Sur le site du gouvernement, le message est pourtant limpide. Parmi les « 10 changements qui vous concernent au 1er janvier » trône au beau milieu de la liste, arborant fièrement le numéro 5, « le certificat qualité de l’air », aussi appelé « Crit’air ». « Ce nouveau dispositif doit faciliter l’identification des véhicules les moins polluants par le biais d’une pastille de couleur apposée sur le véhicule », affiche le site de Matignon. Pour connaître les modalités, rendez-vous sur le portail du ministère de l’Ecologie. On y apprend que pour télécharger ladite pastille, « les propriétaires de véhicules pourront notamment adresser leurs demandes sur Internet via un téléservice ». Prudent, le ministère ne fait pas mention du 1er janvier comme date de lancement et se contente de l’emploi d’un vague futur. Impossible d’ailleurs de dénicher le chemin vers le téléservice évoqué, même si certains de nos confrères semblent l’avoir mystérieusement trouvé.
Alors quoi ? Le conducteur français peut-il bel et bien réclamer sa vignette depuis le Jour de l’an ? Flou artistique au ministère de l’Ecologie. Le service de la communication renvoie vers le cabinet du ministère… qui finit par rappeler pour avouer : « Nous avançons sur le sujet, nous sommes en train de déterminer un cahier des charges pour le lancement d’une expérimentation avec les deux villes qui ont manifesté un intérêt pour le dispositif, soit Strasbourg et Grenoble. Notamment pour qu’elles puissent se procurer les certificats. Mais nous n’avons pas de calendrier à vous communiquer. C’est un dispositif assez lourd à mettre en place. On prend le temps de faire les choses correctement. C’est pour ça qu’on a pris un peu de retard. »
Premier relooking
Du retard, la mesure en a pris à gogo. D’ailleurs, son histoire tout entière ressemble à une succession de fausses annonces et de malentendus. La pastille antipollution naît ou plutôt renaît [1] au détour d’une annonce de Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, le 2 juin, dans un entretien au Parisien. La ministre dégaine alors une pastille verte non numérotée pour les véhicules zéro émissions et six pastilles numérotées de 1 à 6. Objectif ? Classer les véhicules du moins au plus polluant. « L’idée est de permettre aux contrôles de les identifier plus facilement. Notamment en cas de pic de pollution, mais aussi dans les zones de circulation restreinte que certaines agglomérations pourront mettre en œuvre grâce à la loi de transition énergétique qui leur donne une base légale (…). Grâce à ce système, les maires pourront, par exemple, autoriser le stationnement gratuit pour les véhicules électriques et d’autres mesures avantageuses pour les véhicules les moins polluants », précise-t-elle alors. Le certificat sera gratuit pendant six mois et affichable sur la base du volontariat. Sur la date, la ministre est alors bigrement optimiste : « le dispositif devrait être opérationnel avant le 1er septembre » et ce, précise Le Parisien, pour « une mise en place officielle au 1er janvier 2016. »
Le 30 septembre, le dispositif a déjà pris du retard. Quand Ségolène Royal le présente en Conseil des ministres, il a aussi subi un léger relooking : il n’y aura plus 7 mais 4 catégories de vignettes Crit’air. Aux oubliettes les niveaux 4, 5 et 6 qui risquaient d’entraîner « une stigmatisation » des mauvais élèves de la route. La ministre annonce au passage que des expérimentations seront au préalable lancées à Strasbourg et Grenoble.
Loin d’être prête
Les intéressés s’étranglent. Quand « Ségolène Royal a annoncé ça, nous, on n’était pas du tout prêts », s’agace-t-on au service de presse de la mairie de Strasbourg. Le cabinet de la ministre s’en étonne : « L’annonce de la ministre a été faite à Strasbourg alors qu’elle était avec les élus. Ils avaient dû en discuter à ce moment-là », tente-t-on. L’article qui relate, sur le site du ministère de l’Ecologie, la visite de la ministre le 8 septembre dans la ville, est beaucoup plus prudent : « Le certificat qualité de l’air sera déployé dès la fin du mois de septembre dans les collectivités volontaires s’engageant à mettre en place une zone à circulation restreinte. La ville de Strasbourg pourrait demander à l’expérimenter. » Du conditionnel lors de sa visite le 8 septembre à l’indicatif trois semaines plus tard, la ministre a-t-elle unilatéralement sauté le pas ?
Prête, la ville ne l’est en tout cas toujours pas. « On a fait pas mal d’études de faisabilité, notamment pour mesurer l’acceptabilité sociale d’un tel dispositif. Et sur l’aspect technique, on a un réel besoin d’étudier les modalités. C’est en cours, mais on ne décidera rien tant que les études n’auront pas abouti, poursuit-on au service de presse de la mairie. On ne remet pas en cause la parole de la ministre, mais comme souvent il y a un décalage entre l’annonce et la mise en place sur le terrain. » Et à Grenoble ? La surprise fut également vive, mais moins douloureuse. Car la ville planchait déjà depuis septembre 2014 sur la mise en place d’un dispositif antipollution. Elle avait d’ailleurs réuni autour de la table tous les acteurs locaux pour mettre en place un « protocole d’accord local pour la gestion des épisodes de pollution ». « C’est un réel problème pour l’agglomération. Nous avons 250 décès par an liés à la pollution », souligne-t-on à la direction du Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération (SMTC). Après l’annonce de la ministre, en juin, les acteurs avaient même raccroché leur initiative locale à la loi sur la transition énergétique et intégré un système de vignettes.
Pas avant six mois
Mais quand Ségolène Royal annonce l’expérimentation de leur ville, le SMTC et la mairie s’étonnent : « On n’avait pas été consultés. On n’a pas été aussi surpris que Strasbourg, on était même plutôt contents que les choses avancent mais l’annonce du démarrage de l’expérience au 1er octobre semblait un peu compliqué. Personne n’avait encore délibéré sur le protocole. On a saisi le ministère sur cette question, mais on n’a pas tellement eu de réponses », confie la direction du SMTC. « Grenoble avait manifesté clairement son intérêt », se défend-on dans les rangs de la ministre.
Finalement, le protocole est adopté le 20 novembre par le conseil municipal de Grenoble. Il ne scelle pas le début de l’expérimentation pour autant. Car sur son site Internet, la ville le stipule clairement : « Le protocole sera mis en application à partir du 1er janvier 2016, soit après la diffusion des certificats de qualité de l’air par les services de l’Etat. » Sauf que de téléservice pour télécharger les fameux certificats, il n’y en a toujours pas. Pis, c’est sur la base de 7 pastilles – et non de 4, comme la ministre l’a ultérieurement décidé – que les acteurs grenoblois se sont entendus. « On a préparé des documents de communication pour les habitants. Si demain la plateforme est en ligne, on est prêts à dégainer, mais à condition qu’on puisse avoir une dérogation sur les 4 pastilles. » Et sinon ? « Il va falloir refaire le tour de table. C’est dommage. Car c’est difficile dans une agglomération comme la nôtre qui est très plurielle politiquement d’obtenir un consensus. On va perdre du temps. » Et repousser encore le lancement de l’expérimentation et donc la généralisation au niveau national qui ne devrait intervenir – si les expérimentations sont concluantes – qu’au terme de six mois. On est bien loin de la vignette pour tous téléchargeable depuis le 1er janvier. « Ça nous fait perdre du temps sur un dossier important sur lequel on est prêts depuis plus de trois mois », regrette-t-on à la direction du SMTC de Grenoble.
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