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On ne mange plus pareil, mange-t-on encore ensemble ?

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On ne mange plus pareil, mange-t-on encore ensemble ?
(George M. Groutas - Flickr)
 
Crudivores, vegans, allergiques, croyants... Les demandes d'alimentations particulières se multiplient. L'individualisation par l'assiette menace-t-elle la convivialité française ? Claude Fischler, anthropologue, nous éclaire.
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Claude Fischler, directeur de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain et spécialiste de l’alimentation, a codirigé Les Alimentations particulières, (éditions Odile Jacob, sortie le 27 juin). Ce livre pose la question du devenir du « manger ensemble » dans la société française à une période où se multiplient les revendications d’alimentations différenciées.

Terra eco :

Certaines alimentations sont dites « particulières »... par rapport à quoi ?

Photo Christophe Boussamba

Claude Fischler : L’alimentation en général est tout sauf particulière. Elle est collective, sociale, partagée. Dans de nombreux endroits du monde, on mange dans un plat commun avec sa cuillère ou sa main droite. Tout le monde est là, il y a des règles de savoir vivre à respecter comme pousser les beaux morceaux vers les anciens, parler à tel moment, ne pas parler, etc. Une personne qui mangerait seule serait très mal vue, elle s’extrairait du cercle de la commensalité (le fait de partager un repas, ndlr). Quel que soit l’endroit du monde, des soupçons émergeraient à son égard – jette-t-elle des sorts, a-t-elle empoisonné le plat ? De plus, une enquête menée aux Etats-Unis, en France et au Danemark a montré qu’on apprécie davantage un repas quand on le mange en compagnie que seul. Et si vous arrivez chez un étranger et que vous refusez sa nourriture, vous l’offensez, de la méfiance s’installe. Or, aujourd’hui, c’est précisément l’inverse qui se produit.

C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, autour d’une table, vous pouvez avoir une personne qui mange cacher, l’autre est végétarienne, une autre est vegan, une énième est allergique à tel ou tel aliment, etc. Lors des repas se multiplient désormais les revendications médicales, éthico-religieuses, politiques. Et on constate un renversement de l’obligation de partage : désormais, c’est l’invité qui exige de l’invitant qu’il satisfasse ce que les anglophones appellent ses « dietary requirements » (régime alimentaire en français). On en arrive à des situations d’individualisation extrême de la nourriture.

La France est-elle affectée par ce phénomène ?

Ca commence. Jusqu’à il y a peu, il y avait deux visions de l’alimentation dans le monde occidental : l’une protestante, l’autre catholique. La première considère que l’alimentation est une consommation comme une autre d’un individu libre et responsable, qui exerce ses choix de façon rationnelle. C’est le discours des Américains, qui parlent plus de nutrition que d’alimentation, pour qui se nourrir est un acte privé, censé les maintenir en bonne santé – même si le taux d’obésité montre que ça ne marche pas toujours... Pour les Français en revanche, manger est un acte social, qui requiert des conditions de temps, de lieu, de structure : on mange à table, une entrée/un plat/un dessert, à horaires fixes, en compagnie. Souvent, si on n’a avalé qu’un sandwich le midi, on considère ne pas avoir fait un vrai repas. Donc pas avoir vraiment mangé.

A quoi est dû le développement des alimentations particulières ?

De nombreux mangeurs évoquent des arguments médicaux, comme les allergies, pour justifier de manger différemment du reste du groupe. D’après les spécialistes des allergies, 30% de la population déclare avoir une allergie alimentaire alors que le taux réel est inférieur à 4% (c’est notamment le cas de l’allergie au gluten, ndlr). Ceux qui s’auto diagnostiquent allergiques font souvent un rejet de l’alimentation transformée par les industriels. Ils se disent intolérants à tel ou tel additif, pensent réagir aux effets des pesticides, et privilégient les aliments « naturels ».

D’où l’engouement pour ces produits ?

En fait, les alimentations particulières sont souvent une manière de se réapproprier son alimentation quand on ne sait plus ce que l’on mange. Il existe un « principe d’incorporation » implicite mais universel, qui veut que l’on soit ce qu’on mange. Donc si vous êtes ce que vous mangez et que vous ne savez plus ce que vous mangez, il y a un problème ! Le moyen pour savoir ce qu’on mange, c’est de choisir son alimentation, en fonction de différents critères qui nous sont propres. C’est pour cette raison que se développent une infinité de régimes très étonnants parfois, comme celui adapté à chaque groupe sanguin, ou celui qui érige le jus de germes de blé comme aliment magique.

Les industries ont compris le filon, et développent ces produits dans les rayons des supermarchés. La demande est-elle vraiment forte ?

C’est surtout que depuis que l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fait le ménage dans les allégations santé, les industriels de l’agro-alimentaire ne peuvent plus trop vanter les mérites des produits santé. Donc ils mettent le doigt sur ce qui est porteur et le développent.

Le fait de ne pas tous manger la même chose menace-t-il le « manger ensemble » propre aux Français ?

Pas forcément. Prenez cet exemple révélateur : lors du déjeuner de presse organisé pour le lancement du livre « Les Alimentations particulières », il a d’abord été envisagé de proposer quatre menus différents. Mais, d’un point de vue logistique, c’était compliqué. Donc il a été décidé de diviser les assiettes en quatre. C’est une façon très française de régler le problème car, au final, tout le monde a mangé la même chose ! On invente de nouvelles formes de commensalité. Ainsi, manger différemment ne signifie pas la fin du lien social. Le modèle convivial français résiste de façon étonnante, même si l’individualisation des assiettes se généralise. La preuve, les horaires des repas restent synchrones : à 13h, la moitié des Français sont à table. Au Royaume-Uni, ils ne sont jamais plus de 17% de la population à manger en même temps. Quant au temps passé à manger à table, il est de 135 minutes par jour selon une étude de l’OCDE. C’est le record mondial.

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  • A notre époque hélas chacun mange de son coté ,les repas de famille n’existent plus ,ou on prenait le temps de discuter tout en savourant de somptieux bon petits plats .

    24.06 à 21h13 - Répondre - Alerter
  • Toutes formes académiques d’alimentation sont régies par les diktats religieux, politiques et économiques basées sur la pensée unique à imposer respectivement aux divers mouvements.
    La formule "auberge espagnole" semble être la seule qui correspond sincèrement à l’idée du repas partagé dans la convivialité. En effet, elle n’exige que la contribution personnelle de chacun(e), et permet donc de laisser les différences s’exprimer en toute convivialité. Une simple organisation + indications écrites à côté des apports par le végétarien, ou par le casher, ou autres, permettent à tous de se repérer, tout en découvrant d’autres saveurs. Echanges et partages des cultures : la convivialité, n’est-ce pas là, la base d’1 démocratie appliquée , via la mixité sociale, inter-générationnelle et inter-culturelle ?
    Les plats industriels et les traiteurs ne répondent qu’aux gens pressés ou à ceux qui considèrent la nourriture qu’en tant que produits de consommation. Donc exit le REEL désir d’inter-communication humaine !

    23.06 à 10h05 - Répondre - Alerter
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