Ce mardi soir heure de Paris, l’électricité était partiellement revenue dans la centrale nucléaire de Fukushima. Le système de refroidissement des piscines 1, 3 et 4 et de la piscine centrale du site, arrêté depuis la veille au soir (18h57 heure de Tokyo), était peu à peu rétabli. L’incident n’avait pas, en revanche, affecté le refroidissement des réacteurs 1 à 3 eux-mêmes, dont le combustible avait fondu à la suite de l’accident de 2011, a précisé un porte-parole de Tepco, l’opérateur de la centrale. Mais que s’est-il passé ? Et que peut-on craindre pour la suite ? « Terra eco » répond à quatre questions sur l’incident japonais :
A-t-on frisé la catastrophe ?
Pas vraiment, rassure Bertrand Barré, ex-conseiller scientifique auprès d’Areva. « Dans l’état actuel où ils se trouvent, les combustibles – comme les réacteurs d’ailleurs – peuvent supporter un arrêt de refroidissement de plusieurs jours. Ce qui pose problème dans un accident comme celui-ci c’est la puissance résiduelle, c’est-à-dire la quantité de chaleur qui continue de se dégager puisque les produits radioactifs continuent de se désintégrer immanquablement. Or cette puissance résiduelle ne fait que baisser. Deux ans après la catastrophe, il ne reste que très peu de chaleur à évacuer. Une interruption du refroidissement pour quelques heures n’a aucune importance et une interruption de quelques jours est tolérable. Notamment parce que le site est déblayé. Si on avait besoin de refaire intervenir des camions-citernes (pour alimenter les piscines, ndlr), on le pourrait. »
Un incident peut-il se reproduire ?
« Nous n’en sommes qu’au début. A chaque nouvelle panne d’électricité, ils auront un problème à chaque fois », assure Monique Sené, physicienne nucléaire et cofondatrice du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN). Bertrand Barré, lui, se veut plus rassurant. « On peut considérer que l’accident est terminé. Il n’y a plus d’évolution grave qui puisse se passer. Ce qui ne veut pas dire que les suites de l’accident sont réglées. » Selon le scientifique, seul un séisme très fort - de magnitude 8 ou 9 sur l’échelle de Richter - pourrait fragiliser la structure mécanique de la piscine numéro 4, qui contient tout le combustible du réacteur 4 vidé pour maintenance au moment de la catastrophe, en mars 2011. Cette structure, « les Japonais ont déjà travaillé à la renforcer en installant des poteaux d’acier et des voiles de béton », assure Bertrand Barré. Mieux, « ils doivent couvrir cette piscine d’une structure métallique en cours de construction. » Cette superstructure disposée au-dessus de la piscine devrait permettre en cours d’année de décharger les combustibles et de les mettre à l’abri dans une autre piscine, non endommagée cette fois.
A quand le démantèlement ?
Le site ne retournera pas à l’état naturel du jour au lendemain. « Il faut d’abord évacuer les combustibles usés puis aller “gratouiller” les parties fondues. Cela prendra déjà une dizaine d’années », précise Bertrand Barré. Et le scientifique de prendre pour exemple l’accident de Three Mile Island aux Etats-Unis, qui avait vu, en 1979, le cœur fondre à l’intérieur de la cuve : « Le démantèlement a demandé quatorze ans. Compte tenu de l’amélioration robotique, on peut compter sur douze ans à Fukushima. »
Le problème, « c’est qu’il y a encore des tas d’endroits où on ne peut pas aller, parce que la radioactivité est encore trop élevée rappelle Monique Sené. On ne sait pas encore précisément dans quel état est le cœur. On l’a vu à travers des images filmées par des caméras mais c’est beaucoup moins précis. A Three Mile Island, ils ont mis six ans avant de pouvoir avoir une idée de ce qui se passait dans la cuve. Avant le démantèlement complet à Fukushima, il faudra peut-être quinze ou vingt ans. »
Qu’est-ce qui a changé depuis Fukushima ?
Au Japon, « l’acceptation publique du nucléaire s’est effondrée. Et pourtant, les dernières élections générales ont porté au pouvoir le seul parti qui affichait une volonté de revenir au nucléaire », souligne Bertrand Barré. Le nucléaire va-t-il progressivement refaire son apparition ? Aujourd’hui seuls deux réacteurs sont encore en service au Japon. Mais « 30 ont fait des dossiers de demande qui sont en cours d’instruction. Cela prendra du temps. Le Japon ne reviendra pas à 30% de nucléaire mais je pense qu’il ne restera pas à 2 réacteurs seulement. Cela se fera sans doute beaucoup préfecture par préfecture. La préfecture de Fukushima n’est pas prête à remettre en service un réacteur mais plus loin, c’est sûrement différent », poursuit Bertrand Barré.
Et ailleurs ? « Ce qui est sûr, c’est que les scientifiques se sont rendu compte qu’un accident était possible, assure Monique Sené. C’est arrivé au Japon. Dans un pays hautement technologique. Mais ça ne suffisait pas. On s’est rendu compte qu’on ne peut pas sous-estimer quoi que ce soit. Il y aura toujours une vis qui casse mais l’important c’est qu’on ne se dise jamais “c’est impossible”. Il faut savoir qu’il y a un risque. Ainsi on aura une petite chance d’éviter le pire. »
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