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6-10-2010
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Finance
Justice
France
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Chronique

Le procès Kerviel ou la victoire de l’hypocrisie en col blanc

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Le procès Kerviel ou la victoire de l'hypocrisie en col blanc
(Une salle de marché à São Paulo (Brésil). Crédit : rednuht - Flickr)
 
Pour l'écrivain Flore Vasseur, ce procès représentait l’occasion historique - mais ratée - de s’interroger sur l’utilité sociale des marchés et sur le fonctionnement des banques.
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Très en contrôle de lui même, probablement trop pour un juge qui n’a eu de cesse que de comprendre le ressort psychologique de cette affaire, Jérôme Kerviel ne s’était laissé aller qu’une fois, pendant le procès. Cela portait précisément sur sa peine : « Ils (les avocats de la Société Générale) vont me demander 4,9 milliards. C’est comme demander la peine de mort. Je mourrai avec. » Nous y sommes.

La France ce mardi 5 octobre a inventé une nouvelle forme de peine de mort. Celle qui consiste à ne plus avoir le droit de vivre sa vie. Jérôme Kerviel vient d’être condamné à 5 ans de prison (dont 2 avec sursis), l’incapacité d’exercer le métier de trader (ce qui, somme toute, est plutôt sain) et surtout au remboursement total des dommages supposés causés par lui à la Société Générale, son ancien employeur : soit 4,951 milliards d’euros. Le juge Dominique Pauthe a suivi l’intégralité des arguments de l’accusation : il a blanchi la Société Générale, accédé à l’intégralité de sa requête, avalé toutes les justifications des supérieurs hiérarchiques de Jérôme Kerviel. Le juge a regretté la négligence des contrôles et chargé – à mort donc - un homme : « vous avez endormi la confiance des services concernés (…) vous avez rejeté la responsabilité sur la Banque (…) vous l’avez mise en danger ». Jérôme Kerviel paie sa stratégie de défense qui consistait à mettre en évidence l’aveuglement tacite de la Banque et ses arrangements avec la réalité. Sur le papier, elle ressort grandie. Des bouchons de champagne ont du voler à la Défense. Cela ressemble à une victoire des puissants assurée par une justice des riches. Et c’est notre perte à tous.

Car depuis sa révélation, l’affaire Kerviel a participé de notre éducation. Depuis, il y a eu les subprimes, la faillite de Lehmann Brothers, celle de l’Islande, la Grèce la mise à mal de l’Europe, la spéculation contre l’Euro… Depuis trois ans nous découvrons l’incroyable emprise des marchés sur nos quotidiens. Et leur tout aussi incroyable vulnérabilité. Ce procès représentait l’occasion historique de s’interroger sur l’utilité sociale des marchés et sur le fonctionnement des banques. Sur leur exigence de rendement pousse au crime, sur leur sophistication stérile, sur leur rapport douteux à la spéculation. C’était potentiellement le procès d’un système, opaque, profondément déconnecté de la réalité dont on sentait insidieusement qu’il supplantait tous les pouvoirs.

Il aura fallu trois semaines de procès et trois mois de délibération au tribunal pour répondre à la question : un employé, qui prend des positions dantesques dissimulées par des opérations dites fictives mais visibles sur les bases de contrôle a-t-il agi à l’insu ou - avec l’aveuglement tacite - de son employeur ? Comment a-t-elle pu se débrouiller, avec son armada de sur-diplômés, de déontologues, de comptables et d’auditeurs, pour ne rien voir ?

Tout le long du procès, à son corps défendant on le sent bien, la Société Générale a plaidé l’incompétence pour éviter d’être inquiétée sur son honnêteté. Le message a été martelé : la Banque avait été assiégée de l’intérieur. Elle ne savait rien. Ses témoins étaient préparés au regard suffisant près. A deux reprises au moins, le juge a demandé à des avocats cachés dans l’assistance d’arrêter de faire des gestes aux témoins. Ils tentaient de leur souffler les réponses. Les polytechniciens et énarques appelés à la barre, souvent devenus millionnaires grâce à l’activité de trader se sont présentés en victimes déboussolées et meurtries. On ne crache pas si facilement sur celle qui distribue la soupe. Ils ont répété : sur une salle de marché, tout le monde est loyal, transparent, respectueux des limites. Et le juge a complètement acheté leur histoire de vierges effarouchées siglées Hermès. D’ailleurs, quand le dernier témoin est arrivé à la barre du Tribunal, il l’a expédié en 20 minutes. C’était pourtant Daniel Bouton. Les jeux étaient-ils déjà faits ?

