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Erika ou la victoire du préjudice écologique
mardi, 25 septembre 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Victoire totale pour les victimes. La Cour de cassation a confirmé la condamnation de Total. Mieux, elle a alourdi la facture pour l’affréteur et consacré, au passage, une nouvelle notion : le préjudice écologique.

C’était il y a treize ans. L’Erika faisait naufrage au large des côtes bretonnes et déversait des centaines de milliers de tonnes de fioul dans les eaux. 400 kilomètres de côtes étaient souillées et 150 000 oiseaux mazoutés. Ce mardi, la Cour de cassation a estimé que la France était compétente pour juger des responsabilités dans l’affaire de l’Erika. Comme l’avait exigé la Cour d’appel en 2010, Total devra bien payer l’amende maximale, soit 375 000 euros. Pis, les magistrats ont cassé la seule décision favorable à Total : son irresponsabilité civile.

Résultat : Total devra « réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus d’ores et déjà condamnés » à 200,6 millions d’euros de dommages et intérêts dont 13 millions au titre du « préjudice écologique ». ll pourrait donc y avoir, à ce titre, jurisprudence.

Le préjudice écologique, pourquoi faire ?

Si la notion avait émergé en 2008 et apparaissait dans certains textes sous une dénomination proche – les dommages pour atteinte a l’environnement – elle « n’existait pas en matière maritime, assure Yann Rabuteau, juriste et expert au sein du réseau Allégans. Simplement parce que la seule affaire maritime de cet ordre en France, c’est l’Erika. » Et cette fois-ci, le terme est cité mot pour mot dans l’arrêt. « On ne peut que se réjouir que la Cour de cassation consacre cette notion. Non seulement, elle utilise le terme dans son arrêt mais elle en donne une définition ambitieuse », souligne Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement.

La définition est la suivante :

« Le préjudice écologique consiste en une atteinte aux actifs environnementaux non marchands, [il] est objectif, autonome et s’entend de toutes les atteintes non négligeables à l’environnement naturel, [il] est sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime. » En clair, si traditionnellement, pour qu’il y ait indemnisation « il faut un préjudice direct, certain et personnel qui atteigne l’homme dans son patrimoine ou dans son intégrité corporelle », dans le cas du préjudice écologique, « la notion de personnalité disparaît », souligne Arnaud Gossement.

Les conséquences

En cas d’annulation de la procédure, les collectivités craignaient qu’une impunité totale soit donnée aux futurs pollueurs. « L’hiver va arriver. Il va y avoir des tempêtes. On peut avoir de nouveau un bateau-poubelle parce qu’il y en a encore beaucoup, beaucoup, sur les eaux internationales », s’était alarmé, à la veille de l’audience, la maire UMP de Batz-sur-mer (Loire-Atlantique), à l’Agence France presse. Désormais, « il faut que les entreprises sachent que cette nouvelle catégorie de droit existe, souligne Arnaud Gossement. Le calcul du risque financier ne se fera plus de la même manière. » Reste que cette reconnaissance est un « point de départ » : « Il faut maintenant savoir comment évaluer le préjudice. La science économique va être interrogée là-dessus », poursuit-il.

Une loi pour graver la notion dans le marbre

Le 23 mai 2012, Bruno Retailleau (UMP) avait déposé une proposition de loi au Sénat « visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le Code civil ». Le sénateur proposait d’insérer l’article suivant dans le Code : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à l’environnement oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La réparation du dommage à l’environnement s’effectue prioritairement en nature. »

« Toutes les démarches juridiques pour caractériser la doctrine générale sont positives. La démarche législative est la bienvenue », a précisé Yann Rabuteau au sortir du Palais de justice. Arnaud Gossement, lui, reste prudent : « Si le législateur doit intervenir pour réduire l’arrêt de la Cour de cassation, on aura tout perdu. » Or, nul besoin de se leurrer, assure l’avocat : « Le droit maritime n’est pas vert. Il y aura du lobbying. Comme à chaque fois qu’il y a une jurisprudence, il y aura un retour de manivelle. Il faudra se battre. »