Il y aura, pour la France aussi, un avant et un après Fukushima. D’abord, parce que le Japon est un pays de l’OCDE, parmi les plus développés au monde, et qu’il y a tout lieu de croire que les mesures de sécurité y sont d’autant plus draconiennes que les risques sismiques sont élevés. Le fait que les pires scénarios prévus par les ingénieurs japonais aient été dépassés n’est pas sans conséquence sur notre propre politique de sécurité. Ensuite, car il est probable que l’acceptation par la population du risque nucléaire soit sérieusement et durablement entamée. Si les développements futurs sont encore incertains à l’heure où ces lignes sont écrites, la situation actuelle rend un éclairage particulier sur notre pays, son électricité à 75% nucléaire et ses 58 réacteurs.
Si la psychose montante ne me parait pas créer les conditions idoines pour un referendum, l’éventualité d’une catastrophe doit également nous conduire – à l’opposée de l’attitude crispée du gouvernement – à exercer un « droit d’inventaire » sur les choix historiques qui nous ont conduit à un mix électrique à 75% nucléaire [1]. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que la discussion est toujours restée confinée à des cercles d’experts. Ce manque de transparence manifeste sur les enjeux humains, écologiques, financiers et stratégiques ne peut qu’alimenter les peurs. Il nous faut donc rendre le débat au public, mais sans tomber dans l’excès démagogique inverse et sans instrumentaliser politiquement la douleur des Japonais.
Qu’en penser, ensuite, sur le fond ? D’abord, que sortir de cette hypertrophie est indispensable, mais prendra du temps. Le nucléaire est à ce stade une énergie de compromis, qui nous permet une certaine indépendance énergétique tout en participant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en assurant une certaine sécurité des prix. Ce « rééquilibrage maitrisé » est d’autant plus nécessaire que si les énergies renouvelables (EnR) représentent l’avenir, elles ne sont pas encore des technologies totalement matures. La possibilité qu’une sortie brutale du nucléaire aboutisse ainsi à la victoire du… gaz n’est pas à négliger. Ceci avec des conséquences considérables : un impact en CO2 quatre à cinq fois plus élevé et l’obligation d’importer une grande part de notre consommation depuis la Russie ou le Moyen-Orient. Les nouvelles énergies n’ont par ailleurs rien à gagner à s’aliéner l’adhésion populaire par une augmentation brutale et inconsidérée du coût de l’électricité.
Il nous faut donc investir significativement et durablement dans la technologie industrielle liée aux énergies renouvelables afin qu’elles puissent prendre la relève au plus vite – à l’opposée du stop-and-go délétère du gouvernement. Mais sortir du nucléaire passe aussi et surtout par une meilleure isolation de nos bâtiments et une modification substantielle de nos habitudes de consommation. On oublie trop souvent que l’essentiel des gains potentiels passe par la maitrise de la demande. La France doit enfin, autant que possible, aligner le niveau de sureté des centrales sur les meilleurs standards mondiaux, y compris dans son choix de technologies.
Quel que soit l’option retenue, la priorité est à ce jour à la solidarité et au soutien humanitaire et logistique. Les débats devront ensuite être menés de manière approfondie et transparente, afin de décider en conscience de ce que doit être notre politique énergétique de demain, avec les risques et les opportunités qu’elle implique.
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