Il est doux. Il est jaune. Il est cultivé aux Etats-Unis et vendu par l’entreprise Syngenta. Le 19 mai dernier, le maïs doux "Bt 11" destiné à l’alimentation humaine a reçu l’autorisation de mise sur le marché européen. En donnant son feu vert, l’Union européenne a mis fin de facto au moratoire sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Celui-ci avait été imposé en 1998, au nom du principe de précaution, par sept pays [1].
Hors d’Europe, les OGM marquent aussi des points, en témoigne la croissance galopante des surfaces cultivées. Aux Etats-Unis et en Argentine, les agriculteurs ont massivement recours aux plantes génétiquement modifiées (PGM). En 2003, l’ISAAA [2] a recensé 67,7 millions d’hectares de PGM à la surface de la planète, 15% de plus qu’en 2002. "Les agriculteurs ont fait leur choix", triomphe Clive James, le président et fondateur de l’ISAAA. "Ils continuent d’adopter rapidement les cultures génétiquement modifiées pour les bénéfices qu’elles offrent en termes agronomique, économique, environnemental et social."
Défaite commerciale
Fin du moratoire européen, "choix" des agriculteurs... La victoire des OGM semble incontestable. Les manchettes de la presse économique ne disent pas autre chose. Et pourtant. Sitôt obtenu le feu vert de la Commission européenne, André Goig, le patron de Syngenta Seeds pour l’Europe a annoncé que son entreprise ne commercialiserait pas son maïs doux en Europe. Explication officielle : "La décision de la Commission reconnaît la sécurité et l’innocuité de notre produit, ce qui est pour nous le plus important." Version officieuse, livrée au siège suisse de la société : "Il n’y a pas de marché. Pour notre business, l’Europe n’a aucune importance. Et ça ne va pas changer rapidement."Car les faits sont têtus. Malgré les chiffres "prometteurs" de l’ISAAA, les entreprises spécialisées dans les semences génétiquement modifiées - dont l’américaine Monsanto détient 90% du marché - ont bel et bien perdu la première bataille commerciale des OGM. Il suffit pour s’en convaincre de revenir en arrière, au tournant de l’année 1997-1998. C’est à cette époque que le "grand public" européen découvrit les OGM, sur lesquels des chercheurs du monde entier avaient travaillé depuis les années 70. Rien n’était trop beau pour imposer cette trouvaille. Les OGM offriraient aux consommateurs les produits alimentaires du XXIe siècle. Permettraient aux agriculteurs de booster leurs récoltes. Cerise sur le gâteau, ils allaient éradiquer la faim dans les pays pauvres. "A l’horizon 2010, c’est un marché de 120 milliards de dollars", pouvait-on lire dans la presse [3].
95% des cultures de la planète sans OGM
Aujourd’hui 2004. Nous voici à mi-parcours. Or selon les chiffres de l’International Seed Federation (ISF), le super-syndicat international des semenciers, le marché mondial des semences transgéniques pèse 4,5 milliards de dollars. Même s’il croissait de 20% par an, il ne dépasserait pas 14 milliards en 2010. Très loin des 120 milliards annoncés à grand renfort de communication. "Malgré le décollage rapide de ces dernières années, les cultures génétiquement modifiées représentent toujours moins de 5% des surfaces cultivées [dans le monde, ndlr]", rappelle un rapport de l’Unité stratégique du cabinet du Premier ministre britannique Tony Blair [4]. Voilà la réalité : 95% des cultures de la planète ne portent pas la moindre trace d’OGM. Nous sommes loin de la révolution promise par les multinationales. Loin aussi de la "catastrophe" annoncée par les anti-OGM.Aucun intérêt pour le consommateur
Comme en écho au porte-parole de Syngenta, la plupart des enseignes de grande distribution assènent la même sentence : "Les OGM ? Les consommateurs n’en veulent pas !" Carrefour et Auchan certifient que leurs "produits maison" n’en portent pas trace. Quant aux autres marques : "Si nos fournisseurs veulent proposer des produits contenant des OGM, nous ne les en empêchons pas. Nous laissons la liberté de choix au consommateur", explique la porte-parole de Carrefour. Mais ces rares produits - souvent issus de l’importation - doivent respecter les nouvelles règles d’étiquetage.
Si l’on remonte la chaîne d’un cran, du Caddie aux industries agroalimentaires, c’est le même refrain. Chez Nestlé, Danone ou Masterfoods : pas d’OGM. Idem au syndicat des industries de l’agroalimentaire (ANIA) : "En terme de qualité les OGM n’apportent rien de concret aux consommateurs." "C’est vrai, concède Sophie Babinet, responsable de la communication de Monsanto France, je ne suis pas sûre que les OGM aient pour eux un intérêt évident... S’ils en ont un." "Puisqu’en l’état les OGM n’ont aucun intérêt, pourquoi changeraient-ils pour des produits qui ‘pourraient’ poser problème ?", précise l’économiste Olivier Godard, spécialiste du principe de précaution.
Pour les Européens le spectre de la vache folle
Remontons encore d’un cran. Direction, le champ de pépé. Par répercussion, et puisque le moratoire a tout bloqué pendant six années, les plaines européennes comptent moins de 0,01% de plantes OGM. "C’est tout simplement moins que les surfaces cultivées par l’agriculture biologique", rappelle Gilles-Eric Séralini, le président du conseil scientifique du Criigen [5]. Dès 1996, les semenciers espéraient une introduction "en douceur" des cultures transgéniques. Ils n’avaient pas prévu qu’ils se heurteraient aux associations de protection de l’environnement, dont le discours a épousé les peurs d’une France et d’une Europe conditionnées par les "années vache folle"...Articles liés :
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