Que dit Laurent Habib dans son livre La communication transformative ? Que la communication a un pouvoir réel. Qu’elle a « la puissance de transformer ». Il a raison. C’est vrai et c’est très important de le rappeler et le démontrer. Ce pouvoir est-il rattaché aux moyens ou à la finalité de la communication ? Pour l’auteur, seule la finalité compte. Pour lui, c’est stimuler la croissance et la consommation, oxygéner l’économie avec de nouveaux produits et de nouvelles ventes. La communication comme solution à la crise économique grâce à la relance de la consommation ? Oui, pour preuve : « La communication doit devenir le facteur de transformation le plus puissant de l’économie » (p.10) et pour cela il est nécessaire de « replacer la communication dans la création de valeur économique » (p.9) Les marques doivent être ainsi vite investies car « si les marques continuent à déserter des pans entiers de l’économie, que restera-t-il de la France ? » (p.109). Mauroy, ou la croissance par la consommation, brille encore. Le développement durable n’est donc pas passé par là.
Qu’y a-t-il donc de nouveau dans ce discours qui a toujours été celui des publicitaires : « Laissez nous faire, vous vendrez plus » ? Rien, si ce n’est que la demande de marge de manœuvre se fait sur un ton plus virulent. Pour l’auteur, la communication doit reprendre le pouvoir, dire stop aux dérives des annonceurs – suivre la demande des consommateurs à la trace, se focaliser sur des « plus produits » insignifiants, être dans la promesse creuse, faire des publi-rédactionnels… – et agir directement au cœur du dispositif : sur la marque.
Et si l’authenticité et la cohérence des marques étaient réelles ?
La marque est un capital qui nécessite un chef de bord compétent, parfaitement « externalisable » et des outils dédiés, comme le « Brand Program » de l’agence de l’auteur, qui permet de « prendre en compte l’ensemble des modes relationnels entre les marques et leurs cibles, dans leur capacité à susciter des systèmes d’engagement non seulement fonctionnels mais aussi symboliques. » (p.158) Symboliques, donc immatériels, donc reliés à des valeurs. Une fois le communicant au pouvoir, installé à bord du bateau « marque », sa mission est donc de lui donner de la puissance, c’est-à-dire faire monter son « capital de marque » fondé, selon l’auteur, sur trois piliers : « cohérence, singularité, authenticité ».
Et là, l’auteur ne va pas plus loin, ce qui est fort dommage, car justement, si l’authenticité et la cohérence sont les piliers de la marque, se pose la question de leur réalité. Si l’authenticité et la cohérence sont nécessaires, sur quoi ces valeurs sont-elles concrètement fondées ? A l’heure où l’image de L’Oréal prend pour la première fois des coups à cause d’éventuelles fraudes fiscales et de largesses de son actionnaire à des mondains, où pour la première fois une entreprise pétrolière, BP, chute en bourse suite à une marée noire générée par un manque d’exigence en matière de sécurité, où la Société Générale chute encore plus en cohérence en se remboursant de 1,7 milliard d’euros le jour où elle en demande 5 à Kerviel en première manche de procès, où le minier Vedanta se voit défiée par ses propres actionnaires suite à un rapport de développement durable jugé plus philanthrope sur le papier que dans les faits, la question de fond devient : peut-on vraiment construire le capital de marque défini par l’auteur – « cohérence, singularité, authenticité » – sur la réalité de l’entreprise ? La réponse est : Non, sauf pour les entreprises réellement avancées en termes de cohérence et d’authenticité. Nicole Notat rappelait que sur l’ensemble des 120 entreprises de l’indice boursier français SBF 120, cinq seulement ont une réelle stratégie de développement durable.
Le poids d’une campagne sur le changement climatique
Le vrai pouvoir de la communication est celui d’exiger que la réalité de l’entreprise corresponde le plus possible à l’image qu’elle veut donner. Et donc le vrai pouvoir de transformation de la communication est de conduire les entreprises à changer si elles veulent changer d’image. Cela devient d’autant plus nécessaire lorsque la communication porte sur l’engagement « vert » ou social de l’entreprise.
Mais ceci ne concerne que la finalité de la communication. On ne saurait omettre ce qui est tout aussi stratégique : les moyens. L’auteur ne les évoque pas, mais pourtant, leur pouvoir est réel. Dire qu’une campagne sur Internet « pèse » 200 tonnes de CO2, c’est dire quelle est sa contribution réelle au changement climatique, dire qu’un magazine luxueux n’utilise pas de papier certifié ou recyclé, c’est dire qu’il alimente concrètement la déforestation illégale, quand un message visant à l’abus du produit est mis en avant pour un produit polluant, ce sont des tonnes de polluants qui seront réellement mis en plus dans la nature.
Que font les agences de com ?
Ceci est le côté négatif, mais voyons le positif. C’est-à-dire la possibilité de transformer positivement les choses par les moyens. Le recours à des moyens et fournisseurs responsables, promouvant l’équitable, l’insertion, le social, la légèreté carbone, a immédiatement un impact vertueux. Et que dire des agences elles-mêmes, concernant leur politique sociale et environnementale ? Rappelons qu’il n’y a que quatre directeurs du développement durable (c’est-à-dire ayant une fonction 100% dédiée au développement durable) sur l’ensemble des agences de communication en France. En toute logique, avant les marques, il faut se situer au niveau des agences en tant qu’organisations, au niveau des messages et des moyens de communication. Comme le rappellent les sages Gandhi et Rabhi, le changement commence par soi-même. Comment les communicants peuvent-ils demander plus de pouvoir sur la société alors qu’ils ne maîtrisent pas encore le leur ?
Dans cet essai se présentant comme une chevauchée contre « les idées vaines », difficile de ne pas relever au début du livre une dénonciation virulente de la publicité non signalée dans les supports rédactionnels – « on n’annonce plus la couleur » (p.73) – pour arriver plus loin dans cet essai publié par une référence universitaire à un chapitre dédié, y compris son titre, au « Brand Program », produit et marque déposée de l’agence de l’auteur. Difficile aussi de ne pas remarquer les assauts incessants de l’auteur contre Total quand lui-même s’occupe d’Areva. L’auteur n’aurait-il pas de « brand manager » ?
Laurent Habib, La communication transformative (PUF, 2010)
Retrouvez les chroniques d’Alice Audouin sur le développement durable sur son blog Alice in Warmingland
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