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24-05-2006
Mots clés
Multinationales
Santé
France

On ne badine plus avec l’amiante

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Entre 60 000 et 100 000 morts d'ici à 2030. C'est le bilan français du minéral miracle du XXe siècle. Très tôt reconnu comme dangereux, il aura pourtant été utilisé partout, au nom de la défense des intérêts économiques.
SUR LE MÊME SUJET

La burlesque croisière du Clemenceau, porte-avions devenu porte-amiante entre la France et l’Inde, a involontairement célébré un double anniversaire. La décision d’interdire l’amiante a en effet été prise il y aura dix ans cette année, le 3 juillet. L’autre commémoration, c’est la découverte de la nocivité de ce minéral. Celle-là date d’il y a un siècle. Oui, quatre-vingt-dix ans auparavant.

1ère époque  : 1906-1978

C’est en 1906 qu’un inspecteur du travail, Denis Auribault, constate les premiers cas de décès dus à l’amiante. Cinq ans après son installation à Condé-sur-Noireau (Calvados), une usine spécialisée dans la filature et le tissage d’amiante a perdu cinquante de ses ouvriers. Les salariés de cette entreprise baignaient dans la poussière d’amiante, s’en remplissant abondamment les poumons. On en conclut que le travail ce n’est pas toujours la santé et aussi qu’il faut bien ventiler les ateliers. Mais c’est tout. En 1918, des articles médicaux américains décrivent cette maladie liée à l’inhalation de grandes quantités de poussières d’amiante : l’asbestose.

Le danger est réel et il est immédiatement pris en considération... par plusieurs compagnies d’assurance aux Etats-Unis. Celles-ci ferment leurs portes aux travailleurs de l’amiante. C’est également à la fin de la guerre que l’asbestose est reconnue maladie professionnelle en France. Oui, mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Savoir que l’amiante est dangereux n’empêche absolument pas de l’utiliser. Celui qu’on nomme "le minéral magique" est devenu indispensable. Très résistant, ininflammable, c’est aussi un excellent isolant. On l’utilise partout : dans les immeubles et les bâtiments publics, les trains, les freins des voitures et même dans les grille-pain et certains jouets !

Jusqu’à la fin des années 70, les craintes pour la santé ne freinent aucunement l’insatiable appétit pour l’amiante. Le minéral peut même sauver des vies : on en tapisse dans les écoles, pour éviter que ne se reproduise le drame du collège Pailleron, dévasté par un incendie en 1973, faisant vingt victimes.

Du grille-pain à la locomotive

Bien sûr, à partir des années 60, tous les scientifiques savent que l’utilisation de ce minéral provoque des cancers du poumon et des mésothéliomes - un "cancer de l’amiante" qui touche principalement la plèvre. Cependant, cela ne se voit pas trop à l’époque. L’utilisation massive de l’amiante date des années 50 et il faut de dix à quarante ans pour que ces maladies apparaissent. Mais une fois qu’il se déclare, le mésothéliome est redoutable  : on ne peut guère compter survivre plus de deux ans en sa compagnie. En 1971, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis commencent à prendre des mesures de protection des travailleurs de l’amiante. Pas particulièrement par charité, mais parce que des procès s’annoncent.

La France, elle, s’est bien entourée d’amiante, excellent isolant sonore. Elle ne fait rien. Jusqu’à ce que Jussieu gronde une première fois. En 1974, une intersyndicale se crée pour dénoncer la présence du minéral dans les locaux de l’université parisienne. Elle fait suffisamment de bruit pour obtenir une réaction des pouvoirs publics. En 1977, on fixe enfin des valeurs limites d’exposition : sur une journée de travail de huit heures, un salarié ne doit pas inhaler plus de 2 fibres d’amiante par millilitre d’air. L’année suivante, le flocage - procédé permettant l’isolation des bâtiments - est interdit. C’est la première grande remise en cause des bienfaits de l’amiante en France. Pourquoi, alors, faudra-t-il attendre près de vingt ans pour bannir "l’or blanc ?" Mais enfin, parce qu’il est résistant, isolant, ininflammable... et peut prendre la forme d’une rutilante machine à sous.

