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Ma vie de grain de café équitable

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En quelques années, le commerce équitable a pris racine sur la planète. Loin de tout régler, ce commerce de près de 2 milliards d'euros tente d'accorder à chaque maillon de la chaîne davantage de respect et de dignité. "Terra Economica" a fait le voyage des plantations d'Amérique latine aux rayons des supermarchés et raconte la vie trépidante d'un grain de café équitable.
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Une main s’avance vers moi, hésite et me saisit. Quelques minutes plus tard je passe à la caisse, sous le rayon laser rouge. La somme de 3,80 euros s’affiche ! En fait, je ne suis pas seul. Dans le paquet, nous sommes 250 grammes de grains de café biologique, torréfié, moulu et labellisé fraîchement débarqués d’Amérique latine, via une filière du commerce équitable (CE), voilà quelques semaines. Voici mon histoire et celle de tous ceux croisés au cours de ce long voyage qui s’achèvera peut-être chez vous, dans une cafetière d’où j’exhalerai mon inégalable arôme d’arabica.

Voyage au long cours

L’histoire commence en 1964. A l’époque, les pays du Sud revendiquent le droit à des échanges économiques plus « justes » lors de la première conférence des Nations unies pour le commerce et le développement en brandissant le slogan "Du commerce, pas de l’assistance". Cinq ans plus tard, aux Pays-bas, s’ouvre le premier "magasin du monde" qui propose sur ses étals des produits du Sud répondant aux exigences du commerce équitable. En 1979, dix ans après cette conférence, c’est en France qu’Artisans du Monde inaugure sa première boutique CE.

Suivront d’autres organisations non gouvernementales, des associations du Nord qui nouent des partenariats avec des producteurs d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Pour garantir aux consommateurs le respect de la charte du Commerce équitable et permettre une plus large diffusion des produits, le label Max Havelaar est créé en 1988.

Le berceau

Moi, petit grain de café équitable, je suis né en 2005 dans l’exploitation de Don Juan, vaste de 5 hectares, en Colombie. Ce petit propriétaire terrien a intégré voilà trois ans une coopérative qui travaille avec une centrale française de distribution comprenant une série d’organismes comme Andines, Alter-Eco, ou Solidar’monde. Ils nous prennent en charge depuis le caféier jusqu’à notre vente.

A plusieurs reprises, Don Juan a failli m’abandonner à la friche. La rupture du Pacte du café en 1989 - équivalent de l’Opep pour le pétrole - conjuguée avec l’apparition du Vietnam parmi les gros producteurs mondiaux ont fait s’effondrer les cours. Une situation insupportable pour les 25 millions de petits cultivateurs. Le cours du café est aujourd’hui inférieur - en dollars courants - à celui de 1947. Don Juan touche moins que ce que son grand-père gagnait voilà soixante ans alors que le coût de la vie a, lui, augmenté.

Don Juan vient d’achever son unique récolte de l’année. Il nous a dissocié de notre pulpe rouge, nous a séché au soleil et nous trimballe aujourd’hui jusqu’à la coopérative. Nous sommes encore tout verts. Don Juan affiche un sourire radieux. Normal. Il n’a plus à affronter ceux qu’on appelle "les coyotes", ces intermédiaires des multinationales qui nous achetaient au rabais. Désormais, la coopérative lui accorde 30 centimes d’euros de plus par livre que les "coyotes", et lui dispense une formation aux techniques de respect de l’environnement. Mais la coopérative lui pré-achète aussi 50 % de sa récolte à prix garanti et lui versera dans quatre ou cinq mois une prime CE, qu’il devra investir dans l’amélioration de son exploitation et des conditions de vie de sa famille. Son destin a changé.

0,42 € : la somme perçue par le producteur pour chaque paquet de 250g de café labellisé Bio et issu du commerce équitable.

0,17 € : la somme perçue par le producteur pour un paquet issu de la filière traditionnelle.

ça y est ! Je viens de pénétrer sur le marché mondial du café ! Après le pétrole, le café se classe au deuxième rang des produits les plus vendus sur la planète avec une production mondiale annuelle de 6,5 millions de tonnes. Bon, pas de quoi pavaner non plus. J’appartiens pour ma part à la filière équitable, qui affiche un résultat plus modeste de 25 000 tonnes.

Pour pouvoir demain m’afficher avec les labels Bio et CE sur l’emballage, ma coopérative va devoir mettre la main au portefeuille et débourser 4 000 dollars : 2 000 dollars à l’organisme de contrôle et de certification international Ecocert pour le volet biologique et 2 000 dollars à FLO, la structure qui coordonne l’action des 17 associations de labellisation du commerce équitable, telles que Max Havelaar. Un tarif plutôt corsé, mais qui sera ramené à 1 000 dollars dès l’année suivante.

Le label a un prix

Chez moi, en Amérique latine, 2 000 dollars représentent tout de même plus d’un an de salaire minimum. D’ailleurs, chez Don Juan, les ingénieurs et les techniciens d’Ecocert ou d’Havelaar, ne sont venus qu’une fois. Pour contrôler et vérifier le respect de notre culture bio et de la charte CE.

