Pour le grand public, la libéralisation du fret ferroviaire il y a trois ans et demi est passée plutôt inaperçue. Réserver un wagon de marchandises n’est pas forcément dans les habitudes de Monsieur Toutlemonde... L’ouverture du transport de voyageurs à la concurrence devrait en revanche le concerner directement. Mais la révolution se fera en douceur, ont prévenu les acteurs du rail, réunis fin novembre a Nice. "Il ne faut pas s’attendre à une espèce de grand soir ferroviaire", résume Thomas Avantaza, qui animait la table ronde consacrée au sujet.
Dernier grand monopole de France
En théorie, avec l’entrée en vigueur d’un règlement européen le 3 décembre, les régions devraient pouvoir avoir le choix de confier tout ou partie du service TER à un autre candidat que la SNCF. Seulement, elles sont dans le flou devant l’imbroglio juridique entre ce texte européen et la loi française, qui continue de ne reconnaître que l’opérateur historique. "Nous avons envoyé une lettre a Dominique Bussereau pour demander quelle est la position officielle du gouvernement", indique Bernard Soulage de l’Association des régions de France.En attendant une éventuelle modification de la loi, un travail colossal attend le secteur pour régler d’épineuses questions techniques et sociales. Que se passera-t-il en effet si une région donne le marché à un opérateur privé, alors que tous les trains et les centres de maintenance appartiennent à la SNCF ? Sans parler du personnel, qui bénéficie d’un statut particulier, notamment un régime spécial de retraite et une garantie d’emploi à vie. Là-dessus les acteurs ont autant de questions que de réponses.
Jean-Pierre Farandou, directeur général de SNCF Proximités plaide donc pour une transition en douceur. "On n’est pas contre la concurrence, mais ce n’est pas une mince affaire d’ouvrir le dernier grand monopole qui reste en France. Imaginez l’effet chez les cheminots quand ils vont voir arriver les opérateurs privés..."
Un meilleur service promis
Tout ça pour quoi ? Côté Commission européenne, Mario Guglielmetti de la direction générale des transports et de l’énergie, met en avant "la dépense optimale d’argent public". EuRailCo, qui verrait bien ses trains sur les rails français, s’appuie sur l’expérience allemande : "la concurrence est synonyme d’émulation. Il y a eu des nouveaux trains, des nouveaux services comme la restauration des TER, les vélos dans les trains et même jusqu’à des crèches dans les gares", plaide son directeur général, Francis Nakache. Dans un récent rapport, la Cour des comptes estime également que l’exemple allemand "enseigne qu’une dose significative de concurrence peut être introduite sans démanteler l’opérateur historique" et que le recours à des appels d’offres "semble entraîner des économies importantes".Mais d’autres exemples, notamment britannique et italien, montrent que la concurrence n’est pas tout, il y a la manière. Les premiers ont fait l’erreur de privatiser la totalité du système, tandis que les seconds ont confié tous les marchés à la compagnie publique Trenitalia, perpétuant ainsi son monopole. Et quand il s’agit d’environnement, la Cour des comptes évoque une piste bien différente pour améliorer la situation dans les transports : elle dresse un bilan discutable des TER pour les petites lignes, où les trains roulent majoritairement au gazole et presque à vide, et invite les régions à envisager de passer à des liaisons routières, sur la base d’études au cas par cas.
Les premières intéressées ne bouillonnent d’ailleurs pas d’impatience. Seule l’Alsace a fait part de sa volonté d’expérimenter le modèle qu’elle voit fonctionner depuis 15 ans de l’autre côté du Rhin. Les choses pourraient cependant bouger au Sud. A Nice, le conseiller régional Patrick Allemand (PS) a réaffirmé la volonté de Paca de travailler avec la SNCF, tout en estimant que la possibilité d’une ouverture à la concurrence "l’obligerait à améliorer sa qualité de service". Mais le conseiller général UMP des Alpes-Maritimes Jean Icart ne s’est pas privé d’utiliser cette carte, qui pourrait peser dans la campagne des régionales : "le TER Paca est 20ème sur 20 avec 13 723 trains supprimés en 2007. Il y a donc un report sur la voiture et on se retrouve avec des embouteillages monstres sur le littoral. Les clients sont à bout et la région ne pourra je l’espère pas rester longtemps sourde à ces cris".
Les lignes internationales aussi
Autre date à retenir : le 13 décembre, les lignes internationales seront ouvertes à des opérateurs privés. Mais ne courez pas au guichet ce jour-là, vous n’y trouveriez rien de nouveau. "On n’a pour l’instant qu’une seule demande ferme", confie Vincent Duguay, directeur commercial de Réseau Ferre de France (RFF). Et encore, le candidat en question, Trenitalia, qui souhaitait ouvrir le bal dès que possible, a repoussé le lancement de ses lignes Paris-Milan et Paris-Gènes au printemps 2010."Nous n’avons pas pour obtenu pour le moment de la part de la France les garanties et les conditions afin de lancer le service le 13 décembre", déplore la compagnie publique italienne. Et l’autorité de régulation censée s’assurer que les opérateurs ne sont pas désavantagés par rapport à la SNCF ne sera pas opérationnelle avant quatre mois.
"La France fait de la résistance car il n’y a pas encore de consensus politique sur la question", conclue Cyrille du Peloux, président de l’Union des transports publics (qui regroupe les entreprises du secteur) et directeur général de Veolia Transport. Le géant français, tout comme la compagnie allemande Deutsche Bahn attendent donc d’y voir plus clair avant de tenter le pari.
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