Difficile d’être inspiré par le rayon primeur du supermarché. Un rouge pâlot, une touche de fluo et un morne aplat de vert. Pourtant, les légumes peuvent adopter d’autres formes et couleurs que ce à quoi l’industrie du légume nous a habitués. « Aujourd’hui, cinq multinationales contrôlent 75 % de la semence potagère sur la planète, le leader étant Monsanto », soupire Dominique Guillet, fondateur de Kokopelli.
De quoi affadir le pot-au-feu. Depuis 1999, cette association basée à Alès (Gard) est régie par un principe simple : les espèces vivantes ne sont jamais aussi bien protégées que lorsqu’elles sont vivantes. C’est donc au cœur de jardins familiaux que Kokopelli « récupère les souches anciennes, les remet en production et les commercialise ». Ne parlez surtout pas de congélation de semences ni de musées de conservation à Dominique Guillet : « Ce sont des mouroirs qui coûtent des millions et où les espèces crèvent en silence. »
Au catalogue de Kokopelli, on trouve pas moins de 550 types de tomates rouges bien sûr mais aussi des blanches, des vertes ou des noires, 300 piments forts et doux, 130 sortes de laitues… Selon les saisons, l’association emploie une vingtaine de salariés. Dominique Guillet ne fait pas mystère de son chiffre d’affaires : « L’an passé, il atteignait 1,05 million d’euros. » N’importe quel jardinier du dimanche, maraîcher ou agriculteur peut y acheter ces graines produites par une dizaine d’exploitants certifiés bio. Rémunérés aux kilos de graines livrées, ces producteurs sont partie prenante d’une mission bien plus large qu’un simple commerce de semences. Car il y a péril en la demeure.
Jardiniers inféodés
Le personnage de Kokopelli, symbole de « fertilité et de germination », est issu d’une légende amérindienne. Un nom qui vient de loin. Mais aujourd’hui, le marché tient entre les mains de grands groupes. Ces derniers réduisent les variétés comme peau de chagrin et « inféodent le jardinier qui doit se contenter des semences qu’on veut bien lui vendre », assène Dominique Guillet. Tous les ans, le jardinier doit s’endetter pour la prochaine récolte.« C’est une perte d’autonomie pour l’agriculteur mais aussi un risque pour la biodiversité. » En Inde, en Amérique du Sud ou en Afrique, Kokopelli forme les paysans à l’agriculture durable et les aide à créer des banques communautaires de semences. Quand leurs plantes montent en graines, les 4 000 adhérents de l’association sont invités à en reverser une partie à Kokopelli qui les achemine à son tour à l’autre bout du monde.
Des bâtons dans les roues
Ces graines-là produiront d’autres semences de vie. Naturellement, ce petit manège ne pouvait pas plaire à tout le monde. En décembre 2006, la cour d’appel de Nîmes a condamné Dominique Guillet à une amende de 17 130 euros pour « commercialisation de semences de variétés non autorisées ». Le Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plantes (GNIS) l’accuse de « concurrence déloyale ». Pas abattu, Kokopelli s’est pourvu en Cassation et continue de militer pour la création d’un fichier de variétés que chacun pourrait enrichir et utiliser à sa guise.Une perspective rendue possible, d’après Dominique Guillet, par la directive européenne 98-95 qui pose le principe de conditions particulières pour les « semences de conservation » menacées d’érosion génétique. Une directive qui n’est toujours pas transposée en droit français… Pendant ce temps, les décideurs politiques se régalent de légumes anciens, Kokopelli comptant de grands chefs cuisiniers parmi ses clients. Il va falloir trancher.
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