https://www.terraeco.net/spip.php?article9756
Climat : à quoi joue Pékin ?
lundi, 19 avril 2010 / Hélène Duvigneau

Alors que la Banque mondiale presse toute l’Asie de l’Est de faire plus d’efforts pour lutter contre le changement climatique, la Chine joue la montre hors de ses frontières et concentre ses efforts sur le plan intérieur.

Chine échaudée craint l’eau froide. Depuis qu’une pluie de critiques s’est abattue sur elle au lendemain du « Flopenhague » – on l’a accusée d’avoir freiné des quatre fers pendant les négociations sur le climat – la Chine se recentre sur elle-même. Tant qu’à lutter contre le changement climatique, autant le faire d’abord pour soi : les autres attendront. Un rapport de la Banque mondiale paru ce lundi l’invite d’ailleurs à changer « réellement » de mode de vie et à accélérer ses efforts. Selon ce rapport, la date du pic des émissions de gaz à effet de serre en Asie de l’Est est fixée à 2025... si tant est que des investissements massifs dans les technologies vertes soient réalisés. En particulier en Chine, responsable de 85% des émissions de CO2 de la région.

Mais face aux injonctions internationales, Pékin remplit ses obligations sans se presser. Alors que la « deadline » pour la remise des copies au Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies avait été fixée au 31 janvier, la Chine n’a envoyé qu’en mars la lettre officielle de son engagement pour une réduction de ses émissions… C’est la preuve que le soutien de Pékin s’accompagne d’une certaine réserve, estime Yu Jie, directrice des programmes politique et recherche à l’ONG The Climate Group. « Depuis Copenhague, la Chine se montre plus inflexible car elle estime avoir contribué positivement à l’accord en s’engageant à réduire la progression de ses émissions de CO2 [1] sans en avoir tiré de reconnaissance politique. »

« Pékin attend que les choses bougent aux Etats-Unis »

Parmi les critiques formulées à l’encontre de l’Empire du milieu, Pékin aurait refusé lors des négociations finales menées à huis clos, que les pays de l’Annexe 1 (les émetteurs historiques : Europe, Etats-Unis, Canada, Australie et Japon) intègrent dans leurs engagements l’objectif de réduction de 80% de leurs émissions d’ici 2050 et par rapport au niveau de 1990. Une critique que rejette Wang Tao, expert en politiques climatiques à WWF Chine. « Cet objectif apparemment sans conséquence pour la Chine équivaut en réalité à ne laisser d’autre choix aux pays en développement que de réduire de 20% leurs émissions en 2050 par rapport à 1990 si l’on garde l’objectif de limitation de la hausse des températures à 2°C. Or si l’on tient compte de l’augmentation de la population et du développement de la croissance, l’effort est beaucoup trop important et injuste pour ces pays. »

Résultat, depuis le 18 décembre, la position de Pékin n’a pas bougé d’un iota et les mêmes expressions reviennent dans les médias. La Chine reste attachée au « mécanisme de doubles négociations » (Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques et protocole de Kyoto) et réaffirme « le principe de responsabilités communes mais différenciées » entre les pays développés et en développement. Quant au « rôle actif » de Pékin, tant vanté par la presse officielle, il a du plomb dans l’aile. « La Chine attend que les choses bougent aux Etats-Unis, elle n’est pas leader mais suiviste », observe Yu Jie.

Un discours quasi lyrique

Pour Valérie Niquet, directrice du Centre Asie et chercheuse à l’Ifri (Institut français des relations internationales), Pékin s’en tient aux engagements pris et refuse toute ingérence extérieure. « Les thèses du réchauffement climatique sont également plus contestées en Chine après le scandale du Climategate. » Barack Obama pouvait donc déclarer le 15 avril : « La Chine ne peut pas être autorisée à attendre que son niveau de vie s’améliore pour prendre des mesures de lutte contre le changement climatique », sans que cela trouble les dirigeants chinois.

D’ailleurs, ce même 15 avril, le chef de la délégation chinoise à Copenhague Xie Zhenhua a prononcé un discours quasi lyrique dans lequel il a ouvertement déclaré la guerre au changement climatique. « L’ampleur des dégâts économiques causée par un réchauffement de 3 à 4° C serait équivalente à celle causée par les deux guerres mondiales et la crise de 1929 réunies. »

Le carton de l’économie sobre en carbone

Depuis décembre, la Chine ne fait par ailleurs pas « rien » en matière de politique climatique. En 2009, elle est devenue n°1 en matière d’investissements en énergies propres avec 25,7 milliards d’euros investis dans l’année, selon l’ONG Pew Charitable Trusts. La transparence sur les données environnementales a également été améliorée, comme le constate sur son blog Barbara Finamore, de la NRDC [2] : « Les réglementations sur la transparence de l’information gouvernementale sorties en 2008 ont marqué un tournant dans la publication de données environnementales ». Entre 2007 et 2009, le ministère des Finances a également dépensé 11 milliards d’euros pour développer la part des énergies non fossiles dans le bouquet énergétique, et Pékin dépense aussi des milliards en matière d’innovation. Enfin, lors de la session annuelle de l’Assemblée qui s’est tenue en mars, le concept d’économie sobre en carbone a littéralement fait un carton. « L’un des sujets les plus discutés fut de savoir s’il fallait ou non mettre en place une taxe carbone », souligne Barbara Finamore.

Pour ce qui est du futur des négociations, difficile de dire comment évoluera la position chinoise, si ce n’est qu’elle essaiera, dans une approche dite « bottom-up » (du bas vers le haut) de faire reconnaître ses efforts locaux à l’échelle internationale. La Chine devra aussi intégrer cette année des mesures d’atténuation de ses émissions, en vertu des engagements pris à Copenhague, dans son 12e plan quinquennal (2011-2015). Selon Xin Wang, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), « on peut s’attendre à une déclinaison des plans climat à l’échelle provinciale et pourquoi pas à des objectifs par secteur ».

Transposer les mesures prises à l’échelon central au niveau local

L’engagement chinois de réduction de son intensité carbonique (quantité de CO2 émise par point de PIB) ne sera peut-être pas si facile à atteindre, souligne également Maïté Jauréguy-Naudin, coordinatrice du projet Énergie à l’Ifri. « Entre 1990 et 2005, la Chine a amélioré de 36% l’intensité carbonique de son économie sans s’engager sur le plan international. Mais cette amélioration est liée à une amélioration de l’intensité énergétique, c’est-à-dire de la quantité d’énergie nécessaire pour produire un point de PIB, et non à l’amélioration de l’intensité carbone de l’utilisation de l’énergie (émissions de CO2 produites par l’énergie utilisée, ndlr). » Cela signifie que le bouquet énergétique chinois est toujours composé d’énergies fossiles très émettrices.

Par ailleurs, la Chine a souvent du mal - et pas seulement dans le domaine climatique - à transposer les mesures prises à l’échelon central au niveau local. « Dans l’immédiat, poursuit Maïté Jauréguy-Naudin, il faut attendre le plan de l’été 2010 qui fixera de nouveaux objectifs d’efficacité énergétique. » Wait and see, une fois de plus.

A lire aussi sur terraeco.net :
- Décryptage : Après-Copenhague : "sortir du jeu de la poule mouillée"
- Enquête : Grande-Bretagne, Chine, Brésil, Danemark : les sceptiques sont partout
- Chronique : «  A Copenhague, des acquis indiscutables  »

- Le site de l’association américaine Natural Resources Defense Council
- L’Ifri
- Le communiqué des BRIC à Brasilia
- Le site de China Climate Change Info