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Quand Peugeot Citroën révèle la vraie consommation de ses voitures
mercredi, 2 mars 2016 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Ce n’est plus une ONG qui le dit, mais un constructeur ! PSA dévoile que trois de ses modèles avalent 45% de carburant de plus que ce que leurs vendeurs annoncent. C’est le résultat de tests – enfin – réalisés en conditions réelles.

C’était juste après le scandale Volkswagen. A l’heure où le monde découvrait les mensonges d’un fabricant de voitures, capable d’installer un petit logiciel pour tromper les tests d’homologation et sous-estimer volontairement les émissions de ses véhicules. Quelques temps après, « PSA est venu nous voir avec un message clair : “Nous voulons faire toute la transparence” », se souvient Michel Dubromel, vice-président de France Nature Environnement (FNE), ONG membre du réseau tissé par Transport & Environment (T&E). « Ils se considéraient comme bons élèves, alors ils ont monté cette opération », abonde François Cuenot, de T&E. « On ne voulait pas d’amalgames avec tout ce qui se passait. [Ce scandale] avait jeté le discrédit sur les constructeurs automobiles dans leur ensemble. On voulait rassurer nos clients en jouant la transparence », précise Laure de Servigny, responsable communication pour le groupe PSA Peugeot Citroën. Pour jouer le rôle du gendarme, enfin, le constructeur a approché le bureau d’audit Veritas.

Auprès de ses trois nouveaux acolytes, PSA a défini son objectif : mesurer les émissions de ses véhicules en condition réelles. Car, au-delà de la tricherie, le scandale Volkswagen avait fait éclater aux yeux du public une réalité connue des ONG environnementales et du secteur automobile depuis longtemps : les chiffres de consommation de carburant et de pollution apposées sur les étiquettes des véhicules ne sont pas fiables, loin s’en faut. Car les tests (menés encore aujourd’hui selon le cycle de conduite NEDC, qui date des années 1970) sont réalisés en laboratoires, à conditions optimales : accélération lente, température stable, etc. « Les cycles NEDC, on sait ce qu’ils sont. Les tests sont faits sur bancs à rouleaux, sans climatisation en marche, sans sixième vitesse… Ce sont des tests qui ont été revus en 1992, mais les voitures ont beaucoup changé depuis. Ça ne correspond plus à ce qui est commercialisé aujourd’hui », estime Laure de Servigny. Pis, certains fabricants n’hésiteraient pas à optimiser encore les résultats des tests en surgonflant les pneus, en utilisant des lubrifiants spéciaux, en scotchant les portes ou en retirant le rétroviseur droit pour améliorer l’aérodynamisme… Tant qu’en septembre 2015, l’ONG T&E – encore elle – chiffrait le fossé entre les résultats des tests et les émissions réelles de CO2 à 40% !

Une mesure autonome

Aussi les associations réclament-elles depuis longtemps des tests en conditions réelles. Elles ont d’ailleurs partiellement gagné puisqu’un nouveau cycle de conduite devrait entrer en vigueur en Europe en septembre 2017. Celui-ci devrait combiner des normes plus strictes de tests en labo à des données sur route (nommées « RDE » pour « Real Driving Emissions tests »). Mais PSA a voulu montrer patte blanche avant. Mais voilà, réaliser des tests s’approchant au plus près de la réalité, « ce n’était pas du tout évident », souligne Michel Dubromel. En premier lieu, le constructeur a dû définir le profil de son conducteur moyen – « entre le père de famille tranquille et l’énervé », décrypte Michel Dubromel – et sa conduite. « Pour être le plus réaliste possible et s’approcher du client moyen, on s’est basés sur les statistiques des clients de PSA. On a eu un accès important à leur base de données », se souvient François Cuenot de T&E.

