Erwan Lecoeur : "la taxe carbone, c'est tout bénéfice pour le FN"

Terra eco : quelle a été l’évolution du vote frontiste lors de ce premier tour ?

Erwan Lecoeur : "Il ne faut pas se tromper : le FN n’a pas du tout progressé en nombre de voix. Il a même baissé par rapport aux régionales de 2004, où l’on ne parlait pas de lui, et il est très loin des scores de 98, 92 etc. L’abstention a fortement touché l’électorat sarkozyste de 2007, ce qui fait comparativement monter le FN. Il y a quand même deux cas particulier, que l’on pourrait résumer par « FN, c’est has been. Le Pen ça marche encore ». Ensuite sur les profils on retrouve les petits commerçants et artisans qui sont l’origine même du vote populiste d’extrême droite et qui pour certains ne l’avaient quitté que pour l’élection de 2007, dont on a fait à tort un étalon. De même, si le FN n’a jamais fait voter énormément les jeunes en général, il a toujours eu un soutien d’une frange en situation de déclassement potentiel. La nouveauté c’est peut-être le fait que les agriculteurs aient abandonné assez massivement l’UMP pour voter en partie FN. Je pense que c’est à la fois dû à la crise que connaît la profession et à la fin de l’ère Chirac."

Ce divorce ne tient-il pas au contrecoup du Grenelle, que le chef de l’État a tenté de désamorcer avec sa phrase "l’environnement ça commence à bien faire" ?

"Si les agriculteurs ne sont pas devenus écolos, comme beaucoup de Français ils se posent la question de savoir si cette histoire n’aurait pas un fond de vérité. Et la fraction la plus dure, qui est dans l’axe du refus, ne va pas voter pour lui : c’est lui qui a fait le Grenelle et mis des taxes en plus. Ils vont se réfugier vers ceux qui tiennent le discours le plus clair possible, à la fois contre l’écologie et contre Sarkozy. Sur un plan plus symbolique, il y a aussi le sentiment d’être abandonné par cette modernité galopante. C’est plus par ce biais là que sur des questions de subventions que l’on peut retrouver du côté du FN un pan du monde agricole qui est dans une perte de sens complète. Pour la taxe carbone, il y a là aussi une erreur de communication. Ceux qui ont besoin de leur voiture pour travailler se disent « c’est nous qui sommes visés ». C’est tout bénéfice pour le FN, qui est quand même avant tout un parti anti-taxe."

Mais sur certains points le patriotisme économique du FN peut rejoindre le souci écologiste de produire et consommer localement...

"C’est vrai qu’on arrive à une forme de revendication qui peut sembler partagée, mais ce n’est absolument pas la même critique de la mondialisation. A quoi s’adresse-t-on dans l’inconscient politique des électeurs ? Dans un cas c’est la vielle thématique de l’autarcie, de la France contre les autres : « protégeons nous du monde qui nous menace, gardons nos emplois, créons en pour nous pas les autres ». Dans l’autre c’est « faisons en sorte que les produits arrêtent de voyager quatre fois autour du monde avant d’arriver à leurs consommateurs finaux, si possible que cela créée des emplois durables permettent à plus de monde de travailler et éventuellement moins longtemps ». Peu importe que le travailleur soit immigré. Et de quel emploi, de quelle production parle-t-on ? Le FN est pro-nucléaire, pro-automobile. Les pollutions ne le gênent pas tant que cela semble moderne et permet d’affirmer la puissance de l’industrie française."

Aucun risque donc que le FN profite de thèmes verts ?

"L’extrême droite peut passer comme adoratrice de la nature et de l’ordre naturel. D’ailleurs Alain de Benoist en fait ses choux gras avec une conversion à une certaine forme écologie néo-païenne et néo-droitière où chaque peuple doit rester sur son territoire sans mélange. Par contre, sur tous les autres aspects sociétaux ils sont vraiment à l’opposé. Le FN est par exemple un grand supporter des bars tabacs et des automobilistes. On retrouve vraiment ici la non-porosité de ces deux électorats. Sociologiquement les électeurs FN sont plutôt des hommes avec un faible niveau d’éducation, dans des petites villes ou en milieu rural. Pour les écolos c’est exactement l’inverse : des femmes urbaines CSP+, pas forcément au niveau des revenus mais dans l’éducation. Sur des petits bouts, on peut retrouver des gens qui ne fonctionnent pas du tout avec des enjeux politiques ou sociaux mais la défense des animaux et vont voter FN à un moment, puis écologiste. Mais c’est très marginal."

Erwan Lecoeur est l’auteur d’Un néopopulisme à la française. 30 ans de Front national (La Découverte, 2003) et a dirigé le Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse, 2007). Il travaille actuellement sur l’écologie politique.