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Savez-vous planquer les sous ?...
jeudi, 4 novembre 2004
/ Walter Bouvais / Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net Suivez-moi sur twitter : @dobelioubi Mon blog Media Circus : Tant que dureront les médias jetables , / Stéphane WELTER , / X |
Les paradis fiscaux ? On les trouve aux Caraïbes, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis. Les discours officiels les font passer pour des repaires de mafieux et de terroristes. Les faits montrent qu’ils sont un rouage essentiel du capitalisme moderne. Du simple quidam à l’entreprise multinationale, jamais ces havres fiscaux n’ont été aussi accessibles et aussi assidûment fréquentés. Et ce, en totale contradiction avec les grandes déclarations sur la transparence.
Mardi après-midi pluvieux sur Paris. Au troisième étage d’un centre d’affaires planté sur une prestigieuse avenue, Alain B. [1] reçoit ses clients. La quarantaine élégante, de fines lunettes posées sur le nez, Alain B. est un nomade en costume cravate. Une salle de réunion lui tient lieu de bureau parisien, une journée par semaine. Le reste du temps, il vit et travaille au Luxembourg. La société canadienne qui l’emploie au Grand-Duché, Abroad Investment, est spécialisée dans "l’optimisation fiscale". On dit aussi "évasion fiscale". Alain B. est en charge de la clientèle française.
Ce jour-là, après plusieurs échanges téléphoniques et électroniques, nous sommes convenus de signer le contrat de création d’une société offshore, hébergée dans ce que l’on nomme par abus de langage, un "paradis fiscal". En fait, un "centre offshore". Déroutante de simplicité, la recette est élaborée à partir de quatre ingrédients. D’abord, l’immatriculation de l’entreprise au Nevada (Etats-Unis). L’impôt sur les sociétés y est nul. Second ingrédient, par souci de discrétion, la direction de l’entreprise est confiée à un citoyen Panaméen... en apparence. Car comme en atteste la procuration, c’est le dirigeant français qui continue d’être aux commandes. Troisième ingrédient, l’ouverture d’un compte bancaire en Lettonie, dans un établissement lié à une grande banque française. Pourquoi la Lettonie ? Parce que "ce pays aspire à devenir la petite Suisse de l’Europe, asure Alain B. Le secret bancaire y est assuré". Une garantie d’anonymat, au cas où l’administration fiscale française montrerait son nez. Quatrième ingrédient : les paiements des clients de la société transiteront par un groupement d’intérêt économique britannique, contrôlé par de grandes banques. Cinq pays, une semaine de patience, pas le moindre déplacement. La société et son dirigeant ont échappé au fisc. Et se sont offert une place à l’ombre d’un centre offshore pour un coût de 7000 euros.
1% de la population du monde, un quart de sa richesse
Pour Alain B. les affaires sont florissantes. Pour les centres offshore aussi. Si les spécialistes prennent des pincettes quand il s’agit de chiffrer des activités "clandestines" par essence, quelques indices permettent de cerner l’ampleur du phénomène. Les centres offshore, où vit seulement un terrien sur 100, abritent... un quart de la richesse de la planète. Dans son édition 2002, le très officiel rapport annuel sur la richesse publié par Cap Gemini et Merrill Lynch [2], indique que le club des millionnaires (en dollars) de la planète, détiendrait à lui seul un patrimoine de 8500 milliards de dollars dans les centres offshore (dépôts bancaires et sociétés écran). Cette tendance est largement corroborée par les estimations du FMI [3] et de l’OCDE [4]. Enfin, dans un monde où l’argent circule librement, un seul exemple en vaut bien d’autres : les îles Caïmans comptent près de 600 banques pour 40000 habitants ! Et un patrimoine estimé à 850 milliards de dollars, la moitié du PIB français.
Ces chiffres prouvent que les "paradis fiscaux" ne sont pas un monde à la marge. Nous sommes loin des clichés de cocotiers et plages de sable blanc, repaire exclusif de mafieux en costumes à bandes, chemises hawaïennes et cigare aux lèvres. La fréquentation des "paradis fiscaux" n’est pas davantage l’apanage de terroristes, contrairement à ce que laisse penser la floraison de discours sécuritaires d’après-11 septembre 2001. En fait, comme le soulignent Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, dans un remarquable ouvrage [5], ces havres fiscaux n’ont pas été inventés par les délinquants mais par les tenants de l’économie conventionnelle : banquiers, hommes politiques, dirigeants d’entreprises. "Ce système date de la fin du XIXe siècle. Depuis, les criminels ne font qu’utiliser une facilité mise à la disposition de tous", souligne Thierry Godefroy. "Il y a un décalage entre la façon dont on crie au loup sur les centres offshore et la réalité", enchérit Jean-François Thony, sous-directeur aux affaires juridiques du FMI.
Décalage, encore : les peuplades de ces territoires sortent du Gotha du CAC 40 ou de Wall Street plutôt que de l’univers de Scarface. On trouve des filiales de Vivendi ou de la Société Générale au Delaware, de BNP Paribas à Luaban (Malaisie), de Total aux Bermudes (découverte à l’occasion du naufrage de l’Erika), d’Axa sur l’île de Man. Aux Pays-Bas - appréciés pour un taux d’imposition plus faible pour les entreprises étrangères - on croise Renault-Nissan, Alcatel, EADS. Au Luxembourg, le géant Arcelor. Françaises ou étrangères, difficile de dresser une liste exhaustive. Selon Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, 60% des sociétés du classement Fortune 500 [8] ont un pied dans un paradis fiscal. Qu’y font-elles ? Tout d’abord, de la "dissimulation" de bénéfices pour échapper à l’impôt sur les sociétés (voir encadré Trois petits tours de passe-passe et puis s’en vont...). En Europe, des dizaines d’éditeurs de logiciels (Microsoft, Oracle...) ont ainsi implanté leur siège en Irlande où leur taux d’imposition est fixé à 10% jusqu’en 2010 (contre 33,7% pour la moyenne européenne).
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