Entreprise à l’écoute

La scène se déroule à la Caisse d’allocations familiales de Toulouse. Au guichet, un homme se présente. La quarantaine, il vient consulter son dossier. Dans la majorité des points d’accueil de la CAF en France, sa demande resterait lettre morte, car cet homme est sourd et dans l’incapacité de communiquer autrement que par la langue des signes. Mais pas ici. La technique est simple. Prévenu de son handicap, l’accueil va mettre l’allocataire en relation avec un interprète via un micro et une petite caméra. L’échange se fera à trois. Une technologie basique et redoutable d’efficacité.

A l’origine de cette innovation : la société Websourd, implantée à Toulouse. Née au départ sous la forme d’une association, grâce notamment au dynamisme de Jacques Sangla, féru de vidéo, et militant de la cause des personnes sourdes en France, Websourd a très rapidement convaincu. Le temps d’échafauder la faisabilité économique et financière du projet, l’association se transforme en 2004 en Société coopérative d’intérêt collectif (Scic). "Ce statut signifie que la société possède un objet d’intérêt général délivré par l’Etat", explique François Goudenove, l’actuel pédégé, ingénieur chez Airbus et en disponibilité pour le projet Websourd.

Coup de pouce à l’intégration

"C’est fondamental car cela nous ouvre les portes des collectivités ou des fondations, et donc des subventions". Et Websourd en tire partie. En 2005, l’entreprise a affiché un chiffre d’affaires de 600 000 euros (dont un tiers de subventions). Websourd possède en fait deux "bras armés". Le premier, donc, consacré aux services. Cela va de l’interface avec un interprète dans une administration, à la traduction en ligne en passant par la mise en accessibilité d’un colloque ou d’une conférence pour les personnes sourdes. Mais Websourd apporte bien davantage. "60 % des personnes sourdes en France sont au chômage et c’est intolérable", déplore François Goudenove. Pire, entre 60 et 80 % de cette population - estimée à 600 000 personnes en France - est frappée d’illettrisme. Pour enrayer la tendance, la petite société toulousaine a donc décidé de mettre en ligne de l’information spécialement dédiée à cette population.

Une collection de médailles

"Ça marche et l’activité est en constante accélération", observe François Goudenove. D’ailleurs, les partenaires privés et publics se bousculent au portillon. La Fédération nationale des sourds de France, à l’origine du projet avec l’Union régionale des coopératives de Midi Pyrénées, mais aussi la fondation groupe Chèque déjeuner, la Macif, Sanofi, ou le Crédit coopératif... Au total, 90 entités sont présentes au capital de l’entreprise et douze salariés dont plusieurs journalistes, travaillent à plein temps.

Récompensée par Oséo Anvar, l’Agence française de l’innovation, puis par la fondation Altran, Websourd a certes validé son modèle économique, mais insiste sur le fond de sa démarche. "Il y a des mentalités à faire évoluer et des barrières à faire tomber, argumente le pédégé. J’en sais quelque chose : j’ai découvert la langue des signes à la naissance de mon enfant, atteint de surdité". Selon lui, ce langage constitue un "remarquable outil d’intégration" et pourrait régler des blocages bien au-delà de l’environnement des personnes sourdes. L’aventure Websourd ne fait que commencer.