2e époque  : 1978-1996

A l’époque, le ministère de la Santé ne s’occupe pas des questions du travail. Et celui du Travail n’a pas les moyens d’assurer une veille sanitaire correcte. Quelle aubaine, alors, quand apparaît, en 1982, le Comité permanent amiante (CPA), qui propose de rassembler représentants des pouvoirs publics, scientifiques, syndicats et industriels ! En mettant tous ces savoirs en commun, on pourra forcément gérer au mieux le problème. Erreur. Tout d’abord, comme le rappelle Denis Hémon, directeur de recherches à l’Inserm, "un scientifique ne peut plus dire avec une même netteté si un produit est dangereux ou pas lorsqu’il doit aussi penser aux licenciements et aux autres conséquences d’une interdiction".

Le CPA va en effet fabriquer un consensus mou, dictant la conduite de la France en matière d’amiante : une réduction progressive des valeurs limites d’exposition. "On parlait alors d’un ”usage contrôlé“... mais on ne contrôlait rien du tout !", regrette François Desriaux, président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Si les ouvriers des usines de production d’amiante bénéficient effectivement de mesures de protection, personne ne surveille tous ceux qui interviennent sur des produits contenant le minéral : plombiers, électriciens, soudeurs ou même bijoutiers... Ceux-là vont payent cher la politique d’"usage contrôlé".

Cancers contre licenciements

Pour le CPA, il n’est pourtant jamais question de bannir le minéral mortel. Le Comité bataille même auprès de la Commission européenne pour éviter son interdiction en 1991 ! Rien d’étonnant puisque le CPA est principalement piloté par Marcel Valtat, directeur d’une entreprise de lobbying, Communications sociales et économiques. Et que celle-ci compte parmi ses clients l’Association française de l’amiante, regroupant les industriels du secteur comme Eternit et Saint-Gobain. Le professeur Patrick Brochard, épidémiologiste renommé, affirme qu’il n’en savait rien.

"Aujourd’hui, mon seul regret est que les pouvoirs publics n’aient pas organisé correctement cette expertise, ajoute-t-il. Au sein du CPA, on nous demandait de chercher “Comment travailler avec l’amiante en se protégeant le mieux possible” Il aurait plutôt fallu se demander : “Peut-on travailler sans amiante ?” Mais nous n’avions pas les compétences pour parler des matériaux de substitution et les industriels prétendaient qu’on ne pouvait absolument pas faire sans amiante." Pourtant, à ce moment-là, Volvo se passe déjà du minéral magique pour les freins de ses voitures. D’ailleurs, les industriels de l’amiante sont bien trop modestes puisqu’au milieu des années 80, ils exportent des substituts à l’amiante vers les pays qui l’ont interdit. Une histoire intéressante que Saint-Gobain et Eternit, les deux poids lourds des matériaux de construction, ne nous ont hélas pas racontée : "En raison des procès en cours", selon le premier et "parce que [leurs] propos ont été déformés par le passé", explique le second.

Les industriels n’ont pas été les seuls à freiner le bannissement de l’amiante. Toxicologue et chercheur à Jussieu au moment de la première alerte à l’amiante, en 1974, Henri Pezerat rappelle que "les syndicats ouvriers ne voulaient pas d’une interdiction. Ils ont donc abandonné la lutte après avoir obtenu les premières limites d’exposition". A l’exception de Force ouvrière qui avait décliné l’offre, les syndicats étaient présents au sein du Comité permanent amiante. Et plutôt heureux d’y trouver une solution pour préserver les emplois liés à l’industrie de "l’or blanc". Henri Pezerat, très actif au sein des associations anti-amiante, ne croit pas non plus à la naïveté des scientifiques du CPA. "S’ils ont été dupés, c’est qu’ils ont bien voulu l’être", juge-t-il. Pour ce directeur de recherches honoraire au CNRS aujourd’hui en retraite, "les scientifiques, dans l’ensemble, ne s’intéressent pas aux retombées de ce qu’ils font". Selon Marcel Goldberg, épidémiologiste à l’Inserm, "les journalistes auraient pu relayer ce que tous les scientifiques savaient".

