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Le commerce équitable cherche son équilibre

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Quarante ans après ses débuts, le commerce équitable ne pèse que 0,01 % du commerce mondial. Rétribuer plus justement les producteurs, une mission impossible à l’échelle mondiale ?
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Certains y lisaient déjà l’avenir du commerce mondial, la recette miracle pour une mondialisation à visage humain, le moyen d’éradiquer la pauvreté et son cortège de malheurs. Son heure, pourtant, tarde à venir. Certes, plus de quarante ans après ses premiers balbutiements, le commerce équitable progresse… à vitesse fulgurante. Selon l’organisation FLO (Fairtrade Labelling Organizations) qui regroupe vingt organisations dans le monde comme Max Havelaar, les échanges équitables ont pesé 1,6 milliard d’euros en 2006. Soit 42 % de plus qu’en 2005. Aux Etats-Unis, marché de l’équitable le plus important au monde, les consomm’acteurs américains ont dépensé près de 500 millions d’euros en 2006 (+ 45 % en un an). Et chez nos voisins d’outre-Manche, 409,5 millions d’euros (+ 49 %). Mieux, quittant les rivages confortables de l’agroalimentaire, le mouvement a récemment débarqué dans les rayons du textile (Ideo, Tudo Bom...), de la chaussure (Veja) ou des produits cosmétiques. Malgré cette croissance en flèche, son poids est encore microscopique. Car l’équitable grignote aujourd’hui seulement 0,01 % des échanges mondiaux. Mais pourquoi se cantonne-t-il encore au bac à sable des affaires mondiales ? Passage en revue des points noirs du commerce équitable.

1- Des rapports compliqués avec le secteur de la grande distribution

Au QG d’Artisans du monde, on refuse que les produits de la marque aillent « s’encanailler » aux rayons des supermarchés. La raison ? Pression sur les petits producteurs, salaire minimum pour les employés, la grande distribution est souvent taclée pour son manque d’équité. Or celle-ci fait petit à petit sa place sur ce nouveau segment. Au coeur d’un gâteau évalué à 160 millions d’euros dans l’Hexagone en 2006, la grande distribution s’est réservé une part alléchante de 88 millions. En tête : Leclerc qui, la même année, affichait un chiffre d’affaires de 19,2 millions d’euros au rayon des étiquettes équitables.

Ailleurs, on souligne que pour remplir les chariots de supermarché, il faut, en amont, cultiver à foison. Résultat : des petits producteurs délaisseraient parfois la culture de céréales, pourtant en tête de leur menu quotidien, pour réserver leurs champs à la quinoa, très demandée sur les marchés du Nord. Enfin, soucieux de satisfaire la soudaine fringale de leurs clients, ces mêmes supermarchés pourraient bien faire monter la pression sur les organismes chargés de la certification des produits (lire aussi page 28). « En Angleterre et en Suisse, sous la pression de grandes chaînes de supermarché, on a vu Max Havelaar apposer le label “ commerce équitable ” sur des bouteilles de vin ou des fleurs coupées », accuse Tristan Lecomte, d’Alter Eco qui représente aujourd’hui 150 produits venant de 53 coopératives. « Faux », rétorque Fairtrade Foundation (FTF), la branche britannique de Max Havelaar. Mais Barbara Crowther, directrice de la communication à FTF, avoue néanmoins que « l’équilibre entre l’exigence de certification et la protection des petits producteurs n’est pas toujours facile à trouver ».

Faudrait-il alors fuir comme la peste les rayons des supermarchés ? Peut-être. Sauf qu’en fermant au nez des petits producteurs les portes d’un lieu où s’écoulent 90 % des produits de grande consommation, on les prive d’un revenu de taille. Alors chez Max Havelaar, on a tranché : « Le commerce équitable n’est pas là pour faire le procès de la grande distribution. Ce procès doit se faire ailleurs, du côté des syndicats ou de l’Organisation internationale du travail. Notre label garantit ce qu’il garantit. Pas la vertu de ce qui l’environne. » Pour Artisans du monde, il existe des chemins de traverse. Comme celui qui mène à ses 160 boutiques présentes en France. Ce réseau s’affranchit certes de la grande distribution mais s’appuie sur les épaules de 5 000 bénévoles. Peut-on donc garder les deux pieds bien ancrés, l’un dans le commerce, l’autre dans l’équitable ? « Nous travaillons avec les syndicats, les ouvriers, les collectivités territoriales, pour trouver de nouveaux modes de distribution », évoque, sans plus de détails, Michel Besson, de Minga, une association chargée d’aider les entreprises à se faire plus équitables. « Qui sait, dans trente ans, le modèle de la grande distribution aura peut-être disparu ? »

