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Du sang sur les portables
jeudi, 14 septembre 2006
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/ Emmanuelle Debelleix
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Téléphones mobiles, ordinateurs portables et consoles de jeux ont un point commun. Ces trois « bijoux » technologiques contiennent du coltan. Une matière première extraite dans des conditions désastreuses au fond des mines de la République démocratique du Congo. Terra Economica a remonté la filière de ce minerai qui fait la fortune de quelques multinationales.
Dans un recoin du port de Bukavu, chef-lieu du sud Kivu, une vieille femme est accroupie au pied des sacs de farine de manioc qu’elle est venue vendre aux pêcheurs locaux. A quelques mètres d’elle passent des hommes qui s’embarquent pour l’île d’Idje, perdue au milieu du lac. Direction : les mines de coltan de l’îlot. "N’y allez pas, le coltan c’est la mort", leur murmure, inaudible, la vieille femme. Elle sait de quoi elle parle. Deux de ses fils ont donné leur vie au coltan. L’un d’épuisement en 2001, l’autre de maladie l’année dernière, dans les mines de Shabunda, une petite ville au sud de Bukavu.
"C’était la guerre. Les miliciens sont arrivés, ont pris mes fils et la plupart des hommes du village pour extraire leur sale minerai. Au départ, mes petits étaient contents : le coltan rapporte bien plus que la terre. Plus de cent dollars le sac de cinquante kilos à l’époque. Et tout ça en quelques jours à peine. Eux qui croyaient pouvoir m’offrir de beaux bijoux. Ils sont morts. Pris par la mine". Le prix de leur décès ? Quelques tonnes de tantale, un métal cher à l’industrie électronique et extrait du minerai de colombo-tantalite, plus connu sous son nom africain, le coltan. A Shabunda, Walikale, Mwenga, Kalehe... Dans tous les lieux isolés du Kivu où le coltan est extrait de manière artisanale par des milliers de « creuseurs », les histoires comme celle des fils de Suzanne se répètent à l’infini. Hommes, mais aussi femmes et enfants, s’échinent au fond des rivières et au creux des montagnes pour arracher à la terre cette pierre grisâtre qui vaut de l’or.
Les méthodes de travail sont proches de celles des anciens chercheurs d’or du Far West. Quelques pelles et barres à mine et la sueur de l’effort physique. Dans un Kivu essentiellement rural, le coltan a dévasté une large part du territoire. Pour lui, les mineurs ont abandonné leurs récoltes, défriché les parcs naturels et fait fuir les animaux rares. Le tout pour une poignée de dollars. Car ce ne sont pas les mineurs eux-mêmes, mais les miliciens et militaires contrôlant la région, qui récoltent ici les fruits des richesses minières. Pendant la guerre, nombreux furent les cas de populations villageoises forcées à creuser sous la menace d’une Kalachnikov. Aujourd’hui, la situation s’est quelque peu améliorée. Mais les mineurs sont toujours sous la coupe des hommes en armes, qui taxent sans état d’âme chaque sac de coltan extrait par les creuseurs.
Après avoir renversé en 1997 le dictateur Mobutu, Laurent-Désiré Kabila affronte depuis 1998 des mouvements rebelles soutenus par ses anciens alliés, notamment rwandais et ougandais... Objets d’une gestion désastreuse sous Mobutu, les fabuleuses ressources minières du pays sont devenues, dans ce contexte, une manne financière pour les belligérants qui se partagent le territoire. Au Kivu, où repose le coltan national, c’est le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), un mouvement principalement soutenu par le Rwanda, qui règne en maître.
Le RCD n’est pas le seul à profiter de cette poule aux œufs d’or. Le Rwanda voisin fait de même, de façon très structurée. Dans la capitale Kigali, un Bureau Congo, dirigé par un proche du président Kagamé, coordonne les activités relatives à l’exploitation des ressources congolaises. Et le trafic paie. En 2000, le Bureau Congo réalise 64 millions de dollars de bénéfices grâce au seul coltan de RDC... de quoi financer à plus de 70 % les dépenses de l’armée rwandaise !
