Prenez un iPad. Brisez-le, placez-le dans un mixeur et appuyez sur le bouton. Cette expérience, l’industriel américain Blendtec l’a faite, pour vanter ses blenders sur Internet (1). Le résultat est une infâme poussière grise aux allures de cendres qui n’ont rien de funéraires. Car le dernier-né d’Apple, comme tout appareil électrique, se recycle. Explications.
Lancé au printemps dernier, l’iPad est une tablette numérique, mariage de l’ordinateur et du téléphone. Du premier, il conserve un affichage de bonnes dimensions. Au second, et plus précisément à l’iPhone, il emprunte l’aspect compact et la légèreté. Son écran tactile aussi, et des milliers de programmes gratuits ou à bas prix. Bref, cette tablette va probablement changer l’usage de l’informatique. Mais en laissant une sacrée empreinte sur la planète ! Si votre père Noël a choisi de faire ses emplettes en ligne – 19 % des plus jeunes convoitent les tablettes type iPad pour cette fête, selon le cabinet Deloitte –, c’est un emballage en carton de 630 g qu’il laissera derrière lui : presque le poids de l’iPad lui-même ! Acheté en magasin, ce sera 380 g de moins. Dans tous les cas, l’appareil est protégé par 10 g de plastique et d’une coque de polystyrène (79 g), deux matériaux qui finiront à l’incinérateur. Et attention aux disputes, car un appareil aussi léger risque fort de finir à la casse prématurément !
11 m2 de moquette synthétique
Pour le mettre dans vos mains, Apple aura émis l’équivalent de 91 kg de CO2, soit autant que la fabrication d’une centaine de bouquins ou de 11 m2 de moquette synthétique. Durant sa vie active, l’iPad en rejettera deux à trois fois moins, suivant l’origine de l’électricité consommée. Apple ne figure pas dans le peloton de tête du guide annuel de l’impact environnemental des fabricants d’électronique publié par Greenpeace. Mais Daniel Kessler, un des porte-parole de l’ONG, confirme « la faible consommation de l’iPad » : trente à soixante fois moins qu’un ordinateur de bureau !
D’ailleurs, si on pouvait se passer d’ordinateur avec l’iPad, ce serait épatant, car la fabrication d’un portable représente 3 fois plus de gaz à effet de serre, et un ordinateur de bureau 6 à 12 fois plus ! « S’il remplace un ordinateur, l’iPad est une bonne nouvelle puisqu’il réduira aussi le volume de déchets de fin de vie, ajoute Jean-Charles Caudron, de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Mais s’il vient en supplément, le volume augmentera. » Et c’est là que le bât blesse. Outre le fait que ses fonctionnalités restent aujourd’hui inférieures à celles d’un bon gros ordi, l’iPad a besoin d’un disque dur pour sauvegarder son contenu. En dépit des critiques, l’entreprise a omis d’intégrer un lecteur de cartes mémoire, tout comme dans l’iPhone, les privant aussi de toute possibilité d’extension qui prolongerait leur durée de vie. On n’en saura pas plus, car « les responsables d’Apple ne s’expriment pas sur les questions d’environnement », affirme-t-on au siège de l’entreprise.
Enfouie dans ses entrailles
Et si d’aventure la batterie venait à lâcher un peu tôt ? Vous n’êtes pas sorti de l’auberge, car elle est enfouie dans les entrailles de l’appareil. « Comme elle n’est pas amovible, la durée de vie de l’iPad est celle de sa batterie », s’insurge Hélène Bourges, du Centre national d’information indépendant sur les déchets (Cniid), qui a cosigné, en septembre, avec les Amis de la Terre un passionnant rapport sur « l’obsolescence programmée des produits électriques et électroniques ». Apple précise qu’en cas de défaillance de batterie, elle procédera à « un remplacement de l’appareil » !
Coque éclatée
Dans quelques années, votre iPad ira rejoindre des millions d’appareils électroniques dans les filières de recyclage. Indéniablement, il est écoconçu. Sa coque est en alu (125 g), un matériau réutilisable à l’infini. L’écran est protégé par une plaque de verre (155 g) sans arsenic, d’après Apple. L’entreprise affirme aussi que l’iPad ne contient pas de retardateurs de flamme dérivés du brome, ni de PVC ni de mercure dans l’écran. Pour Daniel Kessler de Greenpeace, en matière d’élimination des substances toxiques, Apple va dans la bonne direction, « tout comme l’ensemble de l’industrie ».
Un constat partagé par Jean-Charles Caudron, de l’Ademe, même s’il le nuance : « C’est plus lié au durcissement de la réglementation qu’à l’initiative des industriels. Les textes européens poussent les producteurs à faire des produits plus valorisables en fin de vie. » Et la directive européenne sur les substances toxiques – appelée « RoHS » –, en vigueur depuis juillet 2006, est en cours de révision et pourrait renforcer la tendance. « De plus, ajoute Jean-Charles Caudron, l’écoparticipation au recyclage sera bientôt modulée pour favoriser l’écoconception. » L’iPad ne devrait pas voir sa dîme augmenter : elle est de 4 centimes par exemplaire, moins d’1/10 000e de son prix d’achat !
A quoi ressemblera votre iPad à l’issue de son dernier voyage ? Cela dépend d’abord de vous. Rapportez-le au magasin, ou contactez son fabricant, qui a mis en place un dispositif de collecte. En France, Apple a délégué son devoir de « responsabilité élargie des producteurs » à l’éco-organisme ERP-France. « Nous n’avons pas encore vu d’iPad, s’amuse Philippe Badou, le responsable des opérations de l’entreprise. Dans un premier temps, sa coque sera éclatée et ses différents éléments séparés. » Puis chacun rejoint sa filière : les écrans, les batteries, le plastique (55 g), etc. La petite carte électronique (45 g) ira chez un « affineur » qui en extraira les métaux : plomb des soudures, cuivre, métaux précieux. Restent le verre et l’alu, matériaux les mieux valorisés. Au total, plus de 80 % du poids d’un iPad devrait être recyclé, le reste étant incinéré ou, pour moins de 1 %, mis en décharge. « Mais ce n’est valable que pour les appareils des ménages, car il n’existe pas de filière agréée pour les déchets des entreprises », regrette Hélène Bourges du Cniid. Qu’est-ce qu’on attend ? —
Business juteux aux cadences infernales
Apple a dévoilé ses chiffres fin octobre : 7,46 millions d’iPad ont été écoulés en six mois dans le monde. Avec le succès de l’iPhone, et le lancement en fanfare de sa tablette, la firme à la pomme est devenu une vedette à Wall Street : la société est désormais la seconde capitalisation boursière américaine, dépassant ses « ennemies » Microsoft et Google. Et selon certains analystes, son action pourrait encore gagner 50 % en un an à la Bourse de New York et détrôner ainsi le pétrolier ExxonMobil. Mais cette réussite ne peut faire oublier les conditions dans lesquelles est produit l’iPad, pour l’essentiel dans le sud de la Chine. Il y a quelques mois, une polémique a éclaté à propos de suicides dans une usine Foxconn – l’un des principaux sous-traitants d’Apple – à Shenzhen. L’iPad est, comme la grande majorité des produits électroniques, fabriqué à des cadences infernales, pour un salaire n’excédant pas 110 euros par mois.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions