les recettes sont liées à l’activité économique et qu’elles ont diminué avec la crise. Il faut donc chercher un système de financement plus pérenne. Pour cela, nous pensons que le meilleur moyen est de taxer les revenus du capital, c’est-à-dire les profits financiers, réalisés notamment grâce aux dividendes. Depuis trois décennies, la valeur ajoutée (l’ensemble de la valeur économique créée par les entreprises, organisations et administrations, ndlr) profite de plus en plus aux actionnaires et de moins en moins aux salariés. En 1973, seuls 3% de la valeur ajoutée brute revenait aux actionnaires contre 8% aujourd’hui. Ce basculement de 5% est énorme : à l’heure actuelle, il représente 55 milliards d’euros. En taxant les revenus sur les dividendes, on pourrait inverser cette tendance et on trouverait également une source de financement suffisante et durable pour notre système de retraites. Ceux qui disent qu’une telle taxe menacerait notre compétitivité se trompent. Elle se situerait en aval de la production et ne changerait donc rien aux coûts de production. »
L’idée de taxer le capital, véritable fondement d’Attac, est aujourd’hui reprise par de nombreux acteurs. En êtes-vous satisfait ?
« Tout d’abord, je voudrais faire deux petites précisions. Pour résoudre le problème de financement des retraites, nous voulons taxer les revenus du capital, c’est-à-dire des profits qui existent bel et bien et qui sont touchés par les actionnaires. La taxe sur les transactions financières, qui est à l’origine de la création d’Attac, concerne au contraire les très nombreux échanges financiers, qui représentent plus de 6 000 milliards de dollars (4 700 milliards d’euros, ndlr) chaque jour, mais qui sont fictifs. Ce n’est pas de l’argent qui s’échange mais des titres. Ce sont donc là deux solutions bien différentes. Ensuite, il est vrai que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont proposé de taxer les transactions financières mais ils l’ont fait en sachant qu’il n’y aurait aucune suite, puisque le G20 de Toronto avait écarté cette solution. Par contre, un projet de directive est bien à l’étude pour une taxation des transactions à l’échelle européenne. La décision est entre les mains des dirigeants européens. Il faut encore en fixer le niveau (l’assiette basse se situerait à 0,01% de chaque échange, l’assiette haute à 0,1%, ndlr) et déterminer les transactions qui seraient concernées, mais on peut retenir qu’aujourd’hui cette solution est devenue envisageable aux yeux des dirigeants, alors qu’elle semblait inconcevable il y a dix ans. Il n’y a encore rien de tout à fait concret, mais ce changement montre que nous avons gagné la bataille des idées. »Justement, il semble que l’on entend de moins en moins les altermondialistes dans le débat public alors que leurs idées – la taxation des transactions financières donc ou la suppression des paradis fiscaux – sont de plus en plus partagées. Comment expliquer ce paradoxe ?
« Je ne pense pas que l’on soit moins audibles aujourd’hui. Il y a dix ans, il y avait un effet de nouveauté et les médias s’intéressaient peut-être plus aux altermondialistes. En France, même si d’autres acteurs reprennent nos idées, nous poursuivons notre travail de sensibilisation en aval, et nous restons vigilants pour vérifier que les déclarations des dirigeants seront mises en pratique. Pour juger de la vitalité du mouvement altermondialiste, il faut se placer à l’échelle européenne, voire mondiale. Tout d’abord, depuis la crise, de plus en plus de citoyens partagent notre point de vue et constatent que le discours néolibéral n’a pas de sens. Le marché ne peut pas se réguler seul ou avec une main invisible, il n’est pas efficient. Comme vous l’avez dit aussi, nos solutions commencent à être de plus en plus partagées. D’autre part, notre mouvement réunit 40 000 à 50 000 adhérents à travers l’Europe (dont presque 10 000 en France) et la préparation du prochain Forum social à Dakar (en 2011, ndlr) motive beaucoup de gens. »
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