Cette organisation très confidentielle qui regroupe les créanciers des pays endettés de la planète fête ses 50 ans d'existence. En catimini bien entendu.
Ca ressemble à la grande braderie. Ici on annule, là on étale, ou encore on solde. Pourtant, la "dette" des pays en développement se chiffre toujours à 1600 milliards de dollars. Négociations secrètes, fonds vautours, clubs très privés... Terra Economica lève un coin de voile sur le monde mystérieux de la dette... (Lire la suite...)
Rien n’arrive par hasard. Hier comme aujourd’hui, peu de crises sont compréhensibles pour qui en ignore les racines profondes. C’est le cas notamment des crises qui frappent de façon répétitive l’Argentine. Après la chute de Peron en 1955 suite à un coup d’Etat militaire, les généraux au pouvoir ont voulu rentrer dans le rang et cherché à rencontrer leurs créanciers. Le 16 mai 1956, le ministre français des Finances se proposa comme intermédiaire pour une réaction des pays occidentaux aux difficultés de ce pays qui ne pouvait plus rembourser ce qui lui avait été prêté.
Le Club de Paris est né ce jour-là. Cinquante ans plus tard, la dette est toujours omniprésente dans la vie des Argentins. De son côté, le Club de Paris, qui se réunit encore régulièrement au Ministère français de l’Economie et des Finances, continue de décider chaque année du sort à
réserver à plus d’une dizaine de pays endettés. Mais la logique froidement financière qu’il défend n’est-elle pas elle-même la racine profonde des crises qui agitent ces pays ?
Le Club de Paris : c’est quoi ?
Le Club de Paris n’est donc pas un club de football, ni un club de rugby. N’espérez aucun fair play : le Club de Paris n’est après tout qu’un club de créanciers. Il comprend 19 pays créanciers : l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les Etats-
Unis, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Japon, la Norvège, le Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Suisse. Il est chargé de renégocier la dette publique bilatérale des pays du Sud qui ont des difficultés de paiement. Depuis 1956, il a rencontré les représentants de 81
pays débiteurs différents. Près de 400 accords ont été entérinés. Très peu sont à proprement parler des annulations de dette, il s’agit surtout de rééchelonnements.
Le Club de Paris ne considère la situation des pays qui le consultent que sous un angle étroitement financier. Toute considération sociale est écartée. Son but est de faire payer au maximum les pays endettés, comme il le reconnaît sur son site web. Le rôle du Club est donc finalement très proche de celui d’une banque classique. Le Club de Paris n’a ni existence légale ni statuts. C’est une « non-institution » qui apprécie plus que tout l’anonymat.
Pourtant, le Club de Paris s’est illustré à plusieurs reprises ces dernières années, notamment à propos de la dette de l’Irak, ou de celles des pays touchés par le tsunami. Pour ces derniers, le Club n’a, encore une fois, proposé qu’un moratoire - et non pas une annulation de la dette,
comme l’exigeaient de très nombreuses associations. Pis : une fois la pression médiatique retombée, le Club a avoué que des intérêts complémentaires seraient à payer puisque
les remboursements n’avaient pas lieu en temps prévu. A l’inverse, le Club de Paris a annulé 80% de la dette de l’Irak à la demande des Etats-Unis et de leurs alliés. Comme souvent, on assiste à une politique du "deux poids, deux mesures".
Quelles alternatives ?
Le problème de la dette doit s’inscrire dans une approche globale. Le Club de Paris doit cesser de se comporter comme un cartel opaque des pays créanciers. A cinquante ans, il est grandement temps pour lui d’écouter les revendications des associations de citoyens du Sud comme duNord qui réclament :
• un audit international et impartial de la dette, qui permettrait de pointer les différentes responsabilités,
• la reconnaissance et l’application du principe (déjà mis en application à plusieurs reprises) de la dette odieuse, qui fait de la dette contractée par un dictateur une dette personnelle
de ce dictateur, non exigible auprès du régime qui suit la dictature,
• une transparence totale dans toute prise de décision impliquant l’avenir des populations, notamment par une invitation permanente faite aux organisations de solidarité
internationale et aux parlementaires du Nord comme du Sud lors des débats,
• la prise en compte d’autres données économiques que celles fournies par le FMI, qui est à la fois juge et partie,
• la prise en compte de critères sociaux dans toute décision affectant les conditions de vie des citoyens des pays endettés,
• la création d’un club des pays du Sud, dont l’unité permettrait d’opposer un front du refus à la toute puissance des grands créanciers. Le Club se réunit au Ministère français de l’Economie et
des Finances et est donc, d’une certaine façon, financé par les contribuables. On était en droit d’en attendre tant un fonctionnement transparent et démocratique qu’une prise en compte réelle de l’intérêt des populations les plus démunies.
Au vu de son histoire et de son organisation, le Club de Paris n’en est définitivement pas capable. Pour parvenir enfin à l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays du tiers-monde, qui à nos yeux n’est pas négociable, la voie la plus rapide passe sans
doute par la suppression pure et simple du Club de Paris.
François Mauger et Damien Millet ont publié La Jamaïque dans l’étau du FMI, éd. L’Esprit frappeur, Paris, 2004, 124 pages, 4 euros.
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