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J’ai testé la compensation carbone
lundi, 29 juin 2009
/ Laure Noualhat / Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet. , / Adrien Albert |
C’est bien beau de jouer les grands reporters aux quatre coins de la planète. Mais côté pollution, c’est le drame. En route pour le Net afin de racheter ce gros boulet de CO2.
A l’instar des cordonniers qui vont semelles au vent, les journalistes spécialisés en écologie sont de gros pollueurs. Moi comprise. A l’occasion d’un reportage ou d’un tournage, nous les journalistes n’hésitons pas à grimper à bord d’avions pour rendre compte de l’état d’avancement du changement climatique auquel nous venons de contribuer.
Afin de compenser, il faut un bipède qui refuse de renoncer à un voyage émetteur de CO2 – moi –, et une structure qui a besoin d’argent pour en émettre le moins possible – quelqu’un d’autre. Entre les deux, un entremetteur. En France, trois organismes jouent ce rôle : Action carbone, le site de Yann Arthus-Bertrand créé à l’origine pour compenser les émissions engendrées par ses prises de vues et ses tournages ; Climat Mundi, entreprise fondée par un couple d’ingénieurs écolos ; et CO2Solidaire, association qui dépend du Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités.
Un gramme de sel
Ces enseignes ont toutes acheté des crédits compensatoires sur les marchés du carbone qu’elles revendent ensuite entre 15 euros et 25 euros la tonne. Il en existe plus d’une centaine dans le monde, mais à peine une vingtaine s’adressent aux petits pollueurs comme nous, les gens. Les autres se concentrent sur les entreprises. Sur chacun des sites précités, l’internaute intègre les données de son déplacement : kilométrage, consommation du véhicule, vol direct ou avec escales, classe éco, business… Puis il fait mouliner une calculette à CO2. L’un de nos vols nous a conduits à Las Vegas, capitale du stupre et de la décadence : 3,8 tonnes de CO2. Ce voyage me coûte, une fois passé à la moulinette, dans les 75 euros.
Pour ce prix-là, qu’est-ce que je compense ? Rien. Je contribue simplement à éviter des émissions supplémentaires en finançant un projet sobre en CO2 : une ferme éolienne en Chine, une distribution de fours énergétiquement efficaces en Erythrée… Bref, des projets plutôt destinés aux pays émergents ou en développement. Et les deux-tiers concernent de la petite hydro-électricité – barrages de taille modeste –, de la captation de méthane ou de l’éolien. Ouf, je me sens mieux là.
Mais le concept souffre de nombreuses inconnues : comment vérifier que les émissions évitées le sont réellement ? Par exemple, un doute plane sur la compensation via la reforestation à cause du délai de croissance des arbres : l’absorption de CO2 survient dix, quinze ou trente ans après la plantation alors que les tonnes de CO2, elles, se concentrent dans l’atmosphère depuis belle lurette. Puis, il faut éviter les expériences aléatoires. En 2006, pour bien faire, le groupe Coldplay a voulu racheter, carboniquement parlant, la tournée de son dernier album par la plantation de 10 000 manguiers dans l’Etat du Karnataka, en Inde. Après enquête, seules quelques centaines d’arbres sont sortis de terre. Sur la sellette, l’entreprise The Carbon Neutral Company qui n’aurait pas assuré le suivi du projet auprès des paysans indiens. « On trouve tout et n’importe quoi dans la compensation volontaire. C’est un peu la jungle », déplore au passage Damien Demailly, chargé de campagne climat au WWF.
De quoi devenir timbrée
Pour éviter de s’y perdre, autant compenser auprès d’un organisme qui achète des crédits certifiés par le Gold Standard, un label soutenu par une soixantaine d’ONG. En France, devant le florilège d’offres, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a élaboré une charte de bonne conduite. Que la plupart des acteurs ont signée, évidemment. Mais le problème de l’efficacité se double d’un problème moral. L’expert en climat, Jean-Marc Jancovici, dénonce le principe comme étant « l’indulgence des temps modernes », inspirée des indulgences pratiquées dans l’Eglise catholique. Un petit chèque et la culpabilité s’en va ! D’une manière générale, les ONG sont assez réticentes vis-à-vis de ce principe.
Je suis devenue un peu schizophrène avec la compensation parce qu’après tout, il n’y a pas que les voyages, c’est la vie entière qu’on peut compenser ! De ma douche au contenu de mon assiette, en passant par ma penderie et mon mec, tout, absolument tout, émet du CO2. De quoi devenir timbrée au point de mesurer la moindre flatulence (génératrice de méthane, comme chacun sait). Pour savoir quel carbogène on est, il suffit de calculer son propre impact sur le site « Bilan carbone personnel ». Ainsi informé de sa « contribution » au réchauffement, le pécheur peut racheter sa vie tout entière. Et agir sur les postes les plus émetteurs. Mais autant vous prévenir : rien ne compense les tonnes de scrupules.
Compensation CO2, un site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie pour tout savoir sur le principe de la compensation.
Action carbone, le programme de GoodPlanet, l’association de Yann Arthus-Bertrand.
CO2Solidaire, une ONG implique vraiment les populations locales avec lesquelles elle collabore.
Climat Mundi, une organisation, qui pratique la compensation, se refuse néanmoins à le faire via la plantation d’arbres.
[Planète Urgence-www.planete-urgence.org], une association n’est pas spécialisée dans la compensation carbone mais propose ce service via des projets de reforestation.
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