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31-08-2009
Mots clés
Social
Politique
Emploi
France

Travailleurs pauvres : la France recrute en masse

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L’Hexagone a longtemps cru échapper à ce phénomène des salariés obligés de jongler entre plusieurs boulots pour boucler leurs fins de mois. Erreur. Près de 2 millions d’employés, de salariés, de CDD, d’intérims… vivraient dans le dénuement.
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Fatima (1) promène son panier entre les étagères de victuailles, saisit un carton de yaourts, une boîte de gâteaux. A La Courte Echelle, épicerie sociale parisienne, tout se vend à prix bradé. Une aubaine pour cette Portugaise qui peine à joindre les deux bouts. « J’ai des journées de huit heures, d’autres de cinq, parfois d’une seule. Certains mois, je finis avec une bonne paye et d’autres avec seulement 400 euros. C’est pas stable », confie-t-elle. Deux enfants de 7 et 9 ans à charge et une procédure de divorce en cours, Fatima, femme de ménage, appartient à la classe des « travailleurs pauvres ».

Depuis quelques années, leurs galères nourrissent les colonnes des journaux. Un beau jour de septembre 2005, ils ont même débarqué à la une des quotidiens. « Des fonctionnaires de la ville de Paris dorment dans l’herbe des parcs, sur le pavé froid des gares », s’indignait-on alors. Et pourtant. « Des travailleurs pauvres, il y en a toujours eu, martèle Danielle Gagnon, la patronne de La Courte Echelle. Moi, j’étais une travailleuse pauvre dans ma jeunesse ! »

Douche froide

Pourtant, avant 2000, on croyait le phénomène confiné aux ghettos américains, à ces pauvres hères jonglant entre deux boulots, privés d’assurance maladie. « Et puis, on s’est aperçu que parmi nos pauvres, une partie non négligeable était aussi en activité », se souvient Julien Damon, professeur à Sciences Po. La France s’était mis des œillères. « On pensait que l’existence d’un bon Smic et la protection sociale suffisaient pour se maintenir hors de l’eau », ajoute le sociologue. Raté. La révélation fait l’effet d’une douche froide.

Les bureaux des statistiques branchent alors leur calculette sur la pauvreté dite « laborieuse » et tentent d’en mesurer la croissance. Tâche ardue. Aujourd’hui encore, le méli-mélo des outils statistiques rend le sujet rétif à l’analyse. Entre les actifs, les « en emploi » un, deux ou six mois de l’année précédente, le nombre de travailleurs pauvres fait l’accordéon tandis que les méthodes d’évaluation se succèdent. Selon la définition française, 1,47 million d’entre eux arpentaient l’Hexagone en 2003 et 1,74 en 2005. Aujourd’hui, ils seraient près de 2 millions, soit 7 % de la population active, estime Denis Clerc, économiste et rapporteur au Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale.

Certes, la patronne de La Courte Echelle a raison. Des travailleurs pauvres, il y en a toujours eu. Mais leur profil a changé. Autrefois, il s’appelait Gérard et cultivait sa petite exploitation agricole. Aujourd’hui, Guy a succédé à Gérard. Celui-là est aide-soignant à l’hôpital en semaine et pompier volontaire le week-end, gagne 1 500 euros et vit avec sa compagne et la fille de celle-ci. Guy vient, lui aussi, remplir son frigo à La Courte Echelle. « Je gagne moins que ce que je dois sortir. J’ai des crédits bancaires, je dois payer la pension alimentaire de mon fils, il y a les impôts… », explique-t-il. Comme Guy, 30 % des travailleurs pauvres bossent aujourd’hui à temps plein, estime Denis Clerc.

Déboires familiaux

« Le revenu se mesure à l’échelle individuelle tandis que la pauvreté se calcule à l’échelle du foyer », souligne Julien Damon. Ainsi deux voies mènent vers les rangs des travailleurs pauvres : la mauvaise santé financière d’un ménage et la piètre qualité d’un travail. Deux phénomènes en forte croissance ces dernières années.

Depuis quelque temps, Fatima s’est séparée de son mari. Avec ses seules heures de ménage, rabotées pendant les vacances, la voilà qui essaie de subvenir aux besoins de son foyer. « C’est un problème de société. La fragilité des couples fait grimper le nombre de familles monoparentales et plonge les foyers sous le seuil de pauvreté », souligne Denis Clerc. Quelque 10,3 % des travailleurs pauvres vivent dans des familles monoparentales.

Des jobs saucissonnés

Le problème de Fatima, c’est qu’elle cumule. Plombée par sa situation personnelle, elle est aussi victime de la dégradation des conditions de travail. Depuis quelques années, les offres de mauvaise qualité – faible rémunération, intérim, CDD, temps partiel – pullulent. Derrière les comptoirs des hôtels, dans la chaleur des cuisines, les emplois saucissonnés en heures de service représentent 49 % des postes. Et alors que les restaurants d’entreprise ont le vent en poupe, la masse de cette main-d’œuvre prend naturellement de l’embonpoint.

En hausse aussi, les métiers de service à la personne (assistante maternelle, aide aux personnes âgées…) gourmands d’emplois en pointillés. En moyenne, ces travailleurs cumulent neuf heures de labeur par semaine. Reste la grande distribution où les caissières jonglent pour assurer les heures d’affluence. Dans 30 % des cas, le temps partiel est subi et non choisi, souligne une enquête de l’Insee.

Salaire de débutant

Et la crise n’arrange rien. « Ce sont les emplois en intérim qui sautent en premier tandis que les CDD ne sont pas renouvelés », estime Denis Clerc. « Ce n’est pas un scoop de penser que le bilan va être catastrophique », souligne Sophie Ponthieux, économiste à l’Insee. Les associations de solidarité sonnent déjà l’alarme tandis qu’elles voient débarquer des actifs dans leurs centres d’hébergement.

Au foyer parisien de La Mie de Pain, les hommes discutent dans la cour en attendant de rejoindre, pour quelques heures, leurs dortoirs aux lits drapés de tissu jetable. Ben savoure une cigarette après sa journée de boulot, la troisième passée en CDD dans sa nouvelle boîte. Embauché à 1 700 euros. « Je gagne exactement comme au début de ma carrière. J’ai trente ans d’expérience, mais c’était à prendre ou à laisser. » Cet imprimeur intérimaire de 57 ans soupire à l’idée d’un logement. « Quand vous êtes intérimaire, vous n’avez pas de salaire fixe. Le propriétaire ne veut pas de vous. »

Alors Ben s’est retrouvé à La Mie de Pain. Minoritaire parmi les hommes de la rue. Minoritaire a priori car son cas échappe aux chiffres. « Les statistiques des travailleurs pauvres portent sur “ les ménages ordinaires ” dotés d’un logement, note Sophie Ponthieux. Les autres ne sont pas comptés. » Mais cachés entre les mailles de la société, oubliés dans les rouages du turbin, ces travailleurs pauvres existent bel et bien. —

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Illustration : Renaud Perrin

SUR LE MÊME THÈME

- Travailleurs pauvres : la folle mécanique des statistiques

A lire également :

- La France des travailleurs pauvres, Denis Clerc, Grasset (2008).

- Et pourtant, je me suis levée tôt, Elsa Fayner, Editions du Panama (2008).

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