2- Un impact sur la pauvreté, au Sud, qui n’est pas automatique

Prenons un petit producteur en coopérative. Grâce au prix minimum assuré par Max Havelaar pour chacun de ses kilos de coton ou de riz, ce producteur multiplie par deux, voire trois, son revenu mensuel. En bref, s’il amassait, aux temps du commerce classique, 1 dollar par mois au fond de sa poche, il est « riche » aujourd’hui de 2 ou 3 dollars. Un chiffre encore dérisoire. Pis, souligne Christian Jacquiau dans son ouvrage Les Coulisses du commerce équitable. Mensonges et vérités sur un petit business qui monte, ce nouveau « pactole » ne tombe pas directement dans la bourse du producteur. Car le tarif pris en compte est le prix FOB (free on board) fixé au moment du chargement de la marchandise pour l’export. Ainsi si, sur le quai du port, Max Havelaar dépose dans la main de son producteur 1,25 dollar pour chaque livre d’arabica, celui-là devra ensuite défalquer les frais de douane, le salaire du routier chargé d’acheminer son café jusqu’au bateau ou les frais de fonctionnement de sa coopérative.

Reste la prime de développement octroyée par Max Havelaar pour redorer la vie des communautés. Fixée entre 10 % et 12 % du prix du produit, celle-ci est à son tour amputée « des charges de labellisation et du coût des contrôles », souligne encore Christian Jacquiau. Vrai sans doute. Du propre aveu de l’organisme, la certification peut coûter entre 500 et 4 000 euros, directement prélevés sur les caisses de la coopérative, donc dans les poches des producteurs. Mais, pour ne pas peser trop lourd sur les épaules d’organisations encore fragiles, Max Havelaar a créé un fonds de certification pouvant couvrir jusqu’à 75 % de la facture.

Pas de miracle donc, mais quelques belles réussites. Au Mali, la prime de développement a permis à plusieurs coopératives de coton de la région de Kita d’acheter des charrettes, de creuser des puits, d’ériger une maternité. Et si la vie des producteurs ne prend pas soudain les couleurs du paradis, souligne Tristan Lecomte, « l’impact sur la dynamique de la communauté et les mentalités est important. Avant, ces gens ne voyaient pas le bout du tunnel, ils étaient résignés à se laisser imposer un prix par des intermédiaires. Ils sont maintenant plus dignes ». Reste un défi de taille : atteindre les pauvres parmi les pauvres. « Ceux qui ont accès aux réseaux équitables sont déjà regroupés en coopératives, ils ont des contacts avec des ONG », explique Aurélie Carimentrand du Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement, et coauteure du livre Le Commerce équitable. Au banc des oubliés de l’équitable, les employés des champs. Attelés aux labeurs les plus pénibles, victimes des pesticides, ils sont aussi privés des bienfaits du prix minimum et de la prime de développement réservés aux propriétaires.

3- Un commerce qui se cantonne trop souvent aux échanges Sud-Nord

Si le commerce équitable consiste à aider les plus pauvres à grignoter une part de la richesse mondiale, il s’ancre, sans surprise, là où la misère pèse le plus lourd : au Sud. Sa cible ? Un milliard de petits exploitants qui n’empochent que 20 à 500 euros par an. Et l’équitable pointe sans surprise vers les porte-monnaie des plus aisés, ceux des habitants du Nord. Cet échange à sens unique oblige les produits à parcourir des milliers de kilomètres aux dépens de la nature, s’indignent les défenseurs de l’environnement. Mais peut-on vraiment revoir le sens des flèches sur la carte ? Oui, affirme l’association Minga. Première étape : épaissir le flux à la source. Et ne pas limiter le rôle du Sud au travail des champs.

