Ouvrez la cage aux pianos

Un Steinway a mieux à faire sous des doigts experts que sous des napperons défraîchis. Et c’est pour défendre cette idée que l’association Music Fund collecte des instruments de musique en Belgique depuis trois ans. Cet hiver, les 300 premiers instruments ont été livrés gratuitement à des musiciens d’Israël et de Palestine. A la tête du camion au propre comme au figuré - il a passé son permis poids lourd -, Lukas Pairon, directeur de l’ensemble de musique contemporaine Ictus : "Nos musiciens donnaient des cours de musique dans la région. Ils ont constaté un réel manque d’instruments dans ces écoles très fréquentées".

Mon piano n’est pas une casserole

Au premier appel, les instruments affluent. Pianos encombrants, trompettes trop désuettes pour parader... Les greniers belges en regorgent ! Mais au delà des clichés, se séparer d’un instrument de musique demeure un geste fort. "Les donateurs n’entretiennent pas la même relation qu’avec les objets que nous récoltons habituellement", confie Erik Todts d’Oxfam-solidarité, ONG associée au projet. Le violon d’un époux regretté, le premier piano d’un soliste, un saxophone de collection... "Certains glissent des petits mots à l’intérieur pour raconter l’histoire d’amour qui les lie à l’instrument", confie Véronique Van Lierde, bénévole en charge de la collecte. A cette envie bien légitime de suivre la destinée de l’instrument répond un système d’archivage. Un petit carton où sont indiqués le nom du donateur, le lieu de collecte et, enfin, le nom du spécialiste qui l’a restauré.

Parce qu’on n’envoie pas des casseroles à l’autre bout du monde ! Luthiers et techniciens du piano retapent gratuitement les instruments abîmés par des décennies de mutisme. Une étape qui a un coût : remplacer un jeu de cordes sur un violon, c’est 46 euros... Les fonds récoltés en espèce sont donc affectés à cette étape-atelier. Mais ce n’est pas tout de donner des instruments révisés, encore faut-il apprendre à les bichonner. En mai, deux experts seront envoyés à Ramallah pour assurer un stage d’introduction à la lutherie. "L’idée de ces stages, ce n’est pas de former des luthiers en une semaine, mais d’en donner le goût, tempère Lukas Pairon. Ensuite si des personnes douées souhaitent aller plus loin, nous pourrons envisager de les accueillir dans une école en France ou en Belgique".

Pont musical

De nouveaux métiers voient ainsi le jour, car "un piano qui débarque dans une école, il faut l’accorder et l’entretenir régulièrement. Les besoins se créent automatiquement" souligne Lukas Pairon avant d’ajouter : "c’est un formidable espoir de développement". Un bol d’air frais pour une région isolée comme la Palestine : de jeunes musiciens sont appelés à venir à Lille dès juin pour jouer sur leurs instruments belges ! "Envoyer des instruments dans des régions pauvres ou en conflit, c’est construire un pont avec l’Europe et, dans le cas d’Israël, une manière de refuser le boycott culturel". Le fondateur de Music Fund voit d’un bon œil "l’intérêt marqué par de possibles sponsors locaux en Palestine". L’objectif, qui est de "donner l’accès à la musique à ceux qui n’y ont pas droit" sera atteint. D’ici à amener les membres des deux communautés à s’écouter, armés de leurs seuls instruments, la partition n’est pas encore écrite. Pour Lukas Pairon, "c’est à eux seuls de le faire". Tout en veillant à entretenir la régularité de ses échanges avec le Proche-Orient, l’association envisage d’aider les musiciens de Mozambique. Si vous jouiez du pipeau au collège, c’est le moment de lui offrir une belle carrière au soleil.

Renseignements au 01 44 84 46 94 ou sur le site de Music Fund