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30-10-2013
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Interview

Areva au Niger : « Les maisons mères se cachent derrière leurs filiales »

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Areva au Niger : « Les maisons mères se cachent derrière leurs filiales »
(Crédit photo : Philip Reynaers - Greenpeace)
 
La Cour d'appel de Paris a jugé qu'Areva n'était pas responsable de la mort d'un salarié d'une de ses filiales au Niger. Une impunité absurde qu'il est urgent de voir tomber, selon Marie-Laure Guislain, de l'ONG Sherpa.
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Si les souvenirs de sa fille sont bons, c’est en short, en chemisette et sans dosimètre, que Serge Venel partait travailler dans les mines d’uranium nigériennes. Dans ces carrières, qui fournissent à Areva sa matière première, l’ex-mineur a, pendant six ans, respiré les poussières d’uranium et de cobalt. En 2009, un cancer du poumon causé par ces inhalations lui a été fatal.

Trois ans après son décès, en mai 2012, le tribunal des affaires sanitaires et sociales (Tass) de Melun (Seine-et-Marne) a qualifié de « faute inexcusable » la négligence de la multinationale, identifiée comme co-employeur du salarié français. Un an et demi plus tard, le leader mondial de l’énergie nucléaire est dédouané. La semaine dernière, la Cour d’appel de Paris a estimé que, puisque Serge Venel avait signé son contrat de travail avec la société nigérienne Cominak, dont Areva n’est actionnaire qu’à 34%, le groupe français n’est pas responsable. Après le drame du Bangladesh, cette affaire repose la question de l’impunité des maisons mères face aux violations des droits humains ou de l’environnement, perpétrées par leurs filiales.

Pour Marie-Laure Guislain, responsable du pôle juridique de l’ONG Sherpa, spécialisée dans la défense des populations victimes de crimes économiques, le droit français doit changer.

Terra eco : Que nous apprend la victoire en appel d’Areva sur la responsabilité des multinationales ?

Marie-Laure Guislain : Elle illustre un état de fait. Aujourd’hui, quand les multinationales sont épinglées pour non-respect des droits humains, les maisons mères se cachent derrière leur filiales. C’est légion dans le secteur de l’extraction minière, du textile ou de l’agroalimentaire. Les groupes choisissent sciemment de s’implanter dans des pays où le droit du travail est peu respecté, comme le Bangladesh ou le Niger. Les maisons mères font alors du dumping social ou environnemental sans en porter la responsabilité. De leur côté, les filiales et sous-traitants sont rarement inquiétés. Les grands groupes dont ils dépendent ont généralement passé des accords très avantageux avec l’Etat. Face à eux, la justice, faible ou corrompue, ne fait pas le poids. Il y a des exceptions, parfois une décision forte est prise. C’était le cas au Nigeria où une filiale de Shell s’est vu interdire le torchage de gaz sur ses sites d’extraction. Mais entre l’existence de cette obligation et son application, il y a encore un gouffre.

C’est donc pour pallier les défaillances judiciaires des pays hôtes que les maisons-mères devraient rendre des comptes ?

Pas seulement. L’impunité actuelle des maisons mères n’a pas sens. Elle est le fruit d’un décalage complet entre la nature économique et la nature juridique des grands groupes. Sur les marchés, aux yeux des actionnaires, le groupe est une unité. C’est en tant que tel qu’il engrange des bénéfices. Par contre, d’un point de vue juridique, chaque entité qui le compose est indépendante. Cet éclatement des responsabilités explique que, dans les pays du Sud, bon nombre d’expulsions ne donnent jamais lieu à des indemnisations ou que des violations des droits humains ne fassent jamais l’objet de poursuites. Pour que la situation change, le voile juridique qui sépare les différentes entités doit être percé.

La décision de la Cour d’appel de Paris concernant Areva est-elle surprenante ?

On attendait l’inverse, on pensait que la responsabilité d’Areva serait confirmée. Elle le sera peut-être si la famille renvoie le dossier en Cour de cassation. La condamnation en première instance était solide et fondée. Peu importe si Areva n’est pas actionnaire majoritaire de Cominak, le lien capitalistique n’est pas le seul critère qui définit une filiale. Les juges devraient examiner un faisceau d’indices, comme la composition du conseil d’administration ou encore les échanges de courriers, pour savoir qui est le donneur d’ordres. En l’état actuel de la loi, tout dépend de l’audace du juge. Il y a quelques cas comme celui de l’Erika pour lequel Total a été jugé responsable en tant qu’affréteur du pétrolier et donc où l’implication de la maison mère est reconnue. Mais la jurisprudence est faible. Les juges peuvent piocher dans le Code civil ou pénal mais ne disposent pas de bases juridiques solides pour acculer les maisons mères.

La situation peut-elle évoluer ?

Les choses sont en train de changer. Sherpa, Amnesty international et le CCFD ont milité pour transposer les principes de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) des multinationales énoncés par le représentant spécial de l’ONU John Ruggie, dans le droit national. Aujourd’hui, trois parlementaires (Danielle Auroi (EELV), Dominique Potier (PS) et Philippe Noguès (PS), ndlr) planchent sur le sujet. Une loi devrait voir le jour dans les prochains mois. Elle donnera aux juges des appuis solides pour mettre les multinationales face à leurs responsabilité. Dans ce domaine, la France n’est pas pionnière. Au Canada ou aux Etats-Unis, ce type de loi existe déjà. Le Royaume-Uni dispose, lui, d’une jurisprudence qui va dans ce sens. En France, cette jurisprudence commence à émerger dans le droit social, le droit de la concurrence, le droit de l’environnement. Mais pour les droits humains, les enjeux sont tels que ça reste compliqué. Les lobbys agitent la menace des millions de salariés exploités dans les pays du Sud qui débarqueraient dans les tribunaux français. C’est complètement infondé. L’impact de cette loi aura lieu en amont, en renforçant le contrôle des maisons mères sur les comportements de leurs filiales.

- A lire aussi notre enquête : Au Niger, l’atome français enterre la santé de ses mineurs.

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  • En effet dans l’affaire de Bhopal (usine de produits chimiques) qui remonte a 1984, c’est la filiale indienne qui a été condamné de telle sorte que la société mère américaine a été innocentée. En outre elle a changé de nom puisqu’elle a été poursuivie en justice sous le nom de Union Carbide alors qu’elle continue son activité sous le nom de Dow Chemical. C’est a la fin des années 1980 qu’a été crée ce modèle de la filialisation dans les pays du tiers monde pour échapper aux poursuites judiciaires.

    On remarquera alors qu’Areva et la justice française en s’alignant sur le modele américain se tire une balle dans le pied. La recherche de petites économies ébranle la relation d’Areva avec ses fournisseurs d’uranium et plus generalement de la France avec le Niger alors l’armée qui intervient au Mali et en Centrafrique a le plus grand besoin d’un appui ferme et de stabilité au Niger. On lira avec intéret a ce sujet l’article deMark Tran paru dans le guardian quelques jours avant ce jugement.

    20.01 à 08h36 - Répondre - Alerter
  • Bonjour,

    "Les lobbys agitent la menace des millions de salariés exploités dans les pays du Sud qui débarqueraient dans les tribunaux français".
    Les lobbys reconnaissent donc que leurs sous-traitants ou filiales sont loin d’appliquer les mesures de prévention qui s’imposent sous nos latitudes.
    En quoi la vie de ces travailleurs lointains vaut elle moins que celles de nos concitoyens ?

    A réfléchir, non ?

    A+

    30.10 à 18h09 - Répondre - Alerter
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