Ce défi a été relevé par la petite PME Andines. Aux pages de son catalogue, le café El Futuro, un produit torréfié directement dans son pays de production, la Colombie. Ainsi, le pays retient 33 % du prix de vente public. Deuxième étape : dégoter des acheteurs potentiels sous le soleil des pays en développement, car, trêve de caricature, il n’y a pas que des pauvres au Sud et des riches au Nord. Alter Eco a ainsi lancé sa marque dans les supermarchés Marjane du Maroc. De son côté, Artisans du monde offre son soutien à la Fondation Solidarité Chili. Cette coopérative d’artisans a ouvert les portes de toutes les écoles du pays pour des cours d’éducation sexuelle, grâce à ses poupées éducatives.

Au Nord, l’équitable fait aussi petit à petit son trou à travers des opérations, comme « cabas bio » soutenue par Artisans du monde. Le but : encourager des consommateurs à recevoir, chaque semaine, des produits bio issus des petites productions alentour. Ailleurs, fleurissent les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), qui tissent un lien de proximité entre consommateurs et agriculteurs de la région.

4- Polémique sur des prix de vente élevés

Devant un rayon de supermarché, on hésite : fautil vraiment payer 3 euros son paquet de café pour changer le monde ? Les quelques centimes supplémentaires sur l’étiquette de mon arabica sont bien là pour une raison. Il s’agit, affirment les acteurs du commerce équitable, d’assurer un avenir meilleur aux petits producteurs en amont de la chaîne. Admettons. Comme des millions de consommateurs, nous voilà prêt à débrider notre porte-monnaie.

Comme presque trois quarts de nos compatriotes, si l’on en croit une étude TNS-Sofres, parue en 2006, qui montre que 65 % des Français sont prêts à payer leur thé ou leur café 10 % plus cher pour agir sur le tableau de l’équitable. Mais renversons les données du problème. « Pourquoi le consommateur devrait-il endosser seul le prix de l’effort ?, s’interroge Christian Jacquiau. En fait, le problème est mal posé au départ. Le pouvoir d’achat n’est pas expansif. Même pour ceux qui veulent agir pour l’économie solidaire ou peuvent se permettre de payer plus, il y a forcément une limite. » La solution serait donc ailleurs. Prenons un paquet de café équitable de 250 grammes à 2,50 euros. Plutôt que de faire grimper le prix final de 50 centimes en augmentant la part versée au producteur de 20 à 70 centimes, il suffirait, pour garder le prix d’origine, de comprimer un peu les 2,30 euros réservés à la transformation, au transport, aux distributeurs.

Comment ? En réduisant les marges de ces différents acteurs. Une idée réalisable, affirme Barbara Crowther de Fairtrade Foundation en Grande-Bretagne. Lorsqu’elles ont troqué, dans leurs rayons, leurs bananes ou leur sucre traditionnels pour des produits équitables, les grandes chaînes britanniques de supermarché Marks & Spencer et Sainsbury’s n’ont pas fait varier d’un iota leurs étiquettes. « Elles ont estimé que ce qu’elles perdaient en marge se retrouvaient dans des investissements à long terme. La prime de développement versée aux producteurs équitables permet de construire des routes, de meilleurs moyens de production, d’assurer une meilleure qualité de produit. Ces améliorations sont aussi bénéfiques pour les grandes surfaces », souligne Barbara Crowther. —


Le label officiel en rade

Aujourd’hui, n’importe qui peut s’autoproclamer roi de l’équitable. Pourtant, même Max Havelaar, hégémonique en France, n’arbore pas la couronne d’un label officiel. Craignant des dérives potentielles, certaines organisations ont donc appelé les pouvoirs publics à mettre les pieds dans le plat. En 2003, l’Etat français a réuni autour d’une table les acteurs du secteur. Les idées ont fusé, les motifs de mésentente aussi. Trois ans après le début de ces discussions, le gouvernement a fini par imposer la signature d’un simple fascicule. Baptisé savamment Accord Afnor AC X50-340, il pose trois principes au commerce équitable : l’équilibre de la relation commerciale entre les partenaires ou cocontractants ; l’accompagnement des producteurs engagés dans l’équitable ; et l’information et la sensibilisation du public. Ce document n’est pas destiné à des fins de certification, mais pourra « servir de base à l’élaboration d’une norme », souligne le site du ministère de l’Ecologie.

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