Après, je ne les ai plus revus, hormis sur notre emballage ! Rien à voir avec notre centrale de distribution qui nous accompagne tout au long du circuit.Bon, revenons à mes amis grains de café. La coopérative nous rassemble pour une dernière sélection. Direction la trieuse et... victoire ! Je suis sélectionné. Embarquement pour le camion puis les docks du port maritime. Un long voyage nous attend.

0,27 € : le café équitable part à la trieuse, est emballé en sac et est transféré jusqu’au port (0,23 €). Il traverse l’Atlantique (0,02 €) et effectue les 10 derniers kilomètres qui séparent le port du Havre du torréfacteur (0,02 €).

0,38 € : l’itinéraire est le même pour la filière traditionnelle. Trieuse : 0,34 € ; traversée de l’Atlantique : 0,01 € ; mise en entrepôt chez le torréfacteur : 0,03 €.

Sur le bateau, au milieu des conteneurs de 17 tonnes, il n’y a pas photo. Nous les grains équitables sommes ultra minoritaires. Mais le voyage se passe bien, en bonne intelligence. Après avoir traversé l’Atlantique, nous parvenons enfin au Havre. Sur le Vieux Continent ! Au port de départ, se trouvaient d’autres conteneurs de café issus du commerce équitable, mais certains sont partis vers Rotterdam, sur le circuit d’une autre centrale de distribution, comme Alter Eco par exemple.

Au Havre, le transitaire nous charge sur des camions. Après seulement 10 kilomètres, nous sommes installés dans un immense entrepôt. Pas vraiment de quoi s’y sentir en famille. Sur 100 000 sacs de café stockés seuls 162 sont destinés à la filière équitable, comme moi. C’est l’heure, une nouvelle fois pour ma centrale de distribution, de sortir le carnet de chèques. Le transport de chaque conteneur sur ces dix derniers kilomètres est facturé 630 euros, alors que la traversée de l’Atlantique avait coûté 1 100 euros par conteneur.

Parmi les 550 torréfacteurs français, aucun n’accepte de faire dans l’artisanat. Pas question de torréfier les petites quantités. Aucun, sauf un et à partir de 2 kilos : Lemétais au Havre. C’est chez lui que nous nous rendons. La torréfaction est l’étape qui va nous rendre "buvables". Sous l’effet de la chaleur et du mélange avec des sucres et des acides, nos arômes - près de 1 000 - vont se libérer.

Nous avons perdu notre couleur verte pour nous draper d’un manteau brun et brillant. Et la toilette n’est pas terminée. Il faut encore nous moudre, puis nous glisser à l’intérieur des paquets richement emballés aux effigies du bio (AB) et de notre label CE (Max Havelaar). Pour utiliser ces estampilles, la centrale de distribution passe au tiroir-caisse. Alter Eco verse chaque année 2 % de ses recettes à FLO, l’organisation internationale qui coordonne l’action des dix-sept associations de labellisation du commerce équitable telles que Max Havelaar.

1,10 € : prix du stockage, du marketing, du suivi administratif ainsi que de la livraison au distributeur qui écoulera la marchandise.

1,17 € : en dépit des économies d’échelle engendrées par l’importance des volumes traités, les coûts restent élevés pour la filière classique.

Après Le Havre, dernier voyage vers la centrale de distribution. Celle qui a signé un partenariat avec Don Juan et sa coopérative. Je suis fin prêt. Torréfié, moulu, empaqueté, labellisé, il ne me manque rien, hormis l’adresse et le nom du magasin chez qui je serai vendu avant de finir chez vous, et de faire frémir vos narines de mon arôme latino.

Et voilà, je trônais dans le minuscule rayon "café équitable" d’une grande surface, entouré des cafés de grandes marques qui adoptent de plus en plus notre emballage et notre visuel CE, essayant ainsi de créer la confusion pour se faire acheter à notre place.

Donc, je trônais, mais vous m’avez choisi sans vous tromper et vous m’avez finalement acheté au prix de 3,80 euros. Elle est comment votre cafetière ? Expresso, à piston ou électrique ?


PRIX DEFINITIF

3,80 € pour le paquet de 250 g de café équitable. Marge pour le distributeur : 1,12 €.

2,95 € pour un paquet de café traditionnel. La marge est de 0,71 € pour le distributeur.

ARTICLES LIES :

- Commerce équitable : Vrai ou faux ?

- Max Havelaar : c’est qui ce Monsieur ?

- "C’est un débat de ventre plein"

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  • TRès bon article et dossier mais je trouve un peu étonnant (le mot est faible) que vous n’ayez pas fait allusion à la très bonne enquête de Christian Jacquiau sur les coulisses du commerce équitable qui montre les problèmes posés par cette filière.
    Est ce un oubli volontaire ou un oubli tout simple ?

    16.10 à 10h48 - Répondre - Alerter
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