Son confrère Denis Hémon constate lui, que "le problème de l’amiante s’est mis à résonner avec les premières maladies professionnelles liées à Jussieu en 1994 : c’était au cœur de Paris, dans un bâtiment abritant des jeunes, des classes aisées... Avant, le danger n’avait pas franchi la barrière de la conscience".

En juin 1995, une enquête de Sciences et Avenir dénonce le rôle du CPA - provoquant sa dissolution - et le scandale de l’amiante. Pour la première fois, le ministère du Travail demande à l’Inserm une étude pour estimer les dégâts. En mars 2004, le Conseil d’Etat reconnaît la "responsabilité pour faute" des pouvoirs publics. Rendue publique début juillet 1996, l’étude de l’Inserm, menée sous la direction du professeur Marcel Goldberg, révèle que l’amiante cause près de 2000 morts par an. Le ministre du Travail, Jacques Barrot, annonce aussitôt que le minéral sera interdit à partir du 1er janvier 1997.

3e époque : depuis 1996

Aujourd’hui, aux Etats-Unis, le nombre de mésothéliomes a cessé d’augmenter. Dans l’Hexagone, le nombre des victimes de l’amiante devrait s’accroître chaque année jusqu’en 2020-2030. D’ici là, on devrait compter entre 60 000 et 100 000 morts, selon un rapport publié par le Sénat en octobre 2005. Aujourd’hui, le lobby de l’amiante existe toujours. Il s’appelle Institut du chrysotile et veut également fêter les dix ans de l’interdiction de l’amiante... en le réhabilitant. Du moins, sous l’une de ses formes : le chrysotile. Celui-ci cause moins de mésothéliomes que les autres formes d’amiante. Mais il est tout aussi ravageur en ce qui concerne les cancers du poumon. Le danger est pourtant moins de voir réapparaître l’amiante chez nous que de le voir s’accrocher dans les pays en développement. L’Inde en est ainsi le premier importateur mondial... le Canada, le premier exportateur.

A-t-on retenu les leçons de l’amiante ? François Desriaux pointe le cas des fibres céramiques réfractaires (FCR) dont les effets nocifs seraient similaires à ceux de l’or blanc. "Elles sont dans le collimateur", répond Marcel Goldberg. Le chercheur de l’Inserm note qu’un progrès a été réalisé depuis le scandale de l’amiante grâce à la création, en 1998, de l’Institut de veille sanitaire (INVS), dont il est membre. "Il y a une volonté politique plus forte qu’avant, ajoute-t-il. C’est surtout chez les employeurs que cela ne bouge pas." Et de raconter que, récemment, l’INRS, chargé des questions de santé au travail, n’a pas pu mener à bien une étude sur les fibres de substitution à l’amiante.

"Les industriels n’ont pas voulu que ça se fasse chez eux." Une logique de blocage criante lors des débats sur Reach, la réglementation européenne visant à évaluer et contrôler la composition des produits chimiques. En brandissant la menace d’une grave perte de compétitivité des entreprises européennes, les industriels ont fait plier le Conseil européen : le remplacement des produits dangereux ne sera pas obligatoire mais simplement encouragé.

Sources de cet article

Bilan et conséquences de la contamination par l’amiante

Le compte-rendu des auditions

Leçons à tirer selon l’Assemblée nationale

Les bulletins d’information de l’Andeva (association de victimes de l’amiante)

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  • Cet article est fort intéressant. Il y a les travailleurs qui sont et ont été touchés mais aussi toutes les personnes exposées à l’amiante chez eux ou on ne sait où, qui sont décédées ou vont en mourir. Je pense à ma belle-mère qui est décédée l’an dernier d’un mésotélium. Peut-être a-t-elle été exposée dans le HLM qu’elle occupait dans les années 70, 80 ? Où dans une boulangerie pâtisserie ? En tout cas, elle a eu une fin de vie que je ne souhaiterais à personne et bien entendu il n’y a pas de responsable, pas de coupable...

    26.05 à 19h17 - Répondre - Alerter
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