Ce procès était l’occasion de s’interroger profondément sur les marchés, leur nature et raison d’être. Souvent, le Tribunal a décollé : la fraude est-elle consubstantielle de l’argent, de l’humain ou de la banque ? Où est-ce la culture des apparences qui finit par tout broyer ? Apparence des traders, qui ne semblent n’avoir de cesse que de décrocher le plus gros bonus ; apparence des comptes qui doivent avoir l’air équilibrés quelque soit la manip (l’opération fictive que l’on reproche à Jérome Kerviel d’avoir inventé ne serait qu’un mécanisme d’ajustement mis en place par la banque elle même) ; apparences des supérieurs hiérarchiques qui ne doivent pas montrer qu’ils sont complètement dépassés ; apparence de la banque elle-même qui doit aligner, trimestre après trimestre une performance en progression. Un beau chiffre. Finalement, ce procès a été celui de l’excellence qui ne sert à rien et de la vanité. Son apport potentiel est balayé par un jugement inique. Jérôme Kerviel n’est pas innocent. La Banque qui l’a recruté, formé à ses dogmes et exigences, et motivé, sans doute non plus. Mais ce soir, elle s’en lave les mains.

Ce système n’a été ni remis en cause, ni critiqué. Tout juste dans l’évocation de l’incroyable succession de défaillances des contrôles de la banque, le juge s’est-il fendu d’un « il est regrettable que la Société Générale n’ait pas fait plus attention ». Il n’a rien dit sur la responsabilité de la banque, rien sur la culture de la gagne pousse au crime, rien sur les manageurs sur-diplômés soudain rendus aveugles et sourds. Rien sur les cadences infernales, les objectifs démentiels, les bonus mirifiques basés sur les seuls chiffres, jamais sur l’utilité. Rien sur la bétaillère post-moderne. Aucune circonstance atténuante.

Il y a eu le procès d’un homme, que le juge a décidé de considérer comme un génie manipulateur, pervers et responsable de tout. Un cas à part, une ex-croissance dans le monde merveilleusement humain et tellement responsable de la finance des marchés. Cette option dédouane totalement la Banque. C’est commode. En France, on ne tire pas comme cela sur l’une des plus grande entreprise française. On préfère stigmatiser les vraies racailles au 20 heures.

Parions que dans quelques jours ou semaines, la Banque retirera sa demande de dommages et intérêts. Elle pourra alors passer pour généreuse et magnanime. Elle se rachètera une grandeur d’âme. Cela parachèvera la victoire de l’hypocrisie en col blanc.

A l’énoncé du verdict, Jérôme Kerviel a légèrement tangué, abasourdi par le raisonnement à charge. Un homme a injurié la représentante de la Société Générale : « vous êtes des charognards ». Protégé des quelques journalistes par ses avocats, l’accusé s’est rassis, les yeux rouges. Il a tripoté son iphone pour s’y perdre. Et fuir loin de la réalité. Comme si, à force d’entrer des opérations fictives sur des tableurs excel, c’est sa vie à lui qui était devenue fictive.

Personne n’aura réussi à comprendre pourquoi Jérôme Kerviel qui avait amassé jusqu’à 1,4 milliard de gain avant d’en perdre le double, n’avait pas mis un centime dans sa poche ? Jérôme Kerviel est un pur produit du système. Le baby Frankenstein de la finance. Avec son diplôme de second rang, il était entré dans la Banque par la fenêtre, à la force du poignet. Il voulait peut être devenir le fils préféré. Il en ressort menottes aux mains. La presse massée à la sortie de la salle d’audience s’est jetée sur lui, caméra et micro au poing, comme sur une bête traquée. Qu’il est et sera.

En juin, Maitre Veil, qui défend la Société Générale, avait conclu sa plaidoirie par un sentencieux « Monsieur le juge, le monde entier vous regarde ». Ce soir, le monde regarde la France. Une France, plus que jamais société de caste, donneuse de leçon et sans aucun courage.


Flore VasseurFlore Vasseur a publié en février dernier « Comment j’ai liquidé le siècle » (aux Ed. des Equateurs), un thriller sur l’explosion du capitalisme et la fuite en avant de la finance mondiale.
Retrouvez Flore Vasseur sur son blog et son site internet

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Entrepreneur, chroniqueuse sur France Culture, Flore Vasseur est aussi documentariste et romancière. Elle est notamment l’auteur du roman « Comment j’ai liquidé le siècle », une charge féroce contre l’oligarchie politico-financière.

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  • D’abord, il fut un temps où les "responsables", les chefs, sur-chefs et sous-chefs, payaient graduellement une erreur dans l’entreprise. Il paraît qu’on leur a tapé sur les doigts ; pôv petits.
    Et puis aussi, on lit nettement que demain :
    - l’employé SNCF qui aura fait dérailler le train, devra le rembourser.
    - l’agent EDF qui aura fait péter sa centrale, devra la payer
    - le juge d’instruction qui aura détruit la vie de ses concitoyens devra les dédommager... ah oups, nope... ça ne marche pas pour les juges eux-même.

    8.10 à 11h41 - Répondre - Alerter
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