https://www.terraeco.net/spip.php?article711
|
Frontière mexicaine : voyage au bout de la mondialisation
jeudi, 17 juin 2004
/ Louba NACHBA
|
Bienvenue à Tijuana et Ciudad Juarez, frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Ici, deux cultures, deux économies coexistent : la zone de libre-échange Mexique-Amérique du Nord (ALENA) vient de fêter ses dix ans. Mais si les capitaux et les marchandises circulent, les hommes du sud n’ont d’autre horizon que travailler dans les maquiladoras, des usines plantées à cheval sur la frontière. Et encore... Depuis peu, celles-ci ferment les unes après les autres, pour délocaliser leur production en Asie. Alors, les candidats à l’émigration sont légion, qui espèrent améliorer leur sort en traversant le désert, dernier obstacle avant le "rêve américain". Reportage.
Nogales d’un côté, Nogales de l’autre. Cette ville d’Arizona est jumelée à elle-même et enjambe la frontière. Mais lorsque l’on passe du hamburger ou pays du taco, c’est à peine si l’on peut s’apercevoir du changement. C’est toujours le désert, les cactus. Et les mêmes enseignes McDonalds, Taco Bell et Pizza Hut, qui défilent le long des routes.
Voilà une situation absolument inédite sur la planète, l’unique frontière terrestre entre l’un des pays les plus riches du monde et un immense pays en développement où les salaires ouvriers demeurent quatre à cinq fois plus bas. Cette zone, l’Amexica, ou la Mexamérique est une étrange région hybride. 800000 personnes la franchissent chaque jour légalement et 7000 illégalement. "Nulle part ailleurs un tel choc économique n’existe et ne génère de tels flux migratoires", note Isabelle Vagnoux dans son ouvrage Les Etats-Unis et le Mexique.
Alors que l’Accord de Libre-échange nord-américain (ALENA) entre le Canada, le Mexique et les Etats-Unis a fêté son dixième anniversaire le 1er janvier 2004, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les promesses non tenues. Certes le PIB du Mexique a été multiplié par deux. Le revenu par tête avoisine désormais 6000 dollars par an. Mais cela reste peu en comparaison des performances du puissant voisins : 37000 dollars par an et par habitant, en moyenne.
A la frontière se sont développées des mégapoles, laboratoires grandeur nature d’une économie mondialisée. Une partie importante de la population qui travaille à San Diego habite à Tijuana, où les loyers sont moins élevés. Le flux incessant des camions, des conteneurs et des marchandises qui traversent témoignent de l’intégration économique. Tout comme les usines jumelles qui ont été construites à cheval sur la frontière : aux Américains la gestion, la recherche-développement et l’encadrement, aux Mexicains la production à moindre coût dans des unités de sous-traitance.
L’oncle Sam renvoie chaque année 1,5 million de personnes vers la frontière sud, soit plus de 4000 personnes par jour, l’équivalent d’un petit village mexicain. 405 cadavres ont retrouvés l’an dernier dans les déserts des Etats frontaliers de Chihuahua et Sonora. D’ailleurs les Etats-Unis ont déjà été mis en cause par l’ONU pour "atteinte aux droits de l’homme". Preuve que cette mondialisation-là laisse de côté les hommes. En fait, les ouvriers mexicains fabriquent des voitures et des vêtements qu’ils ne verront jamais achevés. Les propriétaires étrangers des usines rapatrient leurs bénéfices sans les réinvestir dans le développement de la région, encore moins en formation de la main d’œuvre - majoritairement féminine - qu’ils emploient.
Article lié :
Débauche sans ordonnance
JPEG - 72.1 ko 350 x 351 pixels |
JPEG - 42.5 ko 400 x 182 pixels |
JPEG - 55.8 ko 198 x 600 pixels |
La Border Patrol. Crédit : Louba Nachba. JPEG - 21 ko 283 x 213 pixels |
La frontière, à Tijuana. Crédit : Louba Nachba. JPEG - 35.7 ko 300 x 225 pixels |
Pour certains candidats à l’exil, la route s’achève en plein désert. Crédit : Louba Nachba. JPEG - 15.3 ko 213 x 283 pixels |