Le constructeur a ensuite choisi trois véhicules représentatifs de sa gamme diesel (une Peugeot 308, une Citroën C4 et une DS3) avant de définir un circuit. Les mesures ont ainsi été prises « sur des axes routiers publics ouverts à la circulation à proximité de Paris – 25,5 km en zone urbaine, 39,7 en zone extra-urbaine et 31,1 km sur autoroute – dans des conditions de conduite réelles (utilisation de la climatisation, poids des bagages et des passagers, déclivités etc.) », précise le communiqué de presse. Un petit appareil embarqué – le PEMS – similaire à celui qui devrait être utilisé dans le cadre des nouveaux tests européens a servi à prendre les mesures. « Ça va un peu au-delà de ce que spécifie la réglementation européenne puisqu’il n’y avait aucune connexion entre le véhicule et le PEMS, explique François Cuenot. Le véhicule ne savait pas qu’il était mesuré et le PEMS n’avait pas besoin du véhicule pour fonctionner. » De quoi éviter le changement de comportement d’un véhicule qui détecte des conditions de tests, comme ce fut le cas dans l’affaire Volkswagen.

Un fossé confirmé

Résultat : des chiffres conformes aux consommations de gazole déclarées par les conducteurs de PSA. Mais des chiffres bien loin de ceux annoncées par le constructeur lors de la vente. Pour trouver cet écart, il faut aller plus loin que le communiqué de presse et retourner aux spécifications des véhicules. Si la Peugeot 308 (1) annonce une consommation de 3,1 litres/100 km en consommation mixte sur le site du constructeur, elle consommerait en moyenne 5 l/100 selon les chiffres de l’enquête. Du côté de la Citroën C4, 4 litres sont annoncés, mais 5,6 sont avalés réellement. Enfin, pour la DS3, 3,6 litres officiellement contre 4,9 réellement. Soit un écart en moyenne de 45%. Ecart qui se répercute directement sur les émissions de CO2 officielles et réelles. Celles-ci passeraient de 82 g par km à 132,5 g pour la 308, de 105-106 à 148,4 pour la C4, de 94 à 129,85 pour la DS3. Est-ce pour cela que le fabricant ne les donne pas noir sur blanc dans le communiqué de presse ? Michel Dubromel n’y voit pas malice : « Le chiffre du CO2, on l’a par équivalence. Et puis il s’agit ici avant tout d’une opération du constructeur qui communique sur les chiffres de consommation. » « Le sujet du client, c’est la consommation de carburant. C’est ça qui va faire qu’il achètera ou pas la voiture. Le CO2, c’est secondaire », renchérit Laure de Servigny de PSA.

Quoi qu’il en soit, pour Michel Dubromel, « c’est courageux de la part de PSA de mettre sur la table des chiffres plus élevés que l’homologation ». « Ils se sont sans doute fait quelques ennemis au niveau industriel, imagine de son côté François Cuenot. C’est un tabou, cette histoire de tests non fiables, même si c’est connu de tous. Mais qu’un constructeur mette ça sur la table, ça peut faire bouger les lignes. » « Ça fait longtemps qu’on dénonce les tests en labo en disant qu’ils ne sont pas représentatifs, poursuit-il. Là, c’est une façon de pousser un peu le processus législatif. Grâce à cette initiative, on peut dire que la mesure du CO2 est faisable et reproductible et qu’on peut obtenir des valeurs robustes. On montre aussi qu’on peut faire des tests sur routes ouvertes. » PSA dit aujourd’hui vouloir aller plus loin. Le constructeur a promis de soumettre trente véhicules, « cœurs de gamme » de ses trois marques (Peugeot, Citroën et DS Automobiles) aux mêmes tests d’ici à fin juin et d’étendre les mesures non pas au seul CO2 mais aux polluants à partir de 2017. De quoi garder une légère avance sur l’entrée en vigueur des nouveaux tests européens.


- (1) Peugeot 308 – 1,6 l Blue HDI 120 S&S BVM6 Allure
- (2) Citroën C4 Grand Picasso – 1,6l Blue HDI 120 S&S BVM6 Excellence
- (3) DS3 – 1,6l Blue HDI 120 S&S BVM6 So Chic

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