Après avoir tenté de nier les faits, HC Starck et Cabot reconnaissent leur implication dans ce circuit de sang, et clament haut et fort qu’ils respecteront désormais l’embargo moral onusien. Une déclaration d’intention qui n’est accompagnée de la mise en place d’aucun moyen de contrôle.
Officiellement, la guerre est achevée depuis la fin 2002. Mais l’Est du pays reste sous haute tension. Militaires et miliciens de tous bords gardent la haute main sur les gisements miniers. Dans les forêts, des groupes rebelles, comme les FDLR, constitués d’anciens génocidaires hutus rwandais, ou les ex-milices congolaises Maï Maï, contrôlent le coltan. Ailleurs, les chefs locaux de la nouvelle armée nationale congolaise (FARDC) se posent en seigneurs des lieux. Ce corps armé est désormais alimenté par tous les anciens belligérants. Du coup, les ex-miliciens du RCD ont conservé, au Nord-Kivu, la main sur leur ancien trésor de guerre... qui file toujours vers le Rwanda.
Les profits engrangés n’atteignent plus les sommets des années passées. Mais les réseaux politico-militaires s’en nourrissent toujours. Car sur le plan international, les métallurgistes restent acheteurs. Officiellement, HC Starck et Cabot, pourtant tenus par des accords avec le premier producteur mondial de coltan et l’australien Sons of Gwalia, ont cessé leurs achats en RDC. En réalité, les deux firmes s’approvisionnent toujours via des intermédiaires - des courtiers internationaux - qui ont pignon sur rue et continuent à se servir en République démocratique du Congo. Ces courtiers ont pour nom Sogem en Belgique, A&M Metals au Royaume-Uni par exemple. Et ils se défendent.
L’occident aux abonnés absents
"Nous achetons un coltan propre, exploité par des coopératives villageoises", clament les courtiers. "Impossible, réplique Patrick Martineau, chercheur québécois spécialiste du secteur. Ces coopératives représentent une part infime de la production locale. Les courtiers enrichissent forcément militaires et miliciens..." Surtout, ajoute le chercheur, HC Starck et Cabot ne sont pas seuls sur le marché du raffinage de ce minerai. Trois sociétés se partagent les 30 % non contrôlés par les deux géants : la chinoise Ningxia, la kazakhe Kazatomprom, et la japonaise Showa-Denko. Ces "juniors" n’hésitent pas à s’approvisionner directement auprès des réseaux mafieux congolais. En toute impunité.
Comment, donc, s’assurer que les téléphones portables ne contiennent aucun microgramme de sang ? "Chaque site minier possède son propre ADN, avance Patrick Martineau. Il serait coûteux mais tout à fait possible de retrouver la provenance de chaque kilo de tantale raffiné par les grandes firmes. » Mais qui y aurait intérêt ? Ni les métallurgistes avec, dans leur sillage, les fabricants de condensateurs et les géants de la téléphonie mobile. Ni les réseaux de l’ombre politico-militaires, gardiens du circuit du coltan en RDC. Les seuls, finalement, à s’y montrer favorables seraient les milliers de creuseurs esclaves du minerai. Mais personne ne les entend.
FICHE D’IDENTITE
Population : 57,5 millions d’habitants dont 47,1 % ont moins de 15 ans.
Superficie : 2,34 millions de km2 (4 fois la France)
Capitale : Kinshasa
Président : Joseph Kabila. Opposé à Jean-Pierre Bemba au 2e tour des présidentielles en octobre.
Indice de développement humain (IDH*) : 167e rang mondial sur 177.
* Trois éléments sont pris en compte pour construire cet indicateur : la longévité, le niveau d’éducation et le niveau de vie.
Le rapport du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique (Grama)
Le rapport de l’ONU
L’étude de l’Ong Global Witness
Le rapport de l’Ong SüdWind
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