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Tuons Groupon (avant qu’il ne nous tue)
jeudi, 24 novembre 2011 / Stéphane Soumier /

Stéphane Soumier est rédacteur en chef de BFM Business et animateur de « Good Morning Business ». Il est l’auteur du blog Eco-vibes.

Comment changer le monde ? En payant plus cher les produits, quitte à consommer moins. Mais surtout pas en achetant via Groupon.

Allons-y grossièrement : la Chine est sans doute au bout de ses capacités à faire baisser les prix. Il y a 18 mois, les hommes qui se sont jetés du haut des toits de Foxconn (le plus gros sous-traitant au monde de l’industrie high-tech) ont sans doute davantage changé le monde que les terroristes du 11 septembre. Les hausses de salaire qui ont suivi sont difficiles à évaluer mais dépassent de loin les gains de productivité. L’autre mouvement de fond, celui de délocalisation de l’industrie chinoise vers l’ouest du pays, est complexe à gérer, socialement et politiquement. On ajoute à cela la hausse des prix des matières premières, et l’on comprend que les temps sont murs pour arrêter la destruction de valeur.

Les temps sont murs mais nous ne le sommes pas. Le culte politique du moment, c’est celui du pouvoir d’achat, et l’on applaudit donc à la naissance de ce cancer de la consommation que représente Groupon (un réseau social américain qui permet aux consommateurs du monde entier de se regrouper pour tirer les prix vers le bas en négociant en groupe auprès des commerçants de leur région, ndlr). Cancer, oui : dérèglement d’un mécanisme vital. Le principe est de s’appuyer sur les réseaux sociaux pour donner de la puissance aux offres promotionnelles. Dans les faits, cela amène le consommateur à ne plus vivre qu’au rythme de ces offres promotionnelles.

Car on les trouvera toujours, on trouvera toujours des commerçants et des industriels à l’agonie prêts à tout sacrifier pour arracher quelques semaines de trésorerie, on les trouve même davantage encore en temps de crise. Les autorités politiques elles-mêmes participent au mouvement, des opérations comme « les essentiels de la rentrée » obligent les distributeurs à de nouvelles pressions sur les marges industrielles.

4 millions de friteuses sans huile vendues

Personne n’explique que ces gains de pouvoir d’achat artificiel détruisent en fait les salaires. La proportion des salariés français payés au SMIC a quasiment doublé en vingt ans (en gros 8% dans les années 1990, 15% aujourd’hui nous dit l’INSEE). Le poids des 35 heures est évident, mais le lien avec la disparition de l’emploi industriel l’est tout autant - seuls les gains de productivité permettent d’augmenter sainement les salaires, ils sont compliqués à trouver quand on vend des glaces aux touristes ou que l’on fait les lits des chambres d’hôtels -, emploi industriel justement victime de cette guerre des prix.

Un certain nombre d’entreprises trouvent la parade, l’exemple de la friteuse sans huile de SEB est sans doute le plus spectaculaire, permettant de multiplier par quatre les prix de vente, et d’en vendre à ce jour plus de 4 millions (parce que l’innovation est directement utile, etc., mais ce n’est pas le propos de ce billet). La riposte est donc possible.

Houellebecq et le sentiment de « déception »

Nous consommerons moins ?? Et alors, cette consommation est à l’égal des dettes que nous avons accumulées : la certitude de notre déclin futur. Houellebecq a même décrit parfaitement le sentiment de « déception » qui accompagne maintenant l’achat d’un produit manufacturé victime d’une politique de réduction de coût à chaque étape de sa fabrication.

Il ne tient qu’à nous de résister, l’ambiance du moment le permet. Retour au principe de réalité, politique de ré-industrialisation, relocalisation décidée par de plus en plus d’industriels. A condition de détruire à coups de pelle ces excroissances effrayantes des réseaux sociaux.

Cet article a été initialement publié sur le blog Eco-vibes le 3 novembre dernier, lors de l’introduction en Bourse de Groupon. Après avoir grimpé de 30% dans les premiers jours, son cours de Bourse s’est effondré depuis le début de la semaine.