A partir du mois de septembre prochain, le Centre Européen d’enseignement et de recherche en éthique de l’université de Strasbourg dispensera à ses étudiants des cours de droit de l’animal. Il s’agit là d’une première en France. Le juriste Jean-Marc Neumann, secrétaire général et coordinateur de l’EuroGroup for Animal Law Studies et fondateur du site Animal et Droit, fait partie de l’équipe qui a monté ce projet. Il explique pour quelles raisons il est nécessaire.
Terra eco : Les animaux ont-ils des droits ?
Jean-Marc Neumann : Ce sont plutôt les humains qui ont des devoirs envers les animaux ! Plutôt que de considérer que l’animal a un droit, on interdit à un humain d’exercer des actes de cruauté envers lui. Dans ce cas-là, on peut dire que l’animal a le droit de ne pas être blessé ou tué, par exemple. Il existe des dérogations, comme pour la corrida ou les combats de coqs. Et cette protection pénale de l’animal n’en concerne que certains : les animaux domestiques et les animaux sauvages vivants dans les zoos et les cirques. Les animaux sauvages vivant à l’état de liberté, eux, ne sont pas protégés contre les actes de cruauté en tant qu’individus. Ils peuvent l’être par des textes lorsqu’ils font partie d’une espèce protégée. Par exemple, l’ours ou le loup. A l’inverse, ceux considérés comme des nuisibles peuvent être détruits sans qu’il y ait d’émotion particulière.
Dans le projet de loi sur la biodiversité, récemment examiné à l’Assemblée nationale, l’amendement prévoyant de reconnaître la faune sauvage comme dotée de sensibilité a été supprimé. Qu’est-ce que cela traduit ?
Il l’a été sous la pression du lobby de la chasse ! Il est évident que reconnaître la sensibilité de l’animal sauvage inquiète beaucoup les chasseurs. Cela conduirait logiquement à interdire des pratiques de chasse cruelles, comme la chasse à la glu ou la chasse à courre, qui portent atteinte à cette sensibilité. On voit là tout le paradoxe de notre système. En début d’année, la France a réformé son Code civil. Un article reconnaît désormais que l’animal est un être vivant doué de sensibilité. Mais on a oublié le code de l’environnement qui concerne les animaux vivants à l’état de liberté ! C’est incohérent : un animal sauvage vivant dans un zoo est reconnu comme sensible et protégé pénalement. Si le même animal s’échappe et se retrouve en plein nature, il n’a plus aucune protection pénale. C’est une aberration.
Pourquoi faut-il former les étudiants au droit des animaux ?
Les formations spécifiques dans ce domaine n’existent quasiment pas en Europe. Nous disposons déjà de textes juridiques qui se rapportent à l’animal. Malheureusement, ils sont mal connus, y compris de la part de ceux qui sont censés faire appliquer le droit. Les magistrats, par exemple, n’ont pas de cours de droit dans leur cursus. Les policiers et les gendarmes non plus. Nous pensons que c’est d’abord par une bonne connaissance du droit qu’on protégera mieux les animaux et que ce droit pourra alors évoluer. La formation universitaire proposée par le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique concernera des étudiants en master, mais sera également proposée en formation continue pour que des avocats ou des vétérinaires puissent obtenir un maximum d’informations sur le droit applicable. Nous constatons que de plus en plus d’étudiants, de chercheurs et d’enseignants montrent un intérêt pour le droit se rapportant aux animaux. Il y a un besoin.
D’où vient ce besoin ? Nos relations avec les animaux doivent-elle passer par le prisme du droit ?
Dans les dernières décennies, la science nous a fait découvrir que, par bien des aspects, certains animaux sont très proches de nous, en terme d’émotions, par exemple, ou par leur ADN pour certains. Ces connaissances nous obligent à appréhender l’animal de manière différente, à avoir une éthique nouvelle à leur égard. Et cette éthique nouvelle doit elle-même contribuer à ce que le droit soit réformé. On ne peut pas continuer à considérer que l’animal est une chose. Il faut que le droit se mêle à l’éthique et à la science pour que l’on adopte enfin un regard nouveau sur les animaux.
Le droit français est-il en retard par rapport à celui d’autres pays ?
Globalement, l’Union européenne et la Suisse sont, de loin, en avance sur ce sujet. Aucun autre ensemble de pays au monde n’a de règlements aussi protecteurs des animaux que les nôtres. Néanmoins, il reste difficile de faire évoluer le sort des animaux dans la pratique. Le droit ne fait pas tout. Il y a en face des obstacles puissants : le lobby agroalimentaire et le lobby de la chasse, en particulier, qui pèsent sur les textes de loi. Il faut une mobilisation de la population.
Trouvez-vous que notre regard sur les animaux a changé ?
Incontestablement ! On sait de mieux en mieux que l’homme est un prédateur de la nature, que des centaines d’espèces disparaissent, qu’on déforeste des zones entières et que tout ceci a des conséquences que de moins en moins de gens sont prêts à accepter. Il y a tout simplement de plus en plus d’informations qui circulent. La façon dont les animaux sont traités dans les fermes industrielles fait aussi partie du changement de regard sur les animaux d’élevage, par exemple. Les gens se posent des questions, avant tout sur leur santé. Ils veulent se nourrir de façon plus saine. Mais par ricochet, ils changent leur regard sur la condition des animaux. Sur ce point, nous sommes en train de rattraper notre retard par rapport à des pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse, où l’intérêt pour les animaux est depuis bien longtemps plus marqué.
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