Tous perturbés !

Zaki Laïdi, La Grande Perturbation, Flammarion, 483 p., 21 euros.

Il y a toujours au moins deux manières de considérer un phénomène complexe comme la mondialisation libérale : celle du verre à moitié vide - c’est le cas des penseurs altermondialistes, qui en dénoncent les ravages et les insuffisances de manière parfois systématique - ou celle du verre à moitié plein. Malgré ses précautions oratoires, on pressent bien que Zaki Laïdi, politologue venu de la gauche et converti à la "Troisième voie" d’Anthony Giddens (celle qui inspire la politique de Tony Blair), a plutôt choisi la moitié pleine du verre. Mais il affecte, tout au long de sa Grande Perturbation, de s’en tenir aux faits, rien qu’aux faits et de ne décrire avec fatalisme qu’une évolution, répète-t-il, incontournable.

L’Etat n’existe pas

Quelle est-elle ? Résumée à grands traits, la voici : la mondialisation ne fait pas reculer les Etats, elle les transforme. Ceux qui croient encore à la souveraineté de papa en sont pour leurs frais : les citoyens sont, en grande partie, livrés à leur individualisme, leur "vécu", oubliant de plus en plus les valeurs nationales collectives. Quant à l’Etat, il a perdu l’initiative économique, sociale et politique, supplanté par la "gouvernance" des grandes institutions comme l’Union européenne et l’avancée inéluctable de la "logique de marché". Ne lui restent que les pouvoirs régaliens de base : police, justice et armée.

Discours péremptoire

On reconnaît là une des grandes marottes du libéralisme économique : moins d’Etat, sauf pour construire des prisons et rassurer les investisseurs. Qu’on partage ou non ses analyses - dont il faut reconnaître qu’elles sont souvent fort bien argumentées -, on regrettera le caractère souvent péremptoire de ses affirmations. Ainsi sa description de la manière dont le bon peuple, dans son infinie naïveté, projette son "imaginaire" et ses angoisses - totalement infondées - sur cette pauvre et bienfaisante mondialisation, est pour le moins partielle et particulièrement irritante. Et que Zaki Laïdi refuse les apparences du manichéïsme ne l’empêche pas d’écrire ce qu’il est de bon ton de répéter dans les éditoriaux de la "grande presse" : les alters n’ont tout simplement rien compris, ils sont stériles, sectaires et obsolètes. Lui a, semble-t-il, tout compris dans son coin. Et perdu une bonne occasion d’ouvrir un